Par Amara Zitouni, cadre à la retraite
Havre de fraîcheur et de quiétude, le lac Tonga est toujours là, étalant sa splendeur de contrastes du vert de ses plantes et du bleu de ses eaux enserrées par une couronne de montagnes et de forêts luxuriantes. Décrivant cette merveille de la nature du temps où le train reliait Annaba à El-Kala, un voyageur disait en longeant les lacs Tonga et Oubeira(1), que «les eaux verdâtres de ces lacs, encaissées dans un cirque de montagnes bleutées, façonnent un panorama ravissant dignes des lacs suisses».(2)
Les forêts de cyprès chauves et d’aulnes qui croissent sur les berges humides du lac garnies d’un gazon d’herbes vertes offrent aux milliers de visiteurs un havre de fraîcheur pendant les périodes de canicule.(3)
Un écosystème unique en Méditerranée
Le lac Tonga fait partie du Parc national d’El-Kala, situé dans l’extrême nord-est de l’Algérie, créé en 1983. Compte tenu de son importance internationale, ce site lacustre abritant, avec les autres lacs Oubeira, El Mellah(4) du même parc, un écosystème unique en Méditerranée, a été inscrit sur la liste de la Convention Ramsar en 1982 relative à la protection des zones humides et figure, depuis 1990, sur la liste de l’Unesco des réserves de la biosphère.
Une faune et une flore variées et rares
L’écosystème lacustre au niveau du lac Tonga présente une flore très diversifiée avec la prédominance du peuplier blanc et noir, d’aulnes, de cyprès chauves, ainsi que de nénuphars à fleurs jaunes qui sont des espèces très rares. Le lac Tonga abrite, par ailleurs, une faune très variée dès lors qu’il constitue une zone de nidification des centaines d’espèces ornithologiques dont certaines sont rares ou en voie de disparition telles que l’érismature à tête blanche, le balbuzard pêcheur et la spatule blanche.
Plusieurs espèces de poissons vivent dans ce lac telles que les barbeaux, les mulets et les anguilles.
Superficie du bassin versant et pluviométrie
Le lac occupe une superficie de 2 600 ha. Son bassin versant totalise 1 500 ha. Il est alimenté par oued El-Hout et oued El-Eurg.(5) La pluviométrie de la région atteint les 700 mm/an et le climat est relativement tempéré et humide.
Activités agricoles pratiquées sur les berges du lac
Les paysans installés sur les berges du lac s’adonnent notamment à l’élevage du bovin de race locale.
Les terres réputées pour leur haut potentiel agricole du fait de leur caractère alluvionnaire donnaient des récoltes records de maïs, de courges, de haricots, d’arachides, de pastèques, de melons, etc. J’ai encore en mémoire les champs de maïs dont la hauteur des plants dépassait ma taille d’enfant d’une dizaine d’années alors que je suivais mon père qui pratiquait cette culture en même temps que d’autres paysans sur des terres situées à proximité du lac.
Je me souviens aussi du silo (matmour) que mon père creusait dans le sol argileux près de notre demeure pour stocker la récolte de maïs ; cette réserve nous permettait, en plus des récoltes de haricots et de courges, de faire face aux disettes qui étaient fréquentes en cette période postérieure à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Le déclin des activités agricoles au cours des dernières années résulte d’un certain nombre de facteurs, notamment la perturbation du cycle de l’écoulement des eaux du lac.
Dysfonctionnement du cycle hydrique de l’écosystème lacustre
Les fellahs de la région imputent cette situation à la détérioration de l’écluse qui régulait le débit du trop-plein des eaux pluviales et des autres infrastructures hydrauliques (digues, canaux, drains) qui existaient et dont l’entretien n’était pas assuré par les services techniques concernés.(6)
L’écluse installée à l’embouchure du lac permettait, en effet, de contrôler le volume des eaux dont le surplus se déversait dans le canal qui les évacuait vers la mer située à quelques kilomètres en aval.
Laisser la nature reprendre ses droits
Les raisons invoquées pour justifier cette situation résideraient dans le fait qu’«il fallait laisser la nature reprendre les choses en main».
Cette approche rejoint le projet européen du réensauvagement ayant pour objectif de laisser la nature façonner les paysages.(7)
Cette option ne semble pas toutefois avoir tenu compte des expériences des pays comme les Pays-Bas qui ont érigé des digues et creusé des canaux depuis plus de mille ans pour empêcher la mer et les cours d’eau d’inonder les terres.
D’autres exemples de pays ayant adopté les mêmes techniques de protection des terres agricoles contre les inondations peuvent être cités (Vietnam, Chine, Inde, Pakistan, etc.).
Assèchement progressif du lac
Les riverains signalent un assèchement progressif du lac durant ces dernières années lui donnant l’aspect d’un marais. Des incendies favorisés par les touffes d’ajoncs, de roseaux et d’autres herbes sèches s’y sont déclarés plusieurs fois causant des dommages à la faune, notamment à certaines catégories d’oiseaux migrateurs en période de nidification.
