On croit souvent que la Norvège et l’Algérie n’ont rien en commun, sinon le pétrole. Pourtant, leurs économies partagent bien plus de similitudes qu’on ne l’imagine : un socle rentier, un rêve de diversification, et la même question brûlante — que faire après la rente ? Cet article explore ces parallèles déroutants et montre comment les leçons norvégiennes pourraient inspirer une Algérie enfin prête à bâtir son avenir post-pétrole.
Introduction : un objectif incontournable pour l’Algérie
La diversification de l’économie est devenue un leitmotiv du discours économique en Algérie, à tel point que même le Fonds monétaire international (FMI) salue les réformes engagées en ce sens. Lors d’une récente mission à Alger, le chef de mission du FMI Charalambos Tsangarides a jugé que l’Algérie est « sur la bonne voie » pour diversifier son économie, soulignant les efforts d’amélioration du climat des affaires et le soutien à l’investissement privédnalgerie.com. Il a mis en exergue des initiatives concrètes – guichet unique pour l’accès au foncier, promotion du e-commerce, alignement des exportations sur les normes internationales – qui montrent une volonté de sortir d’un modèle trop centré sur les hydrocarbures. Les résultats macroéconomiques récents viennent appuyer cet optimisme : en 2024, la croissance algérienne a atteint 3,6 %, tirée par un dynamisme de +4,2 % dans les secteurs hors hydrocarbures. L’inflation a ralenti de 9,3 % à 4,1 % entre 2023 et 2024, et les réserves de change restent confortables (14 mois d’importations fin 2024). Autant d’indicateurs qui laissent penser que l’économie algérienne se consolide sur des bases plus solides. Certes, « le chemin vers une diversification complète est encore long », reconnaît le FMI, mais il note une dynamique progressive et constructive engagée par le pays.
Pourtant, derrière ce consensus sur la nécessité de diversifier, une question s’impose : de quoi parle-t-on exactement lorsque l’on prône la diversification économique ? S’agit-il simplement de développer plusieurs secteurs d’activité à la fois ? Ou bien d’une transformation plus profonde, impliquant résilience et innovation ? Enfin, l’objectif est-il réellement atteignable, ou bien relève-t-il en partie du mythe – une illusion bien gérée par les pays qui en font un slogan ? Cet article académiquo-journalistique propose d’éclaircir ces enjeux à travers quatre axes d’analyse, avant de conclure sur l’exemple de la Norvège comme modèle inspirant pour l’Algérie, en particulier via la gestion intelligente de la rente pétrolière.
Axe 1 – Diversification : de quoi parle-t-on au juste ?
Tout le monde invoque la « diversification » économique, mais le terme recouvre des réalités multiples. Diversifier ne signifie pas seulement “avoir plusieurs secteurs” de manière superficielle. D’après la définition retenue par la CNUCED, la diversification peut être définie comme une augmentation de la variété de la production et des exportations, ou comme une réduction de leur concentrationunctad.org. En clair, une économie diversifiée peut se mesurer par le nombre de filières significatives qu’elle comporte, et/ou par le poids moindre de chaque filière dans l’ensemble (pas de monopole d’un seul secteur). On distingue ainsi la diversification horizontale (élargir la base de production à de nouveaux secteurs) de la diversification verticale (monter en gamme dans une filière existante en ajoutant de la valeur localement). Par exemple, transformer une partie du pétrole extrait en plastiques ou produits chimiques localement constitue une diversification verticale avancée pour un pays exportateur de brut. De même, élargir la gamme de produits agricoles exportés, ou développer le tourisme en parallèle de l’industrie, relèvent de la diversification horizontale. Dans les deux cas, l’objectif est de réduire la concentration de l’économie autour d’une seule source de revenus.
