En Algérie, les débats publics souffrent trop souvent de la pauvreté des idées et du vacarme des polémiques. Les vrais élites, celles qui pensent au pays, se taisent ou restent confinées à leurs cercles académiques, loin des micros et des caméras. On entend beaucoup de bavardage technique, mais rarement la parole d’une élite noble, capable d’élever le débat, de replacer les problèmes concrets dans une perspective plus large, et de donner un souffle à la réflexion collective.
C’est pourquoi l’intervention récente du professeur Kamel Dib retient toute notre attention. Elle n’est pas seulement un plaidoyer pour un ajustement administratif concernant les logements AADL ; c’est avant tout un discours d’élite au sens plein : un discours où l’intelligence pratique se marie à la vision, où la compétence technique s’efface derrière une réflexion humaine et civilisationnelle.
L’Algérie manque cruellement de ce type de parole. Les élites véritablement compétentes, porteuses d’une noblesse intellectuelle et morale, devraient sortir davantage dans l’espace public, non pas pour flatter ou polémiquer, mais pour éclairer, inspirer, proposer. Le message du Pr. Dib est un appel à l’État, mais il est aussi un modèle pour la communauté intellectuelle : oser parler, oser penser, oser proposer.
Le récit fondateur : quand les Pays-Bas déplacèrent une forêt
Le professeur Kamel Dib commence son intervention par une histoire qui, en apparence, n’a rien à voir avec le logement en Algérie. Il raconte qu’aux Pays-Bas, lorsqu’il s’est agi de construire un nouvel hôpital, les autorités avaient trouvé l’endroit idéal dans une zone couverte par une forêt proche de la ville. La solution la plus simple aurait été d’abattre les arbres pour laisser place au chantier.
Mais le pays étant guidé par les principes de la développement durable et du respect de la biodiversité, les responsables ont pris une décision inédite : transplanter la forêt entière. Chaque arbre fut déplacé avec soin, en respectant son emplacement d’origine, son orientation, ses relations invisibles avec les arbres voisins – la manière dont ils partageaient oxygène, terre, lumière.
Plus encore, les travaux furent suspendus pendant un mois pour respecter la courte saison de vie des papillons, afin de ne pas briser leur cycle naturel. Respecter jusqu’à la vie éphémère d’un papillon, voilà la mesure d’une vraie civilisation.
C’est ainsi qu’un hôpital moderne fut construit, mais sans sacrifier la nature. Un projet pensé pour l’humain, mais qui avait commencé par respecter l’arbre et l’insecte.
De la forêt au logement : qu’est-ce que “سكن” ?
De cet exemple, le Pr. Dib glisse vers l’Algérie et ses logements AADL. Il souligne que nous confondons souvent “بيت” (maison), “منزل” (habitation), “دار” (demeure) et “سكن”. Le mot “سكن” vient de sakina – la quiétude, la sérénité. Un logement ne se réduit pas à des murs et à un toit : c’est un espace où l’on doit trouver repos, stabilité, dignité.
Or, dans les faits, beaucoup de bénéficiaires de logements AADL se trouvent insatisfaits : localisation éloignée des lieux de travail, absence d’écoles, manque de transport, voisinage difficile, étages inadaptés pour les personnes âgées, taille des appartements devenue insuffisante à mesure que les familles grandissent. Certains se résignent à occuper leur logement, d’autres le laissent vide, d’autres encore le louent de manière illégale.
Tout cela engendre des conséquences sociales et économiques lourdes : congestion routière, perte de temps, pollution, stress, gaspillage de carburant, usure prématurée des véhicules. Bref, une organisation spatiale du logement qui finit par coûter plus cher à la société qu’elle ne lui rapporte.
La proposition : rendre le logement plus humain
Le Pr. Dib propose alors une idée simple et de bon sens : permettre aux bénéficiaires d’échanger leurs logements selon leurs besoins réels. Une famille qui a un appartement à Bouinan mais travaille à Alger pourrait l’échanger avec une autre qui est dans la situation inverse. Une femme divorcée avec enfants pourrait trouver un logement plus proche de son lieu de travail. Une personne âgée pourrait céder son F4 au 4ᵉ étage pour un F3 au rez-de-chaussée.
Cela pourrait se faire de manière encadrée, avec l’aide des huissiers, notaires, et agences immobilières publiques, en garantissant la légalité et la transparence. Ce système profiterait à tout le monde :
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aux citoyens, qui gagneraient en bien-être et en sérénité,
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aux finances publiques, qui percevraient taxes et droits d’enregistrement,
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aux professions juridiques et administratives, qui trouveraient un nouveau champ d’activité,
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à l’État lui-même, qui verrait se réduire les coûts indirects liés à la mauvaise répartition des logements.
Le Pr. Dib insiste : cette flexibilité transformerait de simples “murs” en véritables سكن – des lieux où la sakina s’installe.
La grande vision : un appel à l’État, et un appel à l’élite
Ce discours dépasse de loin la simple gestion du parc immobilier. Il trace une vision d’ensemble : relier le logement à la mobilité, à l’économie, à la santé publique, à l’environnement. C’est un exemple frappant de ce que peut produire une élite intellectuelle quand elle s’adresse directement au peuple et aux autorités.
Dans un pays où trop d’“experts” s’enferment dans le jargon, la polémique, ou préfèrent le silence, le professeur Kamel Dib nous rappelle que la vraie compétence est celle qui sait s’adresser à tous, en élevant le débat sans jamais le couper du réel.
Son appel est limpide : il s’adresse à l’État et à ses institutions, afin de repenser le logement en termes humains et non bureaucratiques.
Mais j’y ajoute un second appel, le mien : un appel aux élites algériennes elles-mêmes. Il est temps qu’elles sortent de leur réserve, qu’elles refusent de laisser l’espace public aux médiocres et aux fausses querelles. L’exemple du professeur Dib doit nous inspirer : parler haut, parler clair, parler utile. Porter une vision qui éclaire la société et oriente le destin du pays.
Je tiens à remercier ici le professeur Kamel Dib : par son courage et sa lucidité, il nous rappelle non seulement ce que doit être une politique du logement, mais surtout ce que doit être une véritable élite – celle qui pense plus loin que l’instant, qui relie l’arbre au papillon, le logement à la sakina, et l’action publique à l’avenir de la nation.
L’appel du professeur K.Dib en arabe : أ. د. كمال ديب: نداء لمن بيده القرار – YouTube
Hope&ChaDia