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Mandela, Madiba Le combat d’un Homme de paix

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Johnny Makatini, Sindelo Thamy, deux noms, plutôt deux frères qui nous venaient de cette lointaine Afrique du Sud qui vivait de plein fouet les affres d’un régime inqualifiable où l’apartheid, «rehaussé» d’oppression et d’avilissement, faisait des ravages. Représentant l’ANC en notre pays qui les a fraternellement accueillis et, ne désemparant sur aucune action favorable à leur juste cause, ils nous ont largement sensibilisés sur les problèmes vécus chez eux, par leur peuple. Ils étaient nos frères de combat, et c’est en les accompagnant, dans leurs missions de tous les jours, que nous avons connu cet illustre personnage Nelson Mandela; qui était pour les impérialistes, ce «bagnard» de Robben Island et de la prison de Pollsmoore, mais qui, pour nous, était ce frère «moudjahid» à la gloire de son pays et de sa résistance contre l’apartheid. En effet, nous avons appris à le connaître, à travers Makatini et Thamy, comme si nous l’accompagnions dans son valeureux combat contre les forces du mal.
C’était du temps où notre pays et, plus précisément sa capitale, représentait alors, en tant qu’escale incontournable en Afrique, la «Mecque des révolutionnaires», selon le regretté Amilcar Cabral, père de l’indépendance de la Guinée-Bissau, ou la chanteuse sud-africaine Myriam Makéba, à la voix ensorceleuse, qui interprétait, à Alger en 1972, dans la ferveur faite de militantisme, de soutien, de solidarité et de lutte commune: «Ana Hurra fi el Djazair» (je suis libre en Algérie). En effet, c’est cette ambiance militante, que nous avons connue et dans laquelle nous avons grandi et évolué. C’était du temps de la glorieuse Jfln, lorsque nous menions, tambour battant, des actions concrètes au profit des peuples et des jeunesses en lutte contre les manifestations sordides de l’impérialisme. Nous étions d’autant plus poussés à le faire, car dans les rangs de l’ANC, du Mpla, du Paigc, du Frelimo, du Swapo ou du Zapu, les jeunes combattants constituaient le noyau dynamique des mouvements de Libération nationale. C’était aussi, dans ce climat de résolution et de volonté que nous nous sommes familiarisés avec des noms de leaders africains et d’ailleurs, ces noms que nous répétions en toute circonstance, dans nos écrits, dans nos interventions, dans nos relations avec d’autres organisations à travers le monde.
Un legs pour la jeunesse
Ainsi, Nelson Mandela ou «Madiba», ce nom que nous conjuguions au rythme de nos rencontres avec les représentants de l’ANC, n’est plus. Notre affection, doublée d’une profonde douleur, nous donne en cet instant la liberté d’exprimer dans l’émotion, quelques impressions pour célébrer, à notre manière, cet imperturbable combattant qui aura marqué son époque, ce personnage incontournable du continent africain, ce dirigeant clairvoyant et perspicace qui a su imprimer à la lutte du tiers-monde la volonté d’aller jusqu’au bout, à travers un combat authentiquement historique. Mais aujourd’hui, qu’allons-nous transmettre aux jeunes, en nous inspirant de ces pages illustres que nous laisse cet Homme de paix? S’exprimer sur «Madiba» c’est revenir à la réalité d’un peuple qui nous interpelle avec force pour connaître toutes sortes de raisons profondes et multiples qui ont été le ferment de cette lutte légitime de l’Afrique du Sud, tout au long de l’histoire de l’apartheid. Pour cela, il est évident que nous ne pouvons qu’affirmer modestement, en joignant nos sentiments à ceux des autres peuples de par le monde, dans un message d’affliction, qui sort du plus profond de nous-mêmes, notre détermination de faire connaître à notre jeunesse les valeurs de celui qui n’a vécu que pour la paix et le progrès de son pays. Nous leur dirons que cette halte, nourrie d’une conscience claire du chemin parcouru par cet Homme exceptionnel, symbole de la lutte contre le racisme, nous montre combien était pénible sa mission pendant une longue période de l’Histoire.