En pratique, on peut analyser la diversification d’une économie sous plusieurs angles complémentaires. Le tableau suivant illustre quelques mesures clés souvent examinées par les institutions internationales (FMI, Banque mondiale…) :
Indicateur de diversification | Ce qu’il mesure | Exemple / pertinence |
---|---|---|
Répartition du PIB par secteur | Part des grandes branches (agriculture, industrie manufacturière, industrie extractive, services) dans le PIB. Un PIB équilibré entre plusieurs secteurs traduit une diversification structurelle de l’appareil productif. | Ex. L’Algérie a réduit la part des hydrocarbures dans son PIB de 44 % en 2005 à environ 20 % en 2019afdb.org, au profit des services et de l’agriculture. C’est un progrès structurel, même si l’économie reste vulnérable aux chocs pétroliers. |
Concentration des exportations | Degré de dépendance à quelques produits dans les ventes à l’étranger. On utilise par exemple l’indice de Herfindahl-Hirschman (HHI) ou plus simplement la part du premier produit d’exportation dans le total. Un pays est dit tributaire d’un produit de base quand celui-ci domine ses exportations. | Ex. Les hydrocarbures représentaient encore plus de 90 % des exportations algériennes en 2023openknowledge.worldbank.org, témoignant d’une concentration extrême. En Norvège, malgré une économie diversifiée, le pétrole et le gaz fournissent plus de la moitié des exportations du payslemoci.com. |
Indice de complexité économique (ECI) | Indicateur synthétique (développé par Harvard) qui évalue la sophistication et la diversité des produits exportés par un pays. Un ECI élevé correspond à une économie exportant une grande variété de produits à haute valeur ajoutée (biens industriels complexes, technologies, etc.). | Ex. Le Japon, la Suisse ou l’Allemagne figurent en tête du classement de complexité économiquefr.wikipedia.org. À l’inverse, des pays mono-exportateurs de matières premières ont un ECI très bas. L’ECI est corrélé à la résilience et à la croissance de long terme, car il reflète une base productive diversifiée et innovante. |
Diversification de l’emploi | Répartition de la main-d’œuvre sur plusieurs secteurs d’activité. Cela permet de voir si l’essentiel de la population active dépend d’un seul secteur (ce qui augmenterait le risque social en cas de crise sectorielle) ou si l’emploi est diversifié. | Ex. En Algérie, la part des emplois dans l’agriculture a chuté de 20 % en 1990 à 10 % en 2018 tandis que les services sont passés de 13 % à 26 % de l’emploiafdb.org. L’essor des services signale une diversification du marché du travail, même si le secteur public et les hydrocarbures concentrent encore une large part des emplois directs et indirects. |
Recettes publiques hors rente principale | Part des revenus budgétaires provenant de sources autres que la rente dominante (pétrole, gaz, mines…). Ce critère indique dans quelle mesure l’État a diversifié son assiette fiscale et ses ressources. | Ex. Dans les pays pétroliers, les recettes budgétaires fluctuent au gré du prix du baril. Le FMI insiste sur l’importance d’élargir l’assiette fiscale pour stabiliser les finances publiquesunctad.orgunctad.org. L’Algérie, par exemple, tire encore près de 60 % de ses recettes fiscales des hydrocarbures selon Cofacecoface.com. Réduire cette dépendance fiscale est crucial pour soutenir les dépenses publiques en cas de choc pétrolier. |
Résilience aux chocs | Capacité de l’économie à absorber un choc exogène (effondrement du prix d’un produit, catastrophe naturelle, crise financière…) grâce à la présence d’autres moteurs de croissance. C’est une mesure plus qualitative, liée aux précédentes. | Ex. Lorsque les cours du pétrole ont chuté en 2014-2015, de nombreux exportateurs comme l’Algérie ou le Nigeria ont subi des crises budgétaires sévèresunctad.org. À l’opposé, un pays aux secteurs variés peut voir une branche souffrir sans entraîner l’ensemble de l’économie dans la récession. La résilience passe donc par la diversité des sources de revenus et la flexibilité à réallouer les ressources en cas de besoin. |
Comme on le voit, la diversification peut être structurelle (équilibre sectoriel du PIB, de l’emploi), fonctionnelle (diversité des biens exportés, complexité productive) ou même narrative. En effet, certains gouvernements affichent une volonté de diversification sans que l’économie réelle ne se transforme en profondeur : on peut parler de diversification narrative lorsque la rhétorique politique met en avant de nouveaux secteurs “d’avenir” (startups, énergies renouvelables, tourisme…) alors que dans les faits, le socle historique (par exemple les hydrocarbures) continue d’apporter l’écrasante majorité des devises. Diversifier en surface ne suffit pas : il faut que de nouveaux secteurs prennent effectivement le relais du secteur dominant en termes de productivité, d’exportations et d’emplois, ce qui est un processus long et exigeant.
