Dans les annales de l’histoire contemporaine, rares sont les cas aussi emblématiques des politiques de division que celui du Sahara Occidental. Ce territoire, dernier vestige de la décolonisation en Afrique, est devenu le théâtre d’une tragédie politique, économique et humanitaire orchestrée par des intérêts étrangers.
Le Sahara Occidental, sous domination espagnole jusqu’en 1975, a vu son destin scellé lors de la Conférence de Madrid. En novembre de cette année-là, l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie ont conclu un accord pour se partager ce territoire. Ce pacte ignorait ostensiblement l’avis de la population sahraouie, pourtant inscrit dans le troisième point de l’accord. Ce dernier stipulait que l’opinion de la Jemaâ, assemblée traditionnelle sahraouie, serait respectée. Mais cette promesse n’était qu’un écran de fumée, comme en témoignent les événements qui ont suivi.
Pour comprendre les enjeux de cette situation, il est essentiel de revenir à l’histoire de la décolonisation en Afrique. Le Sahara Occidental est un territoire stratégique, riche en ressources naturelles, notamment en phosphates et en pétrole offshore potentiel. Ces richesses ont attisé la convoitise de nombreux acteurs, étrangers comme régionaux. Le Maroc et la Mauritanie, soutenus par leurs alliés respectifs, ont revendiqué ces terres, tandis que le Front Polisario, mouvement d’indépendance sahraoui soutenu par l’Algérie, s’est opposé à cette répartition inéquitable.
C’est dans ce contexte que la France a joué un rôle crucial et trouble, en alignant sa stratégie sur celle décrite par Charles de Gaulle dans son ouvrage « La Discorde chez l’ennemi ». Cette théorie de la division a été appliquée à l’Afrique du Nord, avec pour objectif de maintenir une instabilité régionale pour préserver les intérêts français. L’opération secrète Lamentin, menée de novembre 1977 à juillet 1978, en est une illustration saisissante. Utilisant une base au Sénégal, les avions Jaguar français ont ciblé les forces du Front Polisario, soutenu par l’Algérie, qui combattaient pour récupérer le tiers du Sahara Occidental attribué à la Mauritanie. Cette intervention militaire avait pour but de protéger les mines de fer exploitées par la France en Mauritanie et, par extension, de soutenir le Maroc tout en affaiblissant l’Algérie.
Les mines de fer de Zouerate, situées dans le nord de la Mauritanie, constituaient un atout économique majeur pour la France. La ligne ferroviaire reliant Zouerate au port de Nouadhibou était régulièrement ciblée par les attaques du Front Polisario, qui cherchaient à perturber les exportations de ce minerai stratégique. Face à ces menaces, l’opération Lamentin a mobilisé des moyens militaires considérables, incluant l’utilisation de bases aériennes sénégalaises, avec la complicité du président Léopold Sédar Senghor. Ce dernier voyait dans cette collaboration une opportunité de renforcer les relations avec la France tout en préparant une éventuelle expansion territoriale.
Cette politique de division s’inscrit dans une logique plus large : empêcher l’émergence d’une puissance régionale forte en Afrique du Nord. La France, nostalgique de son empire colonial, n’a jamais accepté la perte de l’Algérie ni les ressources naturelles dont elle regorge. Chaque fois qu’un État nord-africain montre des signes de force, la France s’emploie à soutenir ses voisins pour maintenir un équilibre délibérément précaire. Ce schéma s’est répété en 2022, lorsque Emmanuel Macron, après avoir promis la neutralité sur la question du Sahara Occidental, a publiquement soutenu la marocanité de ce territoire.
L’histoire récente du Sahara Occidental montre que cette politique de division est loin d’être révolue. La signature d’un accord entre la Mauritanie et le Front Polisario en 1979, qui prévoyait la restitution du tiers du territoire occupé par la Mauritanie, a été immédiatement suivie par l’invasion marocaine de cette région. Les Sahraouis, eux, sont restés dans un exil perpétuel, notamment dans les camps de Tindouf, alors que leurs terres continuaient d’être disputées par leurs voisins.
Par ailleurs, la complexité de la situation réside dans les enjeux géopolitiques qu’elle entraîne. Le soutien apporté par l’Algérie au Front Polisario reflète une volonté de contester l’hégémonie marocaine dans la région, mais aussi de défendre le droit à l’autodétermination des peuples. En revanche, le Maroc a été soutenu par des puissances occidentales, notamment la France et plus récemment les États-Unis, dans le cadre de la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara Occidental. Cette dynamique polarise encore davantage une région déjà fragile.
L’opération Lamentin et ses conséquences illustrent comment la France a manié à la fois le sabre et le bouclier pour diviser l’Afrique du Nord. Ce double jeu, à la fois militaire et diplomatique, continue d’alimenter les tensions dans la région. Loin de promouvoir une stabilité ou une prospérité partagée, ces stratégies visent à perpétuer la dépendance et l’instabilité pour mieux régner.
Le premier livre publié par Charles de Gaulle, « La Discorde chez l’ennemi », incarne une stratégie fondée sur la manipulation et la déstabilisation. Dans cet essai de 1924, De Gaulle détaille les mécanismes utilisés pour exploiter les divisions internes comme outil de domination, sans considération pour les conséquences humaines ou politiques. Ces théories, loin de refléter une quelconque vision pragmatique, montrent une froide détermination à semer le chaos pour préserver des intérêts égoïstes. Aujourd’hui encore, cette logique imprègne les actions de la France, qui persiste à diviser les peuples au détriment de toute paix ou développement durable. L’héritage de cet ouvrage illustre moins un savoir-faire stratégique qu’une politique opportuniste et destructrice.
Hope & ChaDia
