par Hope&ChaDia
Le 6 avril 2025, le gouvernement malien a publiĂ© un communiquĂ© accusant ouvertement lâAlgĂ©rie dâavoir dĂ©truit un drone de reconnaissance armĂ© au-dessus du territoire malien, qualifiant cette action de “trahison inĂ©dite” et de “sponsoring du terrorisme international”. Mais une analyse technique et linguistique rigoureuse de ce document laisse entrevoir un tout autre scĂ©nario : celui dâune fabrication narrative instable, contredite par ses propres donnĂ©es.


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đ Des chiffres qui ne tiennent pas
Le communiqué malien fournit deux points géographiques précis :
La rupture de liaison avec le drone aurait eu lieu à 10,2 km au sud de la frontiÚre algérienne.
LâĂ©pave du drone aurait Ă©tĂ© retrouvĂ©e Ă 9,5 km au sud de cette mĂȘme frontiĂšre.
Il affirme ensuite que la distance entre ces deux points serait de 441 mĂštres. Or, une simple soustraction montre que lâĂ©cart est de 700 mĂštres. Cette erreur mathĂ©matique Ă©lĂ©mentaire est loin dâĂȘtre anodine : elle jette un doute sur lâensemble de la rigueur du rapport. Si les distances de base sont falsifiĂ©es ou arrondies Ă lâexcĂšs, que penser du reste ?
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âŹïž Chute verticale⊠en diagonale ?
Autre incohĂ©rence frappante : le communiquĂ© insiste sur le fait que le drone est tombĂ© âĂ la verticaleâ, ce qui, selon lui, exclurait une panne technique et prouverait une attaque par missile. Mais dans le mĂȘme temps, il reconnaĂźt un dĂ©placement de plusieurs centaines de mĂštres entre la perte de liaison et le point dâimpact.
Un engin qui chute Ă la verticale ne peut pas parcourir 700 mĂštres horizontalement. Ce paradoxe physique dĂ©crĂ©dibilise lâinterprĂ©tation fournie par Bamako. Soit lâappareil a Ă©tĂ© abattu en vol et a chutĂ© selon sa trajectoire rĂ©siduelle, soit il nâest pas tombĂ© verticalement. Dans les deux cas, la version officielle sâauto-contredit.
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đșïž Des coordonnĂ©es qui ne prouvent rien
Le Mali affirme que le drone nâa jamais quittĂ© son espace aĂ©rien, mais il ne fournit aucune preuve de trajectoire complĂšte : pas de radar, pas de carte, pas de simulation. Seulement deux points et une conclusion politique.
Or, mĂȘme si le drone sâest crashĂ© Ă 9,5 km au sud de la frontiĂšre, cela nâexclut en rien quâil ait franchi la ligne Ă un moment, puis fait demi-tour. Il aurait pu ĂȘtre interceptĂ© aprĂšs sa violation, et abattu en mouvement, ce qui expliquerait trĂšs bien que lâĂ©pave soit retombĂ©e cĂŽtĂ© malien. La position de chute ne suffit pas Ă clore le dĂ©bat.
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đą Un ton plus militant que diplomatique
Au-delà des données techniques, le ton du communiqué malien en dit long. Le vocabulaire est tranchant, parfois belliqueux :
“Agression inĂ©dite”, “condescendance”, “silence coupable”, “ennemi de la paix”, “sponsor de terrorisme international”.
On est bien loin du registre dâun rapport diplomatique mesurĂ©. Ce style accuse, condamne, dramatise. Il vise Ă mobiliser lâopinion intĂ©rieure et internationale, pas Ă ouvrir un dialogue ou une enquĂȘte sĂ©rieuse. La conclusion religieuse (âQue Dieu bĂ©nisse le Maliâ) enfonce le clou dâun message Ă©motionnel plutĂŽt quâobjectif.
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đ§© LâAlgĂ©rie avait dĂ©jĂ tout dit
Autre fait marquant : le 1er avril, soit cinq jours avant le communiquĂ© malien, lâAlgĂ©rie avait dĂ©jĂ publiĂ© un communiquĂ© clair et circonstanciĂ© via son ministĂšre de la DĂ©fense. Elle y affirmait avoir dĂ©tectĂ© un drone armĂ© qui avait pĂ©nĂ©trĂ© de 2 km dans son espace aĂ©rien, avant de le dĂ©truire prĂšs de Tin-Zaouatine.
Cette version nâest jamais rĂ©futĂ©e directement par des donnĂ©es concrĂštes cĂŽtĂ© malien. Le communiquĂ© du 6 avril se contente dâen nier la vĂ©racitĂ© sans fournir de contre-preuves techniques.
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đLa rĂ©ponse algĂ©rienne : froide, ferme, factuelle
Le 7 avril, lâAlgĂ©rie a exprimĂ© sa “grande consternation” face aux accusations maliennes et aux dĂ©clarations de la ConfĂ©dĂ©ration des Ătats du Sahel (CES). Dans un communiquĂ© dâune rare fermetĂ©, Alger ne se contente pas de nier : elle retourne le miroir.