Enfin, un lien important à retenir est celui entre diversification et résilience. Plus une économie présente de secteurs d’activité variés, plus elle est considérée comme résiliente face aux aléasfr.wikipedia.org. À l’inverse, une économie concentrée sur quelques produits ou ressources est vulnérable : un choc sur son secteur-clé (effondrement du prix d’une matière première, sanctions, révolution technologique rendant ce produit obsolète, etc.) peut ébranler sa stabilité. C’est pourquoi la diversification est souvent qualifiée d’“idéale” : en théorie, elle réduit le risque systémique. Mais en pratique, comme on le verra, même les pays les plus avancés ont rarement une diversification parfaite – ils ont souvent un talon d’Achille ou un pilier central qui supporte l’ensemble.
Axe 2 – Des économies intrinsèquement diversifiées existent-elles ?
L’idée de diversification évoque une image un peu utopique d’une économie répartie équitablement entre une multitude de secteurs indépendants. Or, si l’on observe les grandes puissances économiques, on réalise qu’aucune n’est diversifiée de manière uniforme – chacune a ses points forts et ses secteurs dominants. Il est vrai que des pays comme l’Allemagne, le Japon ou les États-Unis présentent une diversité industrielle impressionnante, surtout en comparaison des économies rentières. L’Allemagne, par exemple, dispose d’une base manufacturière très large : automobile, construction mécanique, chimie, électrotechnique, etc., ce qui en fait l’archétype de l’économie diversifiée en Europe. Pourtant, même là, un pilier se distingue nettement – l’industrie automobile reste un moteur essentiel de l’économie allemande (environ 5 à 7 % du PIB et des centaines de milliers d’emplois directs). On dit souvent que « l’industrie automobile est un pilier de l’économie allemande »deutschland.de, tant ce secteur concentre une part des exportations et symbolise le savoir-faire du pays. Cette prédominance relative n’empêche pas l’Allemagne d’être résiliente : si le marché automobile tousse, le pays peut compter sur d’autres secteurs (machines-outils, pharmacie, agroalimentaire, etc.) pour amortir le choc – ce qui n’est pas le cas d’un État mono-exportateur de pétrole.
Le cas du Japon est également instructif. Après la Seconde Guerre mondiale, dépourvu de ressources naturelles, le Japon a construit sa diversification par nécessité en développant un large spectre d’industries (sidérurgie, construction navale, électronique, automobile, chimie…) dans le cadre d’une politique industrielle volontariste. Aujourd’hui, l’économie japonaise est la troisième du monde et exporte aussi bien des automobiles et des machines-outils que des composants électroniques ou des produits de haute technologie. Néanmoins, le Japon demeure tributaire de quelques marchés clés : l’automobile et l’électronique grand public, par exemple, dont les performances conditionnent sa balance commerciale. Ainsi, la diversification japonaise est réelle mais elle s’est construite autour de deux piliers centraux (automobile et électronique) qui concentrent une large part de la valeur ajoutée manufacturière. Cela illustre un point général : diversifier ne veut pas forcément dire “éliminer toute spécialisation”, mais plutôt éviter de n’avoir qu’une seule spécialisation.
