Ces derniers temps, certains médias — étrangement alignés sur les cercles diplomatiques marocains — ont commencé à évoquer une supposée « initiative trilatérale » entre Washington, Paris et Rabat visant à classer le Front POLISARIO comme organisation terroriste. Les sources sont vagues. Les intentions sont troubles. Mais la narration est limpide : délégitimer un mouvement de libération nationale en réécrivant les faits, et espérer que le monde oublie ce qui est déjà inscrit dans le droit.
Mais voici ce qui n’est pas rapporté — ce qui est ignoré, ou pire, délibérément passé sous silence.
En 2015, un événement d’une portée juridique profonde a eu lieu : le Front POLISARIO a été officiellement reconnu comme une partie adhérant aux Conventions de Genève de 1949. Ce n’est pas un détail de communication. C’est un acte juridique. Cela signifie que le POLISARIO, en tant que représentant du peuple sahraoui, a été accepté dans le cadre du droit international humanitaire — non pas comme une « milice », ni comme un simple « groupe », mais en tant que Mouvement de Libération Nationale, une catégorie spécifiquement définie et protégée par les Conventions de Genève et leur Protocole additionnel I.
Ce statut n’est pas symbolique. Il repose sur l’existence d’une occupation étrangère — en l’occurrence, le contrôle militaire illégal et persistant du Maroc sur des parties du Sahara occidental. Sans cette réalité d’occupation, aucune base légale n’aurait permis au POLISARIO d’obtenir une telle reconnaissance en vertu de l’article 96(3) du Protocole I. La logique juridique est implacable : le statut du POLISARIO présuppose que le Maroc agit en tant que puissance occupante.
C’est l’éléphant juridique au milieu de la pièce — que Rabat tente de camoufler sous des slogans, des poignées de main diplomatiques et des conférences de presse.
Le Maroc ne peut pas prétendre être dans un différend amical sur des « provinces » tout en niant les conséquences juridiques d’être catégorisé, selon les termes de Genève, comme une puissance occupante. L’acceptation du POLISARIO dans le cadre des Conventions de Genève confirme, implicitement et explicitement, que le Sahara occidental est sous occupation étrangère. C’est la condition même qui rend légitime l’appartenance du Front aux Conventions.
Et c’est ici que la position devient encore plus inconfortable pour ceux qui poussent le récit terroriste.
Les États-Unis, la France, et même le Maroc sont signataires et ratificateurs des Conventions de Genève. Ils se sont juridiquement engagés à respecter ces instruments, à les appliquer dans tous les conflits internationaux, et à reconnaître l’identité juridique des parties protégées par ces conventions. Les États-Unis ont ratifié ces textes en 1955. La France encore plus tôt. Le Maroc, État partie depuis son indépendance, a accepté ces obligations et ne peut les invalider sélectivement pour servir une conjoncture politique.
Si Washington, Paris ou Rabat tentaient aujourd’hui de qualifier le POLISARIO d’organisation terroriste, ils se retrouveraient face à un paradoxe juridique flagrant : criminaliser un acteur qu’ils ont déjà reconnu, par le droit des traités, comme une partie légitime à un conflit international. Ce ne serait pas seulement illégal — ce serait absurde.
Il ne s’agit pas ici de rhétorique. Il s’agit de droit des traités. De l’article commun 1 des Conventions de Genève, qui oblige les États à respecter et faire respecter les conventions en toutes circonstances. Il s’agit aussi de la suprématie des traités ratifiés dans le droit constitutionnel américain (article VI), et du principe de non-contradiction dans l’interprétation du droit international. Aucune manœuvre politique, aucun communiqué conjoint, aucun rapport de think tank ne peut renverser cela.
Alors pourquoi cette réalité est-elle absente des gros titres ?
Parce que la vérité dérange. Parce que la reconnaître oblige à affronter une vérité juridique centrale que le Maroc redoute par-dessus tout : que sa présence au Sahara occidental n’est pas une administration, ni une souveraineté, mais une occupation. Et avec l’occupation vient la légitimité de la résistance.
C’est ce que le gouvernement marocain ne peut pas expliquer à sa propre population. Que des décennies de lobbying diplomatique et de coûteuses campagnes de relations publiques pèsent peu face à un document irréfutable : les Conventions de Genève. Il en va de même pour Paris et Washington — des gouvernements qui ne peuvent exiger le respect du droit à Kiev ou à Gaza, tout en le jetant aux oubliettes à El-Aaioun.
Tenter de désigner le POLISARIO comme une organisation terroriste relève donc de plus qu’un théâtre politique — c’est un cas d’amnésie juridique. Mais le droit international, lui, n’oublie pas si facilement. Il est consigné, signé, ratifié — et toujours contraignant.
La véritable histoire n’est pas celle que certains médias cherchent à fabriquer. La véritable histoire est celle qu’ils refusent de raconter. Mais il n’est pas trop tard pour s’en souvenir.