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Par SORAYA NAILI
Il s’