Quant aux États-Unis, leur économie bénéficie d’une diversification géographique et technologique exceptionnelle, en raison de la taille du pays et de son dynamisme d’innovation. Toutes les filières ou presque y sont représentées, de l’agriculture à la finance, en passant par l’armement, l’aérospatial, la culture, la santé, etc. La richesse américaine provient de sources variées – la Californie s’appuie sur la tech et le divertissement, le Texas sur l’énergie et la pétrochimie, le Midwest sur l’agrobusiness et l’industrie lourde, New York sur la finance, etc. – si bien qu’au niveau agrégé, les États-Unis sont souvent cités en exemple d’économie diversifiée. Cependant, là encore, on peut identifier des piliers dominants à l’ère actuelle : la technologie (GAFAM et innovation numérique) et les services financiers pèsent d’un poids considérable dans la croissance américaine et dans ses exportations invisibles. En 2020, les États-Unis se classaient autour du 11^e rang mondial à l’indice de complexité économiquefr.wikipedia.org, illustrant une base productive très diversifiée, mais ils restent, par choix, spécialisés dans les secteurs où ils excellent (haute technologie, finance, défense…). En cas de crise majeure touchant l’un de ces piliers (par exemple une bulle technologique), l’économie américaine subirait un choc notable, même si sa taille et sa diversité interne lui confèrent une capacité de rebond supérieure à celle d’un petit pays.
Ces exemples montrent que la diversification absolue est rare. Même les économies dites « diversifiées » conservent une structure avec des points d’appui principaux. Souvent, un ou deux secteurs entraînent à eux seuls une large portion de l’appareil productif ou des exportations. La différence fondamentale avec les économies peu diversifiées, c’est que ces piliers s’inscrivent dans un tissu économique riche et varié, ce qui évite à ces nations de s’effondrer si un secteur flanche. L’Allemagne sans ses voitures resterait un grand exportateur de machines-outils et de chimie ; le Japon sans l’électronique aurait encore la mécanique de précision et la robotique ; les États-Unis sans les GAFAM disposent encore de l’agro-industrie, de Hollywood et de la finance mondiale. Autrement dit, la diversification réussie, ce n’est pas l’absence de secteur dominant, c’est la présence autour de celui-ci d’un écosystème suffisamment robuste pour prendre le relais en cas de besoin.
Axe 3 – À la racine, toutes les économies reposent-elles sur un socle dominant ? (Norvège vs Algérie)
Si l’on creuse l’histoire économique de la plupart des pays, on trouve quasiment toujours un socle initial sur lequel le développement s’est appuyé. La vraie question est de savoir comment ce socle est géré et transformé au fil du temps. Prenons deux pays aux racines similaires mais aux destins divergents : la Norvège et l’Algérie. Ces deux nations ont en commun d’être riches en hydrocarbures – du pétrole en mer du Nord pour la Norvège, du pétrole et surtout du gaz saharien pour l’Algérie. Ce sont donc, à l’origine, deux économies rentière (c’est-à-dire tirant l’essentiel de leurs revenus d’une rente naturelle). Pourtant, leurs trajectoires de diversification ont fortement divergé au cours des dernières décennies, au point que la Norvège est souvent citée en exemple de gestion vertueuse de la rente, tandis que l’Algérie peine encore à sortir de la dépendance aux hydrocarbures.
Un rapide comparatif de la structure économique de ces deux pays est édifiant :
Secteur | Norvège – % du PIB / % des exportations | Algérie – % du PIB / % des exportations |
---|---|---|
Agriculture & pêche | ~2 % / ~5 % | ~13 % / ~1–2 % |
Industrie (hors pétrole) | ~30 % / ~30 % | ~38 % / ~10–17 % |
Extraction (pétrole & gaz) | ~5 % / ~50–60 % | ~14 % / ~85–90 % |
Services | ~63 % / ~10–15 % | ~45 % / ~0 % |
Fonds souverain / rente différée | +10–15 % du PIB (impact indirect) | Quasi-absent (FRR alimenté de façon sporadique) |
À première vue, cette matrice montre bien que les deux pays partagent une structure économique relativement comparable : une part modérée de l’extraction dans le PIB, des services importants, une industrie hors pétrole non négligeable. En d’autres termes le socle est en réalité le même dans les deux cas : une rente pétrolière qui irrigue toute l’économie et qui constitue la source dominante des devises et du financement public. La différence ne tient pas à la nature de ce socle – qui est identique – mais à la façon dont il a été géré et transformé. Là où la Norvège a converti cette rente en un levier stratégique d’épargne et de diversification, l’Algérie l’a utilisée principalement pour stabiliser la consommation et financer ses dépenses courantes. Autrement dit, la racine est commune, c’est l’évolution qui diverge.
