Lors d’une rencontre avec des représentants de la presse nationale le 26 novembre 2021, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a exprimé son intention de réviser l’accord d’association avec l’Union européenne (UE). Cette déclaration, relayée par plusieurs médias, souligne l’importance pour l’Algérie de bénéficier des exonérations douanières prévues par cet accord afin de soutenir son économie, renforcer sa production et accroître ses exportations.
Contexte Historique et Économique
Signé en 2002 par l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, l’accord d’association avec l’UE visait à établir une zone de libre-échange, prévoyant un démantèlement tarifaire progressif devant aboutir en 2017. Cependant, cet accord a souvent été critiqué pour avoir désavantagé l’Algérie au profit de l’UE. Entre 2005, date d’entrée en vigueur de l’accord, et 2019, l’Algérie a importé pour plus de 283 milliards d’euros de produits en provenance de l’UE, tandis que ses exportations vers l’UE, principalement des produits pétrochimiques, se sont élevées à seulement 13 milliards d’euros.
Problématiques et Critiques
Déficit Commercial
Ce déséquilibre commercial a creusé un déficit abyssal de la balance commerciale algérienne, estimé à environ 270 milliards d’euros. La France, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne représentent à elles seules plus de 70 % des exportations européennes vers l’Algérie, faisant de l’UE le principal bénéficiaire de cet accord.
Faiblesse de l’Économie Algérienne
L’économie algérienne, fragilisée par la chute des prix du pétrole en 2014 et les restructurations imposées par le FMI dans les années 90, n’était pas préparée à un démantèlement tarifaire complet. En 2020, le président Tebboune a catégoriquement refusé la mise en place de la zone de libre-échange prévue, invoquant la vulnérabilité du tissu industriel national.
Position de l’Union Européenne
Face à ces restrictions et mesures adoptées par l’Algérie depuis 2021, l’UE a ouvert une procédure de règlement des différends le 14 juin 2022. Bruxelles accuse Alger de restreindre les exportations et les investissements, évoquant notamment un certificat d’importation fréquemment refusé et un système de licences d’importation équivalent à une interdiction.
Enjeux et Perspectives
Révision de l’Accord
Le président Tebboune juge nécessaire de revoir cet accord clause par clause, affirmant que tout accord économique doit être mutuellement bénéfique. Toutefois, selon l’ambassadeur de l’UE en Algérie, Thomas Eckert, aucune proposition officielle détaillée de révision n’a été reçue de la part du gouvernement algérien.
Négociations et Alternatives
En cas d’échec des négociations avec l’UE, plusieurs options de rechange pourraient être envisagées par Alger. Il s’agirait de diversifier ses partenariats économiques et commerciaux en se tournant vers d’autres puissances telles que la Russie, la Chine, l’Iran et la Turquie. Ces partenariats viseraient à renforcer la coopération scientifique et technologique, développer des industries performantes et compétitives, et ouvrir de nouveaux marchés, notamment en Afrique.
Stratégie de Développement Industriel
Bloquer ou annuler l’accord d’association avec l’UE doit impérativement s’accompagner d’une stratégie de développement industriel national. Cette stratégie devrait inclure la mise en place de politiques protectionnistes temporaires pour permettre l’émergence d’une industrie locale compétitive et autosuffisante.
Entretien avec M. Ferhat Ait Ali, Expert Financier et Ex-Ministre de l’Industrie
Pour approfondir la question, la chaîne YouTube “Afrique émergente” a interviewé l’économiste et ancien ministre algérien de l’Industrie, M. Ferhat Ait Ali, le 8 juillet 2024.
Q: Après 19 ans de mise en application de l’accord, êtes-vous d’accord avec le constat qu’il n’a pas atteint les résultats escomptés par l’Algérie?
