Par Hope&ChaDia
La rentrée scolaire du 21 septembre a relancé un vieux débat : que vaut réellement le système éducatif algérien face aux standards internationaux? Invité a l’émission One 2 One Khaled Drareni interview Ahmed Tessa, de la chaine youtube OneTV, le pédagogue et auteur Ahmed Tessa a livré une critique sans concession, rappelant des données officielles mais aussi des comparaisons avec ce qui se fait ailleurs. Au-delà de ses propos, il est utile d’en examiner la véracité et la portée technique.
DES VACANCES RECORD, UNE ANNÉE SCOLAIRE RÉDUITE
Premier constat : la durée des vacances. Selon Tessa, « deux mois, c’est le grand maximum » recommandé par les chronobiologistes. En Algérie, les élèves ont bénéficié jusqu’à quatre mois et demi de pause estivale. Cette affirmation est confirmée par les faits : dans de nombreux pays de l’OCDE, l’année scolaire atteint 36 à 40 semaines effectives. En France, par exemple, l’année comporte 36 semaines de cours ; en Finlande, 38.
Or, en Algérie, les données publiées en 2015 par le ministère de l’Éducation nationale évoquaient seulement 24 à 27 semaines d’apprentissage effectif. Le reste s’évapore dans la longueur des vacances, les grèves, ou les décalages calendaires. Résultat arithmétique : sur 13 ans de scolarité obligatoire, 2,5 années d’enseignement disparaissent. Un chiffre choc, qui situe le pays à contre-courant des normes fixées par sa propre loi d’orientation (08-04 de 2008), laquelle impose un minimum de 32 semaines par an.
UNE PERTE PÉDAGOGIQUE MESURABLE
L’impact n’est pas seulement statistique. Les spécialistes de chronobiologie scolaire rappellent qu’au-delà de 8 semaines, les élèves perdent des acquis cognitifs qu’ils doivent réapprendre en début d’année suivante. D’où les fameux « 10 à 15 jours » de révisions et d’évaluations diagnostiques que les enseignants consacrent à la rentrée. En Algérie, avec 4,5 mois de vacances, ce temps mort atteint un niveau inédit : un élève recommence presque chaque année avec un handicap pédagogique structurel.
FORMATION DES ENSEIGNANTS : L’ANGLE MORT
Deuxième axe du constat de Tessa : la formation des enseignants. « Une formation de quinze jours ne saurait suffire », martèle-t-il, plaidant pour deux années pleines de formation professionnelle après l’université. Là encore, la comparaison est sévère : en Finlande, modèle souvent cité, les futurs professeurs suivent un master de cinq ans, incluant deux années de pédagogie et de psychologie appliquée. En France, le parcours passe par les Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPE), qui exigent également deux ans après la licence.
En Algérie, les Écoles normales supérieures (ENS) existent mais ne couvrent pas tous les besoins. De nombreux enseignants sont recrutés « sur diplôme » via concours, avec seulement un stage d’été à la clé. Les Instituts technologiques de l’éducation, qui formaient par le passé des cohortes entières, ont été fermés dans les années 1990 sous pression du FMI. Résultat : des enseignants compétents dans leur matière (mathématiques, physique, lettres), mais dépourvus de formation pratique sur la psychologie de l’enfant, la chronobiologie, la docimologie, les neurosciences.
PROGRAMMES OBÈSES ET MÉTHODE DU PAR CŒUR
Troisième constat : les contenus. Ahmed Tessa dénonce des programmes « obèses » où l’on confond quantité et qualité. La norme pédagogique internationale privilégie le principe « enseigner peu, mais bien », c’est-à-dire consolider les compétences de compréhension, d’analyse et de synthèse plutôt que de saturer la mémoire.
Les enquêtes PISA et TIMSS le montrent : les élèves algériens souffrent de faibles performances en compréhension de texte et en raisonnement scientifique, alors même qu’ils passent des heures à mémoriser. La méthode dominante reste la récitation par cœur, jusqu’en philosophie où l’élève n’apprend plus à discuter mais à réciter des fiches questions-réponses. Cette hypertrophie de la mémoire s’accompagne d’un affaissement des fonctions intellectuelles supérieures : esprit critique, créativité, capacité de résolution de problèmes.
LE BAC, UN RITUEL DÉPASSÉ?
Autre sujet sensible : le baccalauréat. Pour Tessa, « le bac est une création napoléonienne, mais il n’est pas un indice de fiabilité d’un système scolaire ». Il propose purement et simplement sa suppression, remplacée par un certificat de fin d’études secondaires et des admissions gérées par les universités.