Ce tableau schématise une réalité complexe mais claire : la Norvège a su réduire au minimum la contribution directe du pétrole au PIB (≈5 %) en développant d’autres activités, tandis que le pétrole reste un modeste employeur en Algérie mais représente une part encore notable du PIB (autour de 14 %). Surtout, côté commerce extérieur, l’Algérie dépend quasiment entièrement de ses hydrocarbures pour ses exportations (85–90 % des recettes à l’export), alors que la Norvège a réussi à diversifier davantage ses ventes : environ la moitié “seulement” de ses exportations proviennent du pétrole et du gazlemoci.com, le reste étant composé de produits industriels (métaux, matériel maritime, etc.) et de quelques services (transport maritime, technologie offshore…). Sur le plan agricole, l’Algérie a un poids de l’agriculture dans le PIB bien plus élevé que la Norvège (près de 13 % contre 2 %), reflet d’une structure encore en développement, mais ces produits agricoles ne constituent qu’une portion infime des exportations algériennes (à peine 1–2 %), signe qu’ils servent surtout au marché intérieur. La Norvège, elle, exporte du poisson et des produits de la mer (d’où 5 % des exports environ), ce qui contribue marginalement au PIB. Enfin – et c’est un élément crucial – la Norvège a transformé sa rente pétrolière en un colosse financier (son fonds souverain), alors que l’Algérie n’a jusqu’à présent qu’un fonds de stabilisation modeste et irrégulièrement approvisionné (le FRR).
Cette divergence trouve son origine dans les choix de gestion du socle rentier. Dès les années 1990, Oslo a instauré le Government Pension Fund Global (alimenté par les revenus pétroliers), avec des règles strictes pour ne pas surstimuler l’économie domestique : l’argent du pétrole est massivement investi à l’étranger via ce fonds souverain, afin d’éviter une surchauffe et de préparer l’après-pétrole. Les résultats sont spectaculaires : ce fonds norvégien, le plus gros du monde, a atteint 1 510 milliards d’euros de valorisation en 2024radiofrance.fr – soit l’équivalent de plus de 3 années de PIB de la Norvège ! – et il est d’une transparence exemplaire (l’ensemble de ses investissements dans plus de 900 entreprises globales sont consultables en ligne par le public). Grâce à cette épargne géante, la Norvège tire des revenus financiers considérables : le fonds peut générer chaque année un rendement qui correspond à environ 10 % du PIB du pays, et la loi n’autorise le gouvernement qu’à en dépenser au maximum 3 à 4 % par an pour équilibrer le budget. Le reste est capitalisé pour les générations futures. En outre, la Norvège a développé autour de son industrie pétrolière des compétences exportables : technologies offshore, services d’ingénierie, construction navale spécialisée, etc. Elle anticipe aussi l’avenir en investissant la rente dans des secteurs verts (capture de carbone, hydrogène, mobilité électrique) pour se réinventer lorsque le pétrole sera épuisélemoci.com.
