La survie de notre économie et la préservation de la souveraineté nationale imposent de réfléchir sur des modalités pratiques pour créer des ponts entre l’université et le monde de l’entreprise. Voilà comment le Dr Belkacem Fergani conçoit la nature des rapports entre les deux sphères, économique et académique. Les laboratoires de recherche universitaire doivent retrouver l’autonomie de gestion et d’administration afin de jouer pleinement leur rôle de sources de savoir et générateurs de start-up.
El Moudjahid : Il est indéniable que le monde académique a évolué.
À l’enseignement et à la recherche, s’ajoute aujourd’hui l’entrepreneuriat…
C’est la tendance mondiale depuis quelques années qui s’est confirmée et durablement installée, notamment dans les campus et grandes écoles d’Amérique du Nord puis en Europe.
Certaines universités ont même mis en place le statut d’Etudiant Entrepreneur, c’est dire l’importance et l’acuité de cette métamorphose.
La raison sous-jacente est liée principalement au marché de l’emploi, et particulièrement à l’employabilité des diplômés de l’université. Un étudiant préalablement sensibilisé et déjà confronté au monde économique et de l’entreprise dépassera la posture du diplômé en attente d’une offre d’emploi et pourrait être lui-même un employeur proposant des postes de travail pour le compte de son entreprise.
Chez nous, on en parle déjà depuis quelques années et le ministère de l’Enseignement supérieur ne tardera pas à mettre en place le statut d’étudiant-entrepreneur.
Comment concilier la problématique de temporalité et celle des objectifs ?
Là où les entreprises économiques imposent des exigences, l’université est tenue d’abord par les résultats et la validation des connaissances?
La temporalité est présente aussi dans le monde académique et à l’université et y est parfois plus sévère, notamment dans la recherche scientifique. La traduction et les impacts de cette temporalité se traduisent différemment.
Dans le monde économique, c’est en termes de chiffres d’affaires et de parts de marché alors que dans le monde académique, c’est en termes de progression et de paternité des résultats obtenus, sachant que les résultats de la recherche devancent leur traduction en termes de produits «industriels» et commercialisables.
Ainsi, tout retard dans le développement des connaissances impacte et pénalise le développement économique qui en est dépendant.
Cela est facilement compréhensible dans le contexte actuel basé sur l’économie de la connaissance et du savoir.
Dans les rapports université-entreprise, les problèmes de transfert de connaissances, de propriété intellectuelle, de formation continue et la mobilisation de fonds se posent avec acuité. Comment y remédier?
Les solutions passent par un travail de fond qui s’inscrit dans le temps ; des mutations et adaptations doivent s’opérer dans les sphères académique et économique. Lorsque les entreprises devront se suffire à elles- mêmes, elles seront dans l’obligation d’optimiser leurs ressources matérielles, notamment financières. Ainsi, la décision d’achat de produits ou services importés clefs en main sera mûrement réfléchie et parfois repoussée au profit d’une solution locale, certes à parfaire, mais évolutive et financièrement avantageuse.
Vous évoquez des solutions pour les grandes entreprises, mais concrètement comment les petites Startup peuvent-elles évoluer dans ce schéma ?
C’est la même chose pratiquement.
Les jeunes entreprises (Startup) ou PME trouveront un plan de charge encourageant et stimulant. A mon avis, les premiers pas doivent venir de l’entreprise, moteur de l’économie nationale et de son développement. L’Université assure la diffusion de la connaissance, la formation continue puis le développement de produits/solutions qui doivent résoudre un problème qui se pose au sein de l’entreprise. Dans des pays comme le nôtre, nous n’avons d’autre choix que la collaboration inévitable entre l’entreprise et l’université ; il y va de la survie de notre économie et de la souveraineté nationale. Il faut avoir à l’esprit que ce rapprochement université-entreprise est une nécessité et non pas un effet de mode.
Si les opérateurs économiques hésitent à jeter les ponts vers l’université, pourquoi ne pas réfléchir à transformer les laboratoires de recherche en start-up ?
Il faut être honnête et avouer que parfois aussi, c’est le partenaire académique, au travers d’un management lourd et bureaucratique, qui traîne à nouer les liens jetés par les entreprises ou groupements d’entreprises. A titre d’exemple, le Groupement Algérien des Acteurs du Numérique (GAAN) ne cesse d’appeler les universités à établir des conventions de partenariat afin de favoriser et de concrétiser le rapprochement entreprises-universités.
Les laboratoires de recherches universitaires peuvent produire des start-up appelés spin-off, issues des travaux de recherche-développement. Il n’y pas lieu de transformer tout le laboratoire en start-up, puisque c’est la source de production d’éventuelles start-up ou spin-off.
Dans ce contexte, ces laboratoires de recherche doivent retrouver l’autonomie de gestion et d’administration en vue de pouvoir jouer pleinement leurs rôles de sources de savoir et de générateur de start-up/spin-off. Ils ont des missions qui passent de la formation doctorale des étudiants au développement de projets de recherches socio-économiques qui eux peuvent aboutir à des startup/spin-off.
A. Z.