Deux sommets, deux continents, deux dynamiques, mais une trame de fond commune : la redéfinition des équilibres mondiaux. À Tianjin, la Chine accueillait le sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), réunissant plus de vingt chefs d’État et de gouvernement, dont Vladimir Poutine, Narendra Modi, Recep Tayyip Erdoğan et Xi Jinping. À Alger, l’Intra-African Trade Fair (IATF) ouvrait ses portes, rassemblant plus de 2 000 exposants, 35 000 visiteurs et une cinquantaine de délégations officielles pour stimuler le commerce intra-africain.
Les participants à l’IATF 2025
L’édition 2025 de l’IATF à Alger a pris une véritable dimension politique avec la présence de plusieurs chefs d’État africains. Le président Abdelmadjid Tebboune a accueilli à l’aéroport international Houari-Boumediene ses homologues du Tchad, Mahamat Idriss Déby, de Mauritanie, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, de Tunisie, Kaïs Saïed, ainsi que le président du Conseil présidentiel libyen, Mohamed Younes El-Menfi.
Aux côtés de ces dirigeants, d’autres personnalités de haut rang ont rejoint Alger, parmi lesquelles le président sahraoui Brahim Ghali, l’ancien président nigérien Mahamadou Issoufou, le Premier ministre burundais Nestor Ntahontuye, et l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo en sa qualité de président du Conseil consultatif de l’IATF.
De nombreux ministres et responsables africains ont également participé : ceux du commerce et de l’industrie de Sierra Leone, de Centrafrique, du Rwanda, de l’Ouganda, du Sénégal, du Nigeria, de la Tanzanie, ainsi que la ministre des Affaires étrangères du Mozambique. La vice-présidente de la Commission de l’Union africaine, Selma Haddadi, et la vice-présidente de Namibie, Lucia Witbooi, figuraient aussi parmi les invités de marque.
Au total, des délégations de 140 pays et plus de 2 000 entreprises africaines et internationales ont convergé vers Alger pour cette foire, confirmant le caractère continental et international de l’événement.
Derrière ces deux événements, une convergence : celle d’un Sud global qui cherche à s’organiser, à se doter d’institutions solides et à réduire sa dépendance vis-à-vis des centres traditionnels de pouvoir. Et au cœur de cette dynamique, deux acteurs qui assument un rôle semblable dans leurs sphères régionales : la Chine en Asie et l’Algérie en Afrique.
L’OCS à Tianjin : la multipolarité comme horizon
Le sommet de l’OCS à Tianjin n’a laissé aucune ambiguïté. Pékin et Moscou ont voulu envoyer un message clair : le monde n’est plus unipolaire. La présence conjointe de Poutine, Xi et Modi, aux côtés d’Erdoğan et de nombreux dirigeants d’Asie centrale, a donné une dimension inédite à l’événement.
La Chine a mis en avant l’idée d’une banque de l’OCS, destinée à renforcer la coopération économique et financière au sein de l’organisation. Vladimir Poutine, lui, a profité de la tribune pour rejeter sur l’Occident la responsabilité du conflit ukrainien, se présentant comme victime de sanctions injustes.
Mais au-delà des discours, c’est le symbole qui compte. L’OCS, fondée en 2001, s’est imposée en deux décennies comme une plateforme structurante du « Global South », regroupant près de la moitié de la population mondiale et affirmant une volonté de peser face au G7 et à l’OTAN.
L’IATF à Alger : l’intégration économique comme boussole
À Alger, la tonalité était différente, mais le fond similaire. L’IATF 2025 a été présenté comme la grande foire économique de l’Afrique, avec l’ambition de générer 44 milliards de dollars de contrats et d’accords. Le Président Tebboune, accompagné de l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo et de responsables de l’Afreximbank et de la ZLECAf, a martelé un message simple : « L’Afrique est l’avenir ».
L’événement ne s’est pas limité à une vitrine commerciale. L’Afreximbank a annoncé la transformation de l’IATF en entité permanente, dotée d’un siège à Harare et d’une capitalisation initiale de 28 millions de dollars. Autrement dit, une institutionnalisation de la plateforme, à l’image de ce que tente la Chine avec l’OCS.
La foire a également mis en avant des thématiques clés : l’innovation verte, le rôle des diasporas africaines, l’économie créative (via CANEX), et surtout la mise en œuvre de la ZLECAf, projet phare de l’Union africaine.
Deux approches, une même finalité
L’OCS et l’IATF ne poursuivent pas les mêmes objectifs immédiats. Le premier est centré sur la géopolitique et la sécurité, le second sur l’économie et le commerce. Mais tous deux partagent une finalité commune : créer des espaces de souveraineté régionale, hors des cadres imposés par l’Occident.