En Algérie, malgré la création du Fonds de Régulation des Recettes (FRR) en 2000 pour épargner les excédents pétroliers, la gestion a été moins pérenne. Le FRR a bien accumulé jusqu’à 32 milliards $ d’actifs en 2015fr.wikipedia.org, mais le choc pétrolier de 2014-2015 a conduit à puiser dedans pour combler les déficits budgétaires : le fonds a été entièrement épuisé en 2017. Autrement dit, l’Algérie a utilisé son bas de laine pendant la crise au lieu de le préserver, ce qui a certes amorti le coup à court terme mais n’a pas laissé de véritable coussin de long terme. Avec le rebond des cours de 2021-2022, le FRR a été partiellement renfloué (environ 30 milliards $ fin 2024), redevenant ainsi le 3^e fonds souverain d’Afrique par sa taille. Mais ce montant reste sans commune mesure avec la Norvège (30 Mds $ vs 1 500 Mds € !) et surtout, la gouvernance et la transparence n’ont pas atteint les standards norvégiens. L’Algérie a, par ailleurs, tardé à développer des industries hors hydrocarbures compétitives à l’export : sa part d’industrie manufacturière dans le PIB (hors pétrole) a même diminué depuis les années 1980 (autour de 5-6 % du PIB ces dernières annéesafdb.org), signe d’une désindustrialisation relative. Le pays reste très dépendant des revenus d’exportation de gaz/pétrole pour financer ses importations et son budget, ce qui le rend vulnérable aux aléas du marché mondial de l’énergie.
Ces constats suggèrent que toute économie a un socle dominant, mais que ce socle peut être géré de façon intelligente pour servir de tremplin vers la diversification au lieu d’être un piège. La Norvège n’a pas nié son statut de pays pétrolier – au contraire, elle l’a pleinement assumé – mais elle a transformé la malédiction potentielle de la rente en bénédiction : bonne gouvernance, épargne de précaution, investissement massif dans l’éducation et les infrastructures avec l’argent du pétrole, et préparation du futur post-pétrole. Ainsi, son socle rentier demeure (les puits en mer du Nord tournent toujours), mais il n’hypothèque pas l’avenir du pays. Singapour est un autre exemple souvent cité : ce petit État a bâti sa prospérité initiale sur un avantage géographique (port stratégique) et un rôle de plateforme financière, puis a su s’étendre à de nombreux domaines (électronique, biotechnologies, tourisme d’affaires). Singapour reste fondamentalement tributaire du commerce mondial et de la finance, mais en a fait un socle hyper-diversifié en grappe d’activités à haute valeur ajoutée – preuve que même sans ressources naturelles, un « socle » peut être un choix stratégique (ici, être un hub international) plutôt qu’une rente subie.
En contraste, des pays comme l’Algérie ou d’autres exportateurs de matières premières ont souvent vu leur socle dominant absorber toute l’attention au détriment du reste. L’erreur serait de croire que la diversification consiste à oublier ou à éliminer son secteur-phare : au contraire, il s’agit d’en canaliser les ressources pour développer le reste. Les économies qui réussissent à se diversifier ne renient pas leur passé, elles bâtissent à partir de lui. Il ne sert à rien de “tuer” la poule aux œufs d’or (pétrole, gaz, minerais…), mais il est indispensable d’utiliser une partie des œufs pour faire éclore d’autres poules dans le poulailler économique. C’est cette alchimie que la Norvège a réussie, là où l’Algérie tâtonne encore.
Axe 4 – Diversité en surface ou capacité de rebond ? Vers la « diversification stratégique »
Un enseignement crucial des points précédents est que la finalité réelle de la diversification, c’est la résilience et le développement durable. Il ne s’agit pas de diversifier pour cocher une case ou pour la vitrine. Ce qui importe au bout du compte, c’est que l’économie soit capable de rebondir en cas de coup dur et d’assurer un niveau de vie élevé sur le long terme, au-delà des fluctuations d’un secteur. Dès lors, certains analystes préfèrent parler de diversification stratégique plutôt que simplement sectorielle. Une diversification stratégique signifie orienter son économie de manière à pouvoir encaisser les chocs externes et à exploiter de nouvelles opportunités, même si cela implique de conserver une spécialisation de départ.