Elle parle sans dĂ©tour de âtentative de diversionâ, dââĂ©chec manifeste du projet putschiste malienâ et de âbouc Ă©missaire algĂ©rienâ. Elle accuse la junte de se cacher derriĂšre des accusations spectaculaires pour masquer ses Ă©checs politiques, Ă©conomiques et militaires.
Mais surtout, lâAlgĂ©rie renforce son propos avec des faits prĂ©cis :
Il sâagirait de la troisiĂšme incursion de drone malien dans lâespace aĂ©rien algĂ©rien depuis aoĂ»t 2024.
Lâincident du 1er avril aurait impliquĂ© une entrĂ©e initiale, un retrait, puis un retour offensif, justifiant une destruction.
Ce contraste entre le ton dramatique du Mali et la froide rigueur technique de lâAlgĂ©rie renforce la crĂ©dibilitĂ© de cette derniĂšre.
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âïž LâAlgĂ©rie ferme son ciel : une mesure forte, mais proportionnĂ©e
Le mĂȘme jour, lâAlgĂ©rie annonce une mesure concrĂšte : la fermeture totale de son espace aĂ©rien au Mali, Ă partir du 7 avril.
Mon avis ? Cette dĂ©cision est sĂ©vĂšre, mais proportionnĂ©e. Dans le langage diplomatique, la fermeture de lâespace aĂ©rien est une sanction sans escalade militaire, qui signale un mĂ©contentement grave tout en maintenant la paix. Câest un message clair, Ă la fois Ă Bamako et Ă ses alliĂ©s de circonstance (Niger, Burkina Faso), que les accusations sans fondement auront un coĂ»t.
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đŻ Ce que lâon peut affirmer avec certitude
MĂȘme en excluant complĂštement la version algĂ©rienne, le communiquĂ© malien sâeffondre sous le poids de ses propres contradictions :
â Des distances incohĂ©rentes
â Une chute âverticaleâ mais avec un dĂ©placement de 700 mĂštres
â Un ton diplomatiquement dĂ©placĂ©
â Des conclusions sans preuves de trajectoire
â Un enchaĂźnement dâactions Ă©tonnamment rapide
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đ§ Notre point de vue :
Si le Mali voulait accuser lâAlgĂ©rie avec sĂ©rieux, il aurait dĂ» fournir une analyse technique exhaustive, accompagner ses affirmations de preuves radar, et maintenir un ton diplomatique cohĂ©rent. En lâĂ©tat, le communiquĂ© semble plutĂŽt avoir Ă©tĂ© conçu comme un outil de communication de crise, voire comme un levier de tension volontaire dans un contexte rĂ©gional fragile.
Lâhistoire dâun drone abattu cache peut-ĂȘtre une volontĂ© bien plus vaste : celle de redessiner des alliances et des confrontations au Sahel, Ă coups de communiquĂ©s et de narratifs plus que de faits.
Mais une autre hypothĂšse se dessine, encore non confirmĂ©e mais crĂ©dible : Assimi GoĂŻta, qui occupe actuellement la prĂ©sidence tournante de lâAlliance des Ătats du Sahel (AES), aurait engagĂ© la AES dans cette confrontation sans rĂ©elle concertation avec le Niger et le Burkina Faso. En dâautres termes, le Mali aurait parlĂ© au nom de tous sans mandat clair â ce qui expliquerait le ton unilatĂ©ral et la prĂ©cipitation de la mise en scĂšne diplomatique. Si cette hypothĂšse se vĂ©rifie, elle pourrait non seulement fragiliser lâunitĂ© de façade de lâAES, mais aussi isoler davantage Bamako, dĂ©jĂ sous pression sur plusieurs fronts.
Affaire Ă suivre.

1 comment
En effet, mais il y a des pays qui veulent dĂ©truire les trĂšs bonnes relations de la Russie avec l’AlgĂ©rie (depuis l’indĂ©pendance de l’AlgĂ©rie et mĂȘme avant) en fomentant des complots Ă la frontiĂšre algĂ©ro-malienne (sur la question et le problĂšme des touareg* de l’Azawad aprĂšs un reniement des “accords d’Alger” supervisĂ©s par l’ONU) en mettant en avant un supposĂ© rĂŽle “nĂ©faste et anti-AlgĂ©rie” de Wagner, l’assimilant Ă lâĂtat russe.
Ces pays vendent l’idĂ©e que l’AlgĂ©rie soutient le “terrorisme” et mĂȘme le “terrorisme international” (rien que ça!), entendre les touaregs qui se sont rĂ©voltĂ©s contre le pouvoir de Bamako.
A leur tĂȘte clairement le Maroc pays dĂ©pendant politiquement de la France ainsi que deux pays du Golfe, mais discrĂštement; et d’autres!
Le dernier en date, la violation de ce drone armĂ© malien cette fois abattu par la dĂ©fense algĂ©rienne aprĂšs 03 incursion des drones maliens dans lâespace aĂ©rien algĂ©rien depuis aoĂ»t 2024.
*Il faut comprendre que les touareg se rĂ©partissent dans plusieurs Ătats (Libye, Mali, Niger, AlgĂ©rie, Burkina Faso, Mauritanie). Ils ont tous des liens de parentĂ©!
Le problĂšme n’est donc pas simple.