LE JOURNALISTE : Le 11 novembre 2024, à huit heures du soir, j’ai reçu un message indiquant l’urgence d’un contact pour une affaire délicate. En prenant cette demande au sérieux, j’ai découvert dès le premier échange la gravité de la situation, me conduisant à me rendre à Oran le mercredi 13 novembre pour interviewer Saada Arbane. Cette femme courageuse, qui malgré un passé douloureux et une voix à peine perceptible, a décidé de briser le silence pour partager son histoire.
Née le 16 décembre 1993, Saada Arbane a survécu à une nuit tragique durant son enfance, perdant sa famille et subissant une blessure profonde à la gorge lors d’un raid brutal. Ayant échappé à la mort, elle a été marquée par des années de silence et de souffrance intérieure. Installée à Oran avec son mari et leur fils, elle a passé plus de 25 ans à essayer d’oublier l’horreur de son passé.
Saada affirme aujourd’hui que le roman “Houris” de Kamel Daoud, qui a remporté le prestigieux prix Goncourt, raconte en réalité son histoire personnelle sans son consentement. Alors que l’écrivain a toujours soutenu que son ouvrage était purement fictif, Saada possède des preuves documentées — échanges, rapports médicaux — confirmant ses allégations. Selon elle, le plus grave est que le roman révèle des détails de son dossier médical, un acte qu’elle considère comme une trahison de son intimité.
La connexion entre Saada et Kamel Daoud remonte à sa thérapie avec l’épouse de l’écrivain, qui était sa psychologue depuis 2015. Saada raconte que lors de nombreuses séances, elle a partagé les éléments les plus intimes de sa vie. Jamais elle n’aurait imaginé que ces confidences se retrouveraient dans un roman à succès. En 2020, elle avait déjà refusé une première tentative d’adaptation de son histoire en œuvre littéraire, un refus renouvelé jusqu’en 2021, avant que le livre ne soit finalement publié.
Dans ce podcast poignant, Saada, soutenue par son mari Omar, révèle l’impact de cette publication sur sa vie. L’œuvre, loin de lui offrir une quelconque reconnaissance, a rouvert des plaies encore fraîches, la plongeant dans des tourments psychologiques intenses. Omar, témoin de ses nuits sans sommeil et de ses souffrances, témoigne de la difficulté qu’ils ont traversée en famille, exacerbée par la lecture du livre et les souvenirs ravivés.
Saada dénonce le fait que malgré ses avertissements et sa volonté claire de protéger son histoire, l’intimité de sa vie a été violée. Elle parle de la douleur ressentie lorsqu’elle a réalisé que des détails aussi personnels que ses tatouages et sa passion pour l’équitation avaient été insérés dans le roman sous une forme romancée, mais reconnaissable par ceux qui la connaissent.
Cette affaire soulève des questions éthiques fondamentales, notamment la violation du respect de la vie privée, la divulgation de secrets médicaux et l’exploitation d’une histoire personnelle sans consentement. Si l’histoire de Saada est avérée, Kamel Daoud pourrait être confronté à des poursuites judiciaires pour atteinte à la vie privée, divulgation non autorisée d’informations confidentielles, et appropriation non consensuelle d’une histoire personnelle à des fins lucratives.
Un autre aspect troublant soulevé par des lecteurs concerne les parallèles entre la voix mutilée de Saada et celle d’Aube, personnage du roman de Kamel Daoud, décrite avec une certaine ironie comme ressemblant à celle de Donald Duck. Si cette similitude est avérée, cela soulève des interrogations sur la moralité de l’auteur. Cette comparaison, jugée par certains comme profondément irrespectueuse et exploitative, alimente les critiques selon lesquelles Daoud agirait en tant qu’écrivain néo-colonial. En extrayant des récits de souffrance algérienne pour les transformer en matière première littéraire, il enrichirait non seulement son œuvre mais aussi le prestige de la métropole, s’inscrivant ainsi dans une dynamique perçue comme manipulatrice et mercantile.
Pour plus de détails, écoutez le podcast complet sur YouTube en arabe ou avec les sous-titres en français. A SUIVRE …
Hope&Chadia