À cet égard, on peut se demander si certains pays ne donnent pas l’illusion de la diversité pour mieux gérer en réalité leur dépendance centrale. Par exemple, nombre de pays du Golfe affichent des vitrines de diversification (tourisme de luxe, transport aérien, énergies renouvelables naissantes, divertissement sportif…) alors que l’essentiel de leur richesse continue de provenir du pétrole et du gaz. On peut citer le cas des Émirats arabes unis ou de l’Arabie saoudite : Dubaï a construit des gratte-ciels et diversifié ses sources de revenus (commerce, finance, tourisme), mais l’économie fédérale des Émirats reste soutenue en sous-main par Abu Dhabi et ses hydrocarbures. De même, Vision 2030 en Arabie saoudite promeut une reconversion dans de multiples secteurs, mais à l’horizon de cette décennie, la rente pétrolière demeure le poumon financier permettant de financer ces projets. Faut-il y voir une diversification de façade ? Pas nécessairement, si ces investissements aboutissent à créer de véritables alternatives économiques d’ici une ou deux générations. Le danger, en revanche, est de se satisfaire d’une diversification cosmétique – multiplier les projets sans rentabilité ou les secteurs artificiels subventionnés – sans construire de réelles capacités endogènes. Dans ce cas, la moindre crise remettrait en lumière la fragilité du système.
Plutôt que de juger la diversification à la seule diversité en surface, il faudrait donc la mesurer à l’aune de la capacité de rebond. Un pays est vraiment diversifié lorsqu’il peut supporter la perte temporaire ou définitive de son secteur principal sans sombrer. Cela implique d’avoir soit d’autres secteurs suffisamment matures pour prendre le relais, soit un matelas de sécurité (financier, institutionnel) pour effectuer la transition. C’est ici qu’entre en jeu la notion de fonds souverain et de gestion intertemporelle des ressources. Un État comme la Norvège, on l’a vu, peut se permettre une transition énergétique (par exemple sortir progressivement du pétrole) sans drame économique, car son immense fonds souverain compensera les revenus perdus et financera la diversification (c’est une forme de résilience financière). À l’inverse, un pays diversifié en apparence mais sans épargne ni institutions solides pourrait s’effondrer si son secteur-clé faiblit, faute de pouvoir soutenir les secteurs secondaires. La qualité des politiques publiques (gouvernance, éducation, infrastructure, climat des affaires) est un facteur déterminant pour transformer la diversité potentielle en véritable rebond effectif en cas de choc.
On pourrait proposer un indicateur composite de “diversification stratégique” qui tiendrait compte de plusieurs dimensions : part du secteur principal dans PIB/exports, ampleur du fonds souverain ou des réserves de change par rapport au PIB, indice de complexité économique, niveau d’éducation de la population, etc. L’idée serait de capter non seulement la photographie statique de l’économie (diversité sectorielle) mais aussi sa dynamique adaptative. Un pays comme la Norvège aurait un score exceptionnel sur un tel indicateur : secteur dominant présent mais sous contrôle, énormes réserves financières, haute complexité économique dans les secteurs secondaires, institutions stables. Un pays comme l’Algérie aurait un score plus faible malgré des efforts récents : secteur dominant encore prépondérant, fonds souverain embryonnaire, complexité économique limitée (exportations concentrées), et institutions en réforme. Cela n’indique pas que l’Algérie n’est pas sur la voie de l’amélioration (comme l’indique le FMI), mais souligne le chemin restant à parcourir pour atteindre une vraie immunité économique contre les chocs pétroliers.
En fin de compte, l’objectif idéal de la diversification économique n’est pas tant d’additionner les secteurs pour le principe, mais de bâtir une économie agile, moins vulnérable et porteuse de développement. Cela peut signifier, pour certains pays, accepter qu’on ne pourra pas tout faire : mieux vaut exceller dans quelques filières et en développer d’autres connexes, que de s’éparpiller artificiellement. Par exemple, la Norvège n’a pas cherché à avoir une industrie automobile ou textile de masse ; elle a capitalisé sur son expertise énergétique pour se diversifier dans et autour de l’énergie (services offshore, énergies vertes, finance pétrolière), tout en investissant ses surplus à l’international pour les générations futures. Ce modèle différencié lui assure une résilience hors pair.
