Par Hope&ChaDia
Une réédition à contre-courant
Rachid Boudjedra revient, avec une vigueur intacte, sur un de ses ouvrages les plus polémiques : Les Contrebandiers de l’Histoire, publié à l’origine il y a sept ans, aujourd’hui republié dans une version enrichie par les éditions algériennes Dar El Hikma.
Dans cet entretien diffusé par la Télévision algérienne, l’auteur explique les raisons de cette réédition : l’actualité culturelle et politique algérienne, marquée selon lui par une prolifération de discours toxiques relayés par certains écrivains algériens francophones, rendait indispensable une actualisation de son réquisitoire. Il ne s’agit pas d’un livre figé, dit-il, mais d’une riposte en mouvement à des attaques récurrentes contre la mémoire nationale.
L’affaire Camus et la mémoire détournée
Un pan important de la critique de Boudjedra vise la tentative de réhabilitation d’Albert Camus par une partie de l’intelligentsia algérienne francophone. Il évoque notamment la “caravane Camus” organisée par l’ambassade de France pour le centenaire de l’auteur. Pour Boudjedra, Camus est un écrivain moyen, certes, mais surtout un colonialiste notoire.
Il rappelle que Camus a explicitement soutenu le maintien de l’Algérie française et rejeté la révolution algérienne, comme l’attestent certaines de ses lettres, où il qualifiait le FLN de groupe “terroriste” et exprimait sa crainte pour sa mère vivant à Alger.
Ce camouflage idéologique, poursuit Boudjedra, participe à la fabrication d’une mémoire coloniale aseptisée, soutenue par des écrivains algériens qui “vendent” leur pays pour une place dans les cercles éditoriaux européens.
La critique frontale de Kamel Daoud
Au cœur de l’ouvrage, une figure revient avec insistance : celle de Kamel Daoud, accusé par Boudjedra de véhiculer une image dégradante de l’Algérien, notamment à travers des propos publiés dans la presse française. Il cite des déclarations où Daoud aurait qualifié les Algériens de “sales” ou plaidé, ironiquement ou non, pour le retour du colonisateur.
Boudjedra affirme que ces postures, sous couvert de liberté d’expression, relèvent de l’opportunisme, voire d’un travail de sape idéologique. Il déplore également le silence de la majorité des intellectuels algériens face à ce qu’il considère comme des dérives graves.
Entre aliénation et névrose postcoloniale
L’écrivain mobilise Frantz Fanon et Ibn Khaldoun pour théoriser ce qu’il nomme “la névrose du colonisé” : un besoin maladif de plaire à l’ancien dominateur, même au prix de l’oubli ou du mépris de sa propre identité.
Pour lui, certains écrivains algériens cherchent encore à “gagner l’approbation du colonisateur”, à travers prix littéraires, tribunes et appartenance à des cercles élitistes, souvent liés à la droite française, voire à l’extrême droite. Il cite notamment le cas d’un écrivain, non nommé ici, siégeant dans un conseil d’administration d’un magazine français “sans lectorat, mais idéologiquement très marqué”.
Les écrivains qui glorifient le colonialisme sont un « phénomène conjoncturel » voué à disparaître
Pour Rachid Boudjedra, les auteurs algériens qui adoptent des postures pro-coloniales ou complaisantes vis-à-vis du récit français ne sont pas un courant solide, enraciné dans la société, mais un simple « phénomène conjoncturel ».
Ils finiront absorbés par le système français qui les a portés, dit-il, citant l’exemple de Kamel Daoud que « le public français finira par digérer avec ses prix, ses articles, ses pleurs médiatiques ». Boudjedra dénonce un mimétisme maladif, une quête de reconnaissance de la part de ceux « qui pleurent leur bourreau ».
Ce courant idéologique, assure-t-il, est condamné à s’éteindre. Car « le peuple algérien a une mémoire longue » et la vérité historique finit toujours par ressurgir.
La guerre culturelle : une riposte nécessaire
Boudjedra affirme son choix du combat par l’écriture : “Nous avons combattu avec les armes, aujourd’hui je combats avec la plume”. Il appelle les artistes, journalistes et universitaires algériens à reconstruire un récit national solide, qui n’élude ni les zones d’ombre ni les pages glorieuses, mais qui ne laisse pas place à la falsification.
Selon lui, la faiblesse des politiques éducatives en matière d’enseignement de l’histoire a laissé un vide exploité par des récits biaisés et des produits culturels frelatés, soutenus par des lobbies médiatiques puissants, y compris sionistes, dit-il sans détour.
Vers une reconquête de la conscience historique
L’auteur s’adresse enfin aux jeunes générations, qu’il espère éveiller à la réalité du combat mémoriel. Il souhaite briser le charme toxique de certains discours pseudo-modernes, qui réduisent l’Algérie à une caricature, et appelle à une réappropriation consciente de son histoire.
L’oubli est un luxe que l’Algérie ne peut plus se permettre, affirme-t-il.
Conclusion : une œuvre, une alerte, une espérance
En dernière instance, Les Contrebandiers de l’Histoire est une tentative de réponse aux manipulations contemporaines de la mémoire. Rachid Boudjedra y défend une vision tranchée mais cohérente : celle d’un écrivain en colère, qui refuse de voir l’Algérie insultée par les siens.
Loin d’un règlement de comptes personnel, ce livre est pour lui un acte d’alerte. Une alerte lancée à ceux qui veulent bien écouter avant qu’il ne soit trop tard.
1 comment
Article très important à passer sur youtube si possible.
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