Newton est-il Algérien ?
Si vous avez un peu de temps à partager avec vos enfants, faites cette petite expérience ludique, ils vont adorer. Prenez un volume d’eau et deux volumes de fécule de maïs, mélangez bien pour dissoudre les grumeaux et vous obtiendrez une sorte de pâte molle qui a des propriétés physiques surprenantes. Si vous mettez votre doigt dans cette pâte doucement, il s’enfonce sans aucune résistance. Mais si vous tapez dessus avec votre poing, elle devient dure comme de la pierre. Les scientifiques appellent ça un fluide non newtonien.
Non, Newton n’est pas algérien, et l’Algérien n’est pas newtonien non plus. Il est comme notre mixture préparée précédemment. Si vous demandez gentiment à un Algérien de vous donner sa chemise, il vous la donnera avec le sourire, mais si vous voulez la lui soustraire par la force, il devient فرعون (pharaon).
C’est ce que les Égyptiens ont voulu faire le 12 novembre 2009, une date inoubliable. J’étais au café avec des amis en fin d’après-midi. Le soleil se couchait, la lumière du jour commençait à faiblir. Quelqu’un est entré en criant “ضربوهم فالقاهرة ضربوهم” (“Ils les ont agressés au Caire, ils les ont agressés”). C’était deux jours avant le match retour entre l’Algérie et l’Égypte comptant pour les éliminatoires de la Coupe du Monde 2010. La délégation algérienne était tombée dans un guet-apens organisé par les autorités sportives et peut-être même politiques du pays hôte… lahchouma ! Le bus fut caillassé et plusieurs joueurs ont été blessés.
En un instant, l’atmosphère était devenue tendue et l’air s’était rapidement chargé d’électricité. Tout le monde était sorti dans la rue, ceux qui étaient dans les cafés comme ceux qui étaient chez eux. La circulation était devenue subitement dense. Les gens, en petits groupes, se partageaient les rares informations qu’ils détenaient. Impuissants de rage, ils ne savaient pas où donner de la tête. Ils étaient comme des fauves dans des cages. Un seul mot était sur toutes les lèvres : hagrouna. Cette atmosphère ressemblait sûrement à celle vécue par nos parents le lendemain de l’indépendance lorsque le roitelet de l’ouest envoya son armée nous agresser. Feu Ben Bella avait crié le même mot, hagrouna.
La suite, vous la connaissez : match barrage à Oum Dourmane et qualification de l’Algérie. Je pense que si les Égyptiens avaient accueilli les nôtres avec des fleurs, ils nous auraient battus largement. Il faut avouer que leur équipe était meilleure que la nôtre. Ils ont joué sur l’intimidation et la hogra, ils ont perdu.
L’histoire de la boxeuse Imène Khelif ressemble beaucoup à ça. Une pression terrible s’est exercée sur elle et ça n’a fait que l’endurcir. Elle s’est qualifiée pour les demi-finales et elle a assuré une médaille.
L’Algérien ne supporte pas la hogra, un mot qui n’a pas d’équivalent dans la langue française. Il ne la supporte ni en solo, ni en groupe. Ce mot est encore plus fort lorsqu’il est ressenti par des millions d’Algériens ; la sensation globale n’est pas la somme de toutes les sensations individuelles, elle est beaucoup plus grande. Entre nous, en interne, on n’est jamais d’accord sur rien. Les tiraillements internes peuvent aller jusqu’à des points de rupture, mais lorsqu’un facteur externe intervient et vient nous frapper, cela nous soude, nous fortifie et nous rend compacts… comme le ferait un fluide non newtonien.
1 comment
“la sensation globale n’est pas la somme de toutes les sensations individuelles, elle est beaucoup plus grande.”
Elle est donc exponentielle!