Conclusion : La Norvège, modèle idéal pour l’Algérie ?
Nous avons vu que la diversification est un processus complexe, souvent plus facile à prescrire qu’à réaliser. Pour l’Algérie, comme pour d’autres économies dépendantes d’une rente, la diversification demeure un idéal stratégique à poursuivre – non pas pour cocher une case dans les rapports du FMI, mais pour garantir la prospérité à long terme du pays. Il ne s’agit pas de nier l’importance actuelle des hydrocarbures (qui resteront encore des années la principale source de devises), mais de préparer activement l’avenir dès maintenant. Sur ce plan, la Norvège apparaît comme un modèle inspirant. Son expérience prouve qu’un pays pétrolier peut, par une gestion avisée, convertir une richesse épuisable en atout durable pour l’économie. La clé de ce succès tient en quatre points : vision de long terme, gouvernance transparente, investissement dans le capital humain et technologique, et discipline budgétaire grâce au fonds souverain.
Pour l’Algérie, s’inspirer du modèle norvégien pourrait signifier concrètement : transformer le FRR en un véritable fonds souverain performant et transparent. Autrement dit, au lieu d’utiliser la totalité des recettes pétrolières pour les dépenses courantes, en placer une part significative dans un fonds géré de manière indépendante, investi sur les marchés internationaux, avec des règles strictes pour éviter d’y puiser de façon discrétionnaire. À ce jour, le FRR algérien a été trop souvent un instrument conjoncturel – rempli quand les prix du brut sont hauts, vidé lors des crises – plutôt qu’un levier structurel. Le renflouement du FRR à 30 milliards $ en 2024fr.wikipedia.org offre une chance de changement : cette manne peut servir de base à un fonds souverain « nouvelle formule », qui financerait à la fois la stabilité macroéconomique et des investissements stratégiques dans la diversification (infrastructures, PME exportatrices, énergies renouvelables, nouvelles technologies, agro-industrie compétitive, etc.). Il va de soi qu’un tel fonds doit s’accompagner d’une transparence exemplaire et d’une gestion professionnelle – à l’image du fonds norvégien où “tout est transparent : on peut voir tous les investissements sur Internet”radiofrance.fr. La confiance des citoyens et des partenaires étrangers en dépend.
Bien sûr, copier-coller le modèle norvégien n’est pas chose aisée. La Norvège est un petit pays homogène, déjà développé au moment de la découverte du pétrole, avec des institutions solides héritées d’une longue tradition démocratique. L’Algérie fait face à des défis différents : une population bien plus nombreuse et jeune, des besoins sociaux pressants, une économie politiquement marquée par le poids de l’État et de la rente depuis des décennies. La diversification ne se décrète pas, elle se construit pas à pas. Néanmoins, l’exemple norvégien constitue une boussole indiquant la direction à suivre. Il rappelle qu’une rente bien gérée peut fonder un cercle vertueux : la richesse d’aujourd’hui finance la diversification de demain, qui elle-même assure la richesse des générations futures une fois la rente épuisée. À l’inverse, une rente mal gérée enferme l’économie dans un cercle vicieux de dépendance : on consomme le présent au détriment du futur, et quand la ressource vient à manquer (ou que son prix s’effondre), on se retrouve démuni.
En conclusion, la diversification économique n’est ni un mirage inaccessible ni un remède miracle instantané. C’est un idéal vers lequel tendre, fait de choix stratégiques, d’investissements judicieux et de réformes structurelles souvent ardues. L’Algérie semble avoir pris conscience de ces enjeux : les réformes saluées par le FMI en sont un signe encourageant. Reste à maintenir le cap sur le long terme. Diversifier, c’est semer aujourd’hui pour récolter demain. Le chemin est exigeant, mais comme le montre la réussite norvégienne, l’enjeu en vaut la peine : au bout, c’est la promesse d’une économie plus robuste, plus innovante et souveraine face aux aléas du monde.
Hope & ChaDia