L’Algérie est en train de poser, méthodiquement, les bases d’un basculement stratégique majeur dans sa politique énergétique. Loin d’une simple modernisation technique, le pays affiche désormais une ambition claire : devenir, d’ici la fin de la décennie, un hub régional de raffinage et de commerce des produits pétroliers, capable de capter davantage de valeur ajoutée et de peser sur les flux méditerranéens.
Cette trajectoire repose d’abord sur un fait central : la montée en puissance rapide des capacités nationales de raffinage. Aujourd’hui, le réseau algérien s’articule autour de six raffineries réparties sur le territoire : Skikda (335 000 barils/jour), Skikda – raffinerie des condensats (122 000 barils/jour), Arzew (87 000 barils/jour), Alger – la capitale (78 000 barils/jour), Hassi Messaoud (22 000 barils/jour) et Adrar (13 000 barils/jour). À elles seules, ces infrastructures structurent une capacité installée avoisinant 677 000 barils par jour à fin 2024, déjà significative à l’échelle régionale.
Mais le véritable saut se situe dans la projection. La stratégie officielle vise 800 000 barils par jour dès 2026, soit une augmentation d’environ un tiers en moins de deux ans. Ce rythme est rare dans l’industrie du raffinage, particulièrement dans un contexte mondial marqué par la fermeture de capacités en Europe et la montée des contraintes environnementales. À mon sens, ce calendrier traduit une volonté politique assumée de profiter du désengagement progressif de certains acteurs européens du raffinage traditionnel.
L’élément le plus structurant de cette montée en gamme est la raffinerie de Hassi Messaoud, appelée à jouer un rôle pivot. À elle seule, elle ajoutera près de 97 000 barils par jour, soit environ 5 millions de tonnes annuelles, en s’appuyant directement sur le principal bassin de production du pays. Ce choix n’est pas anodin : il réduit les coûts logistiques, sécurise l’approvisionnement et renforce l’intégration verticale entre production et transformation.
À cette extension quantitative s’ajoute une transformation qualitative du mix industriel. L’Algérie investit dans des unités de conversion avancées, notamment dans le cracking. À Arzew, une unité de tconversion permettra de produire plus de 1,2 million de tonnes de бензين par an, tandis qu’à Skikda, une autre unité générera plus de 1,75 million de tonnes de diesel. Ces projets visent clairement à maximiser les produits à forte demande régionale, tout en réduisant les importations et en augmentant les volumes exportables à haute valeur.
L’avantage géographique complète cette équation industrielle. Les ports d’Arzew et de Skikda offrent une proximité immédiate avec l’Europe du Sud, dans un contexte où le continent cherche à sécuriser ses approvisionnements énergétiques post-crises. À mon avis, l’Algérie se positionne ici comme un fournisseur de stabilité, non pas seulement de brut, mais de produits raffinés prêts à l’emploi, ce qui change radicalement son poids dans la chaîne de valeur.
En toile de fond, c’est aussi un choix macroéconomique qui se dessine. Raffiner localement signifie réduire la facture d’importation de carburants, stabiliser la balance commerciale, créer des emplois industriels qualifiés et renforcer les recettes fiscales hors simple rente brute. Je pense que cette stratégie marque une rupture silencieuse mais profonde avec la logique purement extractive qui a longtemps dominé le secteur.
En consolidant son réseau de raffineries, en investissant dans la conversion profonde et en capitalisant sur sa position géographique, l’Algérie ne se contente plus d’être un pays producteur : elle ambitionne de devenir un acteur structurant du marché énergétique méditerranéen. Reste désormais un enjeu clé : la continuité dans l’exécution et la capacité à inscrire ces investissements dans une vision industrielle durable à long terme.
Hope&ChaDia