Cependant, dans un pays où les disparités régionales et la méfiance institutionnelle sont fortes, supprimer un examen national unique pourrait ouvrir la voie aux inégalités et aux soupçons de favoritisme. Dans la plupart des pays, on réforme l’examen (plus de contrôle continu, diversification des épreuves) au lieu de le supprimer.
LANGUES : ENTRE SOUVERAINETÉ ET CONFUSION
L’interview a également abordé la politique linguistique. Pour Ahmed Tessa, les écoles privées qui proposaient un « double programme » algérien et français ont pratiqué une « arnaque pédagogique », surchargeant inutilement les élèves. Il pose une question de souveraineté curriculaire : enseigner l’histoire et la géographie de France à des élèves algériens, est-ce cohérent ?
Sur la répartition des langues, Tessa s’appuie sur une norme précise : la langue d’enseignement ne doit pas dépasser 20 % du volume horaire hebdomadaire. Dans les pays de l’OCDE, la moyenne oscille entre 15 et 25 %. En Algérie, l’arabe occupe 50 à 70 %, soit trois fois la norme. À l’inverse, le français (introduit à partir de la 3ᵉ année) et l’anglais (à partir de la 1ʳᵉ année moyenne) sont enseignés sur des volumes très insuffisants.
Cependant, appliquer strictement un ratio de 20 % à l’arabe pourrait être perçu comme une remise en cause identitaire. L’enjeu n’est pas de réduire mécaniquement l’arabe, mais de renforcer les autres matières pour retrouver un équilibre pédagogique.
Le paradoxe est encore plus fort pour tamazight : langue nationale et officielle depuis 2016, elle n’est pas généralisée. Certaines écoles exigent même une autorisation parentale pour y inscrire un enfant, alors que l’anglais a été généralisé en un temps record.
LE RELIGIEUX ET LES VALEURS
Un autre point polémique : l’enseignement religieux. Tessa qui a affirmer dans l’entretien que le wahabisme menace toujours l’education nationale, il distingue l’ancienne « éducation civique, morale et religieuse » des années 1960-80, qui transmettait des valeurs universelles (justice, solidarité, respect), de l’actuelle « éducation islamique » centrée sur la mémorisation du Coran et de hadiths parfois contestables. Pour lui, l’école doit enseigner les valeurs, et laisser la mémorisation intégrale du texte sacré à la mosquée ou à la maison. Une position conforme aux recommandations de l’UNESCO, qui insiste sur l’éducation aux valeurs universelles et compétences citoyennes.
LA QUESTION DES RYTHMES SCOLAIRES
Sur le plan du calendrier journalier, Ahmed Tessa rappelle les données de la chronobiologie :
-
vigilance basse entre 8h et 9h,
-
pic de concentration entre 11h et midi,
-
somnolence autour de 13h,
-
nouvelle hausse entre 14h30 et 15h30.
En Algérie, les matières essentielles (arabe, mathématiques) sont souvent placées à 8h, puis les élèves sortent justement au moment du pic. Résultat : une mauvaise synchronisation biologique qui pénalise les apprentissages.
TABLETTES, PORTABLES ET NOUVELLES TECHNOLOGIES
Enfin, sur la question des outils, Tessa rejoint l’exemple suédois : après avoir généralisé les tablettes en 2013, la Suède est revenue en 2023 aux manuels papier, constatant une baisse du niveau et de la concentration. Conclusion : la tablette est utile à la maison, mais pas en classe.
Cependant, bannir totalement le numérique peut sembler excessif. Dans un pays où les inégalités d’accès à l’information persistent, le numérique peut être un levier d’égalité et de modernisation, à condition d’être encadré pédagogiquement.
VERS QUEL HORIZON ?
Le portrait tracé par Ahmed Tessa est sombre, mais il s’adosse à des données objectives et à des comparaisons internationales précises. Les normes sont connues : 36 à 40 semaines d’école par an, un volume horaire équilibré (aucune matière ne doit dépasser 20 %), une formation longue et exigeante des enseignants, des programmes allégés centrés sur les compétences et non la récitation.
Cependant, certaines de ses propositions appellent des nuances : réformer le bac plutôt que le supprimer, rééquilibrer les horaires plutôt que réduire mécaniquement l’arabe, réguler le numérique plutôt que le bannir.
L’Algérie a massivement investi dans les infrastructures, les cantines, le transport scolaire. Mais la bataille ne se joue plus sur les murs ni sur les chiffres d’inscription. Elle se joue désormais sur le cœur invisible de l’école : le temps, les contenus, la méthode et la formation.
Et si l’on osait un paradoxe : l’Algérie n’a pas besoin de plus de moyens, mais de plus de temps — du temps scolaire, du temps pédagogique, du temps de formation. C’est là, dans cet espace compté, que se joue l’avenir de l’école algérienne.