27 années de régime carcéral
Nous leur dirons aussi que Nelson Mandela a passé vingt-sept années difficiles dans un régime carcéral inhumain…. Nous nous poserons également des questions avec eux, pour y répondre aussitôt. Ce personnage illustre, qui a vécu longtemps, dans des geôles étroites, humides, rébarbatives, a-t-il un jour manigancé quelques plans pour se venger de ses tortionnaires et ceux du peuple sud-africain? A-t-il, pendant cette longue et pénible réclusion où les brimades, la faim, la soif, les travaux forcés, la maladie, la fatigue, le sommeil et un cortège de pénibilité, médité pour prendre un jour sa revanche et le pouvoir, en Afrique du Sud pour s’asseoir sur le trône de la République? A-t-il entrepris toute cette lutte opiniâtre pour, enfin, assouvir des sentiments d’une personne velléitaire qui souffre d’un certain égocentrisme, sentiments somme toute naturels chez certains chefs du continent? Non! Pas du tout! L’éducation, la culture, l’altruisme, la bonté et le nationalisme de Mandela, ne lui permettaient pas d’agir autrement que selon ce que lui commandaient ces valeurs intrinsèques qu’il véhiculait depuis sa prime jeunesse. Et puis, encore, dans son esprit que dominaient la dignité et l’humilité, n’avait-il pas quelque chose, peut-être beaucoup de choses, du Mahatma Gandhi? En effet, il possédait plusieurs de ses qualités car, en entamant des études en droit, en découvrant le nationalisme afrikaner, il a adhéré, en même temps, à la doctrine de non-violence prônée par ce maître de sagesse. Tout ce qu’a enduré Mandela, et quand on connaît ses sentiments vis-à-vis d’autrui, et même de ses ennemis, il n’est pas étonnant qu’il soit récipiendaire de ce «prix Nobel de la paix» en tant qu’Homme de sagesse et de pardon! D’ailleurs, en sortant de prison, n’a-t-il pas mis fin pacifiquement, par la réconciliation et la négociation avec le président Frederik de Klerk, au régime d’apartheid, et jeté les bases d’une nouvelle Afrique du Sud démocratique? C’est ainsi qu’à l’annonce de son décès, deux de ses compatriotes, grandement émus, ont ouvert leurs coeurs en des hommages émouvants.
«Madiba nous a appris comment vivre ensemble et croire en nous-mêmes et en chacun», a dit l’archevêque anglican sud-africain Desmond Tutu, «Prix Nobel de la paix», pour saluer, à l’annonce du décès de Mandela, ce héros de la lutte anti-apartheid.
«Loin d’assumer un rôle divin, Mandela est au contraire pleinement et absolument humain… Il a souffert et végété en prison pendant plus d’un tiers de sa vie, pour en sortir sans un mot de vengeance. Il a supporté tout cela, c’est évident, non seulement parce que la liberté de son peuple est son souffle vital, mais parce qu’il est l’un de ces rares êtres pour qui la famille humaine est sa propre famille», écrivait Nadine Gordimer, écrivaine sud-africaine, proche de l’ANC et de Madiba, également «Prix Nobel de littérature» en 1991.
«Le pardon libère l’âme…»
Ils avaient raison de s’exprimer ainsi quand Mandela, lui-même, s’adressait sereinement et sincèrement à ceux qui voulaient l’entendre: «Le pardon libère l’âme, il fait disparaître la peur. C’est pourquoi le pardon est une arme si puissante.». L’Algérie qui pleure aujourd’hui Mandela…, le soutenait depuis longtemps.
