La régulation du marché agricole en Algérie, essentielle pour garantir la sécurité alimentaire et préserver le pouvoir d’achat des ménages, se trouve au cœur des débats. Le récent rapport de l’Office National des Statistiques (ONS), intitulé « Consommation des ménages algériens en 2022 », met en lumière des transformations importantes dans les habitudes de consommation. Ces données, confrontées aux réflexions de M. Ali DAOUDI, enseignant-chercheur à l’École nationale supérieure d’agronomie, exprimées sur la chaîne Radio Algérie Chaîne 3, soulignent les défis à relever et les opportunités à saisir pour le secteur agricole algérien.
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Une consommation alimentaire toujours prioritaire, mais en mutation
Le rapport de l’ONS indique que les ménages algériens consacrent en moyenne 34 % de leur budget total aux dépenses alimentaires en 2022, contre 41 % en 2011. Cette évolution traduit une baisse relative des dépenses alimentaires, bien que les ménages des trois premiers déciles de revenu y allouent encore jusqu’à 40 % de leur budget. En valeur absolue, les dépenses alimentaires ont augmenté, atteignant une moyenne annuelle de 427 880 DA par ménage en 2022.
Pour M. DAOUDI, cette tendance est un signe d’amélioration des revenus pour certains ménages, mais elle reflète aussi une vulnérabilité persistante pour les plus démunis, sensibles aux moindres variations de prix.
Les deux analyses convergent, soulignant l’importance de stabiliser les prix alimentaires pour protéger les ménages à faibles revenus.
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Une pression croissante liée à la démographie
Avec une population atteignant 45,3 millions d’habitants en 2022, selon l’ONS, l’Algérie a vu sa demande en produits agricoles croître de manière exponentielle. Pourtant, la superficie agricole irriguée n’a pas suivi ce rythme. La superficie par habitant, consacrée à la culture maraîchère et irriguée, est passée de 120 m² en 2012 à environ 90 m² par personne en 2022.
M. DAOUDI souligne que cette pression démographique, combinée à la stagnation des superficies irriguées, accentue les tensions sur les marchés agricoles. Il appelle à une gestion plus stratégique des ressources, notamment dans les régions du nord où les capacités d’irrigation sont limitées.
Ces constats s’accordent avec les données du rapport et renforcent l’urgence de repenser l’allocation des terres agricoles.
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Le rôle central des céréales et la dépendance aux importations
Les données montrent que les produits céréaliers restent le principal poste des dépenses alimentaires des ménages, représentant environ 49,2 % des dépenses alimentaires totales en 2022. Bien que l’Algérie ait fait des progrès dans sa production locale, elle dépend encore des importations pour répondre à sa demande croissante, notamment en blé tendre.
M. DAOUDI considère la filière céréalière comme relativement bien régulée grâce à l’intervention de l’État. Toutefois, il estime que ce modèle n’a pas été étendu à d’autres filières, ce qui laisse les fruits et légumes particulièrement exposés à la volatilité des prix.
Le rapport et l’analyse de M. DAOUDI appellent à diversifier et renforcer les mécanismes de régulation au-delà des céréales.
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Les défis de la productivité agricole
L’ONS souligne que les dépenses consacrées aux fruits et légumes représentent 25,6 % des dépenses alimentaires, un poste en augmentation en raison de la volatilité des prix et de la demande croissante. Cependant, les gains de productivité restent limités, et les coûts de production élevés dissuadent les agriculteurs d’étendre leurs surfaces cultivées.
M. DAOUDI explique que cette instabilité est également due aux anticipations des agriculteurs, influencées par les fluctuations des prix. Il critique le manque d’innovation technologique et appelle à introduire des changements structurels pour améliorer les rendements.
Cette observation complète les données du rapport, soulignant la nécessité d’investissements dans les infrastructures et les pratiques modernes.
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L’importance de la régulation et de la transparence des marchés
Le rapport met en avant que les dépenses alimentaires restent dominées par des produits frais, souvent soumis à des variations de prix importantes. Par ailleurs, l’absence de données accessibles sur les marchés de gros complique la planification pour les producteurs comme pour les décideurs.
M. DAOUDI insiste sur l’urgence de documenter et de diffuser les prix sur les marchés de gros, citant l’exemple prometteur mais abandonné du marché d’Atba. Selon lui, une telle transparence serait un levier crucial pour stabiliser les marchés et encourager les investissements agricoles.
Ces deux analyses convergent sur la nécessité d’améliorer la transparence et de fournir des informations fiables aux acteurs du secteur.
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Les régions du sud, un potentiel inexploité
L’ONS rappelle que les régions du sud offrent des opportunités importantes pour l’expansion des cultures irriguées, grâce à des ressources hydriques souterraines abondantes. Cependant, leur exploitation reste limitée, freinée par un manque d’investissements et une planification insuffisante.
M. DAOUDI considère ces régions comme une solution clé pour surmonter les limites des superficies cultivées dans le nord. Il appelle à une planification rigoureuse et à l’utilisation de technologies adaptées pour maximiser leur potentiel tout en assurant une durabilité à long terme.
Les données confirment cette analyse, soulignant l’importance stratégique des territoires du sud dans le futur agricole du pays.
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Conclusion : Vers une stratégie intégrée pour l’agriculture algérienne
Le croisement des données du rapport de l’ONS et des observations de M. DAOUDI met en évidence les défis structurels et conjoncturels auxquels l’agriculture algérienne est confrontée. Stabilisation des prix, modernisation des pratiques agricoles, et amélioration de la transparence des marchés apparaissent comme des priorités absolues.
En mobilisant des outils technologiques, des investissements ciblés et une meilleure organisation des filières, l’Algérie pourrait relever ces défis et garantir une sécurité alimentaire durable pour sa population croissante.
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Hope&Chadia