L’Algérie a affiché de grandes ambitions en matière de transformation numérique à l’horizon 2030. Sous l’impulsion directe du président de la République, une Stratégie nationale de transformation numérique (SNTN) a été élaborée, présentée comme une référence structurante pour les dix prochaines années. Son objectif est clair : bâtir une Algérie numérique fondée sur une administration connectée, une économie numérique dynamique, et une souveraineté technologique maîtrisée.
Ce que la stratégie promet d’ici 2030
La SNTN repose sur cinq grands axes stratégiques :
Infrastructure de base TIC : connectivité universelle, 100 % des institutions publiques connectées, au moins 5 centres de données nationaux, et rentabilisation de la bande passante à l’export.
Capital humain, formation et R&D : 500 000 spécialistes TIC formés, réduction de 40 % de la fuite des talents, et création d’un écosystème favorisant l’innovation locale.
Gouvernance numérique : 100 % des services publics numérisés, 100 % d’interopérabilité entre administrations, identité numérique généralisée, et cadre de gouvernance des données.
Économie numérique : 20 % du PIB issu du numérique, 100 000 start-ups créées, 1 milliard USD d’IDE, et 500 millions USD d’exportation de services TIC.
Société numérique : inclusion numérique totale, contenu culturel numérique national, implication citoyenne via les outils numériques, et accueil de grands acteurs internationaux du secteur.
La stratégie revendique également une approche fondée sur la souveraineté numérique, l’indépendance technologique, la cybersécurité (en coordination avec le ministère de la Défense), et la centralité du citoyen et de l’entreprise dans toutes les décisions.
Mais à un an d’intervalle, plusieurs interrogations émergent quant à l’avancement réel du cadre juridique qui devait en être la colonne vertébrale.
Le 23 juillet 2024, la Haut-commissaire à la numérisation, Mme Meriem Benmouloud, annonçait que la stratégie était fin prête. Elle indiquait que le projet de loi sur la numérisation était en phase de finalisation, élaboré après 14 ateliers tenus en novembre 2023, ayant permis de dégager plus de 300 recommandations. La dernière version de la stratégie avait été transmise à la Présidence, et l’on évoquait une loi-cadre conçue pour durer dix ans.
Le 4 juin 2024, lors d’un séminaire officiel, elle précisait même que la promulgation de la loi était envisageable avant la fin de l’année. Ce texte devait encadrer des domaines clés comme l’administration numérique, l’intelligence artificielle, les transactions électroniques, ou encore la protection des citoyens face aux mutations technologiques.
Or, dans son discours du 12 mai 2025, à l’occasion de la présentation publique de la stratégie, Mme Benmouloud évoque toujours un texte en cours d’élaboration. Aucun calendrier révisé n’a été communiqué, et le processus législatif semble encore inachevé.
En effet, Le document stratégique validé en août 2024 consacre un chapitre entier aux « fondements de la stratégie », parmi lesquels figure le cadre légal et réglementaire. Il y est inscrit noir sur blanc que :
« L’élaboration d’une Loi, inclusive, régissant et régulant le domaine du numérique en Algérie et assurant l’accélération de sa transformation numérique »
« L’adaptation et l’harmonisation des textes juridiques en vigueur avec les dispositions de cette nouvelle loi »
(SNTN, p. 21)
Cette formulation confirme que l’élaboration de la loi est intégrée comme un chantier structurant, mais sans indiquer d’échéance ni de stade d’achèvement. Loin d’une contradiction frontale, cela signale toutefois un glissement de calendrier par rapport aux annonces initiales.
La loi est-elle un frein immédiat ? Pas forcément.
Si la stratégie nationale présente la future loi sur la numérisation comme un pilier fondamental, il est utile de rappeler que son absence à ce stade ne bloque pas, à elle seule, la mise en œuvre de la transformation numérique.
En effet, plusieurs chantiers peuvent avancer en parallèle grâce à des textes réglementaires existants, ou par décret sectoriel, comme ce fut le cas pour le passeport biométrique, le casier judiciaire en ligne ou la carte e-Chifa. L’administration dispose d’une marge de manœuvre pour expérimenter, structurer et mutualiser certains outils sans attendre un cadre unifié.
De plus, d’autres obstacles plus pressants subsistent, même avec une loi :
des systèmes informatiques ministériels encore incompatibles,
des infrastructures numériques inégalement déployées,
une culture administrative peu familière avec les logiques d’interopérabilité et de dématérialisation,
et surtout, un déficit de compétences numériques dans de nombreux services.
Dans ce contexte, la priorité pourrait être de stabiliser les conditions d’application, former les cadres, tester des plateformes d’échange de données, avant d’enchâsser ces dispositifs dans un texte général.
Autrement dit, la loi sera décisive pour structurer durablement le numérique en Algérie, mais elle n’est pas en elle-même une urgence bloquante. Ce qui compte aujourd’hui, c’est d’assurer que les outils, les équipes et les infrastructures soient prêts à l’appliquer — efficacement, et sur tout le territoire.
Pour une communication claire et un débat ouvert
En consequence… cette situation ne remet pas en cause la solidité de la vision portée par la stratégie 2030, ni la mobilisation des acteurs publics autour de ses grands axes, Ni surtout les realisations deja opérationnelles. Mais elle souligne la nécessité d’une communication plus régulière et plus transparente pour expliquer les éventuels ajustements, retards ou réorientations.
À ce titre, les experts du secteur numérique, les juristes, les ingénieurs et les entrepreneurs ont un rôle essentiel à jouer. Leur contribution, leurs analyses et leurs retours d’expérience pourraient aider à identifier les freins techniques ou administratifs, enrichir le débat public, et contribuer à faire de ce projet une réussite collective.
Nous lançons donc un appel à tous ceux qui s’intéressent au devenir numérique de l’Algérie : chercheurs, praticiens, innovateurs — partagez vos réflexions, proposez vos idées, commentez cette dynamique. Car le numérique ne peut réussir que s’il est ouvert à l’intelligence collective.