Assurément, le peuple algérien vient de perdre un des siens, un valeureux «moudjahid» qui, pendant toute sa vie a lutté pour la liberté et la dignité en Afrique. Mandela, ou Madiba, n’était pas un Homme quelconque. Il s’intéressait à toutes les causes justes de par le monde et l’Algérie se trouvait être, malgré la grande distance qui la sépare de l’Afrique du Sud, la destination qu’il devait atteindre pour parfaire son itinéraire combattant avec nos «djounoud» de l’ALN. En 1960, Mandela était chez nous, aux frontières algéro-marocaines dans le cadre d’une formation militaire et du renforcement des liens entre l’ANC et l’ALN-FLN. Le commandant Si Slimane, Kaïd Ahmed, l’avait reçu et, mutuellement, les deux hommes avaient vu se renforcer leur sympathie réciproque. Nelson Mandela, accompagné de Robert Reisha – qui sera après notre indépendance, le représentant permanent de l’ANC en Algérie -, s’était ainsi rapproché du GPRA et de l’ALN, dans le but de lancer la lutte armée dans son pays sur des bases solides, afin de s’affranchir du joug de l’apartheid. Vigilant et soucieux de la réussite de cette importante mission que menaient ses hôtes auprès des combattants algériens, Kaïd Ahmed, en étroite relation avec Boumediene, le chef de l’état-major, voulait que les contacts de ces derniers soient entourés du plus grand secret, pour des raisons de sécurité. Cet impératif avait été dicté par le fait que le Boss (Bureau of State Security, des redoutables services de renseignement du temps du régime de l’apartheid en Afrique du Sud) suivait de près les déplacements de Mandela et de ses compagnons et que leurs contacts constituaient déjà pour le régime de Pretoria une activité criminelle. Alors, un scénario a donc été élaboré pour protéger l’anonymat de Mandela. Il s’agissait de l’intégrer, avec son compagnon Reisha, dans la délégation de la Conférence des organisations nationales des colonies portugaises qui se trouvait chez l’ALN.
Kaïd Ahmed devait confier Mandela et Reisha à Chérif Belkacem pour les accompagner. Il lui avait recommandé de bien les encadrer, au cours de leur mission, par des spécialistes politiques et militaires, dans l’objectif de la préparation des conditions nécessaires au déclenchement de la lutte armée en Afrique du Sud. Ainsi, «à l’issue de ces longues séances de travail qui, aux yeux de l’Histoire, constituent le premier acte de coopération étroite entre les deux peuples, algérien et sud-africain, j’ai eu pour mission d’emmener Mandela et Reisha en zone opérationnelle nord, où ils ont vu la réalité des tirs d’artillerie des Français sur nos combattants, puis au camp d’instruction de Zghenghen dans le Rif», raconte Nourredine Djoudi qui sera un éminent ambassadeur après l’indépendance. Cette mission de première importance de Mandela auprès de l’ALN n’a jamais été dévoilée. Elle sera portée à la connaissance du monde, bien après l’indépendance de notre pays, par le responsable des relations extérieures de l’ANC, Johnny Makatini, pendant que Mandela était incarcéré au bagne, tristement célèbre, de Robben Island. Ainsi, durant sa visite en notre pays, deux mois après sa libération de prison en 1990, Nelson Mandela a fait remarquer que «l’Algérie est sa maison, et qu’elle a fait de lui un homme», se référant clairement aux relations plus que chaleureuses qu’ont toujours entretenues l’Afrique du Sud et l’Algérie. Enfin, l’ancien président de l’Afrique du Sud, Jacob Zuma, a-t-il jamais oublié qu’il voyageait avec un passeport algérien? «C’était courageux de la part de l’Algérie de donner un passeport d’un pays souverain à des militants étrangers qui étaient qualifiés par leurs ennemis de hors-la-loi”! D’ailleurs, c’est l’Algérie qui a remporté une magnifique victoire contre le régime de l’apartheid lorsque, présidant l’Assemblée générale de l’ONU, en 1974, elle a réussi à exclure l’Afrique du Sud des travaux de l’Assemblée générale de l’ONU!», disait-il à l’occasion de l’ouverture de la Coupe du monde en Afrique du Sud.
Dors en paix, frère Mandela, nous essayerons, nous qui t’avons bien aimé, d’être solidaires, de travailler la main dans la main, dans un esprit de dévouement, car nos pays d’Afrique ont bien besoin de cette unité, comme tu nous l’as toujours affirmé: «Aucun de nous, en agissant seul, ne peut atteindre le succès.»

Kamel Bouchama, L’EXPRESSION.

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