Inscription du lac Tonga sur le Registre de Montreux
La dégradation du caractère écologique du lac découlant essentiellement de la réduction sévère de ses affluents a conduit à son inscription au Registre de Montreux en 1993 parmi les sites protégés par des Conventions internationales en péril.
À signaler toutefois que le lac Tonga a été retiré du Registre de Montreux en 2009 après la réhabilitation du site au cours des dernières années.
Impact du réchauffement climatique
L’écosystème lacustre a été perturbé par la multiplication des sécheresses consécutives et des incendies récurrents qui ont endommagé le couvert végétal de son bassin versant ; étant rappelé que la chaleur accroît l’évaporation des eaux des lacs et des cours d’eau.
Propositions pour la réhabilitation du lac et ses berges
– Restaurer les fonctions du cycle hydrique et la régulation de l’écosystème lacustre par le renouvellement des infrastructures hydrauliques.
– Conforter la digue ou ce qu’il en reste pour protéger les terres agricoles contre les inondations.
– Procéder au curage des canaux, des drains et des cours d’eau pour récupérer des anciennes terres agricoles cultivées et des pâturages utiles pour l’élevage des bovins très pratiqué dans la région
– Relancer les opérations de régénération du couvert végétal du bassin versant du lac qui a été gravement endommagé par les récents incendies et ce, par l’aménagement de tranchées pare-feu, de pistes forestières, de points d’eau, de cours d’eau, de travaux de perméabilisation des sols permettant le stockage des eaux de pluie, l’exploitation des forêts.
La coupe de bois à des fins de transformation industrielle avait déjà débuté avec l’installation d’une unité de traitement du bois dans la région.
La capacité de résilience des forêts de la région, constituées essentiellement de chêne-liège, de chêne vert, de pin, d’eucalyptus, etc., aux incendies est remarquable en ce sens qu’elles se régénèrent à court et moyen terme.
Le système d’autodéfense du patrimoine forestier risque cependant d’être contrarié par la fréquence et l’intensité des incendies sur le même site.
– Encadrer le tourisme de masse dont les effets négatifs sur l’environnement sont dénoncés à l’échelle mondiale.
– Associer les riverains du site à toutes les mesures visant à protéger l’environnement du système lacustre.
A. Z.
Notes :
1- Le lac Oubeira est situé à quelques kilomètres du lac Tonga ; il fait partie du Parc national d’El-Kala ; il est inscrit sur la liste de la Convention Ramsar sur les zones humides.
2- Une ligne de chemin de fer reliait Annaba à El-Kala. Inaugurée en 1905, elle avait été supprimée en 1949 pour manque de rentabilité.
3- Le cyprès chauve avait été introduit dans la région dans les années 1930. Cette essence de la famille des conifères s’est vite adaptée à cette zone humide permettant la création de superbes forêts visibles surtout sur les berges du lac Tonga.
4- Le lac El Mellah est voisin du lac Tonga comme le lac Oubeira et il fait partie du Parc national d’El-kala ; il est inscrit à l’Unesco comme une réserve de biosphère ; ce lac se singularise par rapport aux autres par la salinité de ses eaux du fait qu’il communique avec la mer Méditerranée par le biais d’un lagon de 900 mètres linéaires.
5- Oued El-Eurg, appelé localement oued El-Barita à cause de la pyrite (de fer) s’écoulant des galeries de l’ancienne mine de plomb et de zinc de Kef Oum Theboul qui s’y déverse. La pollution des eaux de l’oued par cet acide hautement corrosif a causé un grave dommage à l’environnement (cf mon article publié dans le Soir d’Algérie du 27 janvier 2021 sous le titre «Histoire d’une mine».
6- L’équipe technique chargée de l’entretien des infrastructures hydrauliques était composée d’une dizaine d’ouvriers permanents et saisonniers dépendant des services de l’hydraulique.
7- Ce projet avait été initié par une organisation à but non lucratif fondée en 2011. Il avait pour mission de réintroduire dans certaines régions des espèces essentielles comme les grands herbivores et à ramener d’anciennes terres cultivées à leur état naturel.
8- L’eucalyptus est originaire d’Australie. Sa plantation en Algérie remonte à la fin du 19e siècle. Sa prédominance dans les forêts de la région aux côtés d’espèces autochtones (chêne-liège, chêne vert, le pin, l’olivier, la bruyère, le lentisque, l’arbousier, etc.) est aussi le produit des campagnes de reboisement engagées par l’État au lendemain de l’indépendance pour reconstituer les forêts détruites par les bombardements au napalm de l’armée coloniale.
Je suis fier d’avoir participé, avec les élèves du Collège d’enseignement général (CEG) d’El-Kala, à cette opération de reboisement de la forêt mitoyenne du lac Tonga qui a échappé miraculeusement aux derniers incendies.