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La Chine et la Russie utilisent l’OCS comme vitrine diplomatique pour démontrer la fin de l’unilatéralisme américain.
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L’Afrique, à travers l’IATF, bâtit les bases d’une souveraineté économique, en renforçant les échanges internes et en réduisant sa dépendance vis-à-vis des importations européennes ou asiatiques.
Ces dynamiques participent d’un même mouvement : le rééquilibrage des rapports de force mondiaux.
La Chine et l’Algérie : deux rôles-miroirs
C’est ici que la comparaison devient la plus intéressante. La Chine et l’Algérie, chacune dans son espace géographique, jouent un rôle semblable : celui de pivot régional.
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La Chine agit comme catalyseur asiatique, fédérant autour d’elle des puissances émergentes parfois concurrentes (Inde, Turquie, Russie) mais capables de trouver un terrain d’entente dans le cadre de l’OCS. Elle se pose en alternative systémique au modèle occidental, en proposant des structures financières et économiques nouvelles.
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L’Algérie, de son côté, assume un rôle similaire en Afrique. En accueillant l’IATF, elle s’affirme comme hôte et moteur d’une intégration africaine qui dépasse les rivalités régionales. Elle se place au centre de la ZLECAf, tout en se présentant comme porte d’entrée méditerranéenne du continent.
Dans les deux cas, on retrouve une même fonction : celle de plateforme, un lieu où les intérêts convergent, où les projets prennent corps, et où l’on donne forme à une nouvelle souveraineté collective.
La souveraineté comme fil conducteur
Le mot qui relie Tianjin et Alger, c’est bien celui de souveraineté.
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Pour l’OCS, il s’agit d’une souveraineté géopolitique : résister aux pressions militaires, diplomatiques et économiques de l’Occident.
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Pour l’IATF, il s’agit d’une souveraineté économique : ne pas dépendre éternellement des importations alimentaires ou manufacturières, créer des chaînes de valeur africaines et stimuler l’industrialisation.
Les deux démarches sont complémentaires : une souveraineté sans économie est fragile, une économie sans souveraineté est vulnérable.
Une convergence du Sud global
On peut y voir une convergence plus large : l’émergence d’un Sud global qui refuse désormais de subir, et qui propose ses propres cadres d’action.
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En Asie, l’OCS devient un bloc politique et sécuritaire de premier plan.
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En Afrique, l’IATF se mue en institution économique continentale.
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Dans les deux cas, on observe la même logique : institutionnaliser, péréniser, construire des alternatives.
Et c’est là le signe d’un tournant. Le Sud global n’est plus seulement une catégorie descriptive, il devient un acteur collectif, capable de s’organiser et de peser sur l’agenda mondial.
L’effet miroir Chine–Algérie
À mes yeux, l’effet miroir est saisissant.
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La Chine, puissance mondiale établie, consolide son rôle de leader asiatique en offrant une plateforme d’équilibre.
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L’Algérie, puissance régionale montante, confirme sa vocation de hub africain et méditerranéen en accueillant un événement structurant pour tout le continent.
Toutes deux assument un rôle de médiateur et de catalyseur, un rôle qui dépasse la stricte défense de leurs intérêts nationaux pour s’élargir à une mission régionale, voire civilisationnelle.
Une même trajectoire, deux échelles
L’OCS et l’IATF ne sont pas comparables en taille ni en moyens, mais ils partagent une même trajectoire : celle de blocs non occidentaux qui se dotent de leurs propres règles, institutions et récits.
La Chine et l’Algérie y apparaissent comme deux pôles complémentaires :
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L’une incarne la puissance déjà consolidée qui cherche à remodeler l’ordre mondial.
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L’autre incarne la puissance régionale qui construit des bases solides pour le futur.
Dans cette logique, Alger est à l’Afrique ce que Pékin est à l’Asie : un point d’ancrage, un centre de gravité.
Et demain ?
La coïncidence de calendrier n’est peut-être pas fortuite. L’OCS et l’IATF, tenus à quelques jours d’intervalle, démontrent que le Sud global avance désormais sur plusieurs fronts : diplomatique, sécuritaire et économique.
Mon sentiment est clair : nous assistons à une recomposition silencieuse mais profonde de l’ordre mondial. L’OCS dessine la géopolitique multipolaire, l’IATF bâtit l’économie multipolaire. Et au cœur de ce double mouvement, la Chine et l’Algérie se lèvent comme les deux pivots de ce nouvel échiquier.
Hope&ChaDia