Ferhat Ait Ali: Oui, je suis d’accord avec ce constat. Le bilan de cet accord était prévisible dès le premier jour de sa signature. L’économie algérienne n’était pas prête pour un démantèlement tarifaire complet. Les autorités de l’époque avaient d’autres impératifs, comme la nécessité de repositionner l’Algérie sur la scène internationale après les années 90 marquées par des problèmes sécuritaires et économiques.
Q: Où en sont les négociations avec l’UE pour une révision de l’accord?
Ferhat Ait Ali: À ma connaissance, aucune demande de révision précise n’a été soumise par la partie algérienne. Les discussions ont plutôt porté sur des mesures unilatérales prises par l’Algérie pour protéger son économie, comme l’introduction d’un droit additionnel de sauvegarde en 2020.
Q: Les autorités algériennes avaient-elles raison d’imposer des restrictions, contrevenant aux clauses de l’accord?
Ferhat Ait Ali: Oui, elles avaient raison d’appliquer des mesures pour sauvegarder l’économie nationale et protéger les réserves de change. Cependant, ces mesures ont été perçues par l’UE comme des violations de l’accord, ce qui a conduit à des procédures de règlement des différends.
Q: Faut-il dénoncer complètement cet accord et reprendre les négociations avec d’autres partenaires?
Ferhat Ait Ali: Personnellement, je pense que l’Algérie aurait dû dénoncer cet accord dès 2005, après avoir remboursé sa dette. La stratégie actuelle devrait être de diversifier les partenariats économiques et de ne pas se lier exclusivement à l’UE. Des accords bilatéraux bien étudiés avec d’autres pays seraient plus bénéfiques pour l’Algérie.
Q: L’Algérie n’aurait-elle pas pu simplement adhérer à l’OMC plutôt que de signer cet accord bilatéral avec l’UE?
Ferhat Ait Ali: Même aujourd’hui, l’Algérie n’a strictement aucun intérêt à adhérer à l’OMC dans l’immédiat. Nous n’avons pas les capacités ni les atouts pour profiter d’un accord de libre-échange ou des conditions du libéralisme économique. Nous avons besoin d’un minimum de protectionnisme pour émerger.
Q: Comment mettre l’économie algérienne sur la voie de la production et de l’industrialisation pour satisfaire le marché national et exporter?
Ferhat Ait Ali: Il est impératif de développer une stratégie de développement industriel national. Cela inclut des politiques protectionnistes temporaires pour permettre l’émergence d’une industrie locale compétitive. Il faut également diversifier les partenariats économiques avec des pays comme la Chine, la Russie, l’Iran et la Turquie pour développer des industries performantes et compétitives.
Q: Les mesures de sauvegarde prises par l’Algérie n’ont-elles pas nui aux consommateurs algériens?
Ferhat Ait Ali: Les mesures de sauvegarde sont nécessaires pour protéger l’économie nationale, mais il est également important de veiller à ce qu’elles n’entraînent pas une inflation excessive ou des pénuries de produits. Une stratégie équilibrée est nécessaire pour garantir la stabilité économique tout en protégeant l’industrie locale.
Q: L’UE a-t-elle les moyens juridiques d’imposer la levée des restrictions algériennes?
Ferhat Ait Ali: Juridiquement, l’arbitrage pourrait pencher en faveur de l’UE. Cependant, en termes de mesures de rétorsion économique, l’UE aurait du mal à imposer des sanctions sans nuire à ses propres intérêts, notamment en ce qui concerne les hydrocarbures algériens dont elle dépend.
Conclusion
La révision de l’accord d’association avec l’UE est cruciale pour l’Algérie afin de redresser son économie et protéger ses intérêts nationaux. Toutefois, cette révision doit être bien négociée et s’accompagner de mesures internes robustes pour développer une industrie nationale compétitive et diversifier les partenariats économiques internationaux.
Cette situation complexe nécessite une approche stratégique et équilibrée pour garantir des bénéfices mutuels et éviter les déséquilibres économiques qui ont marqué les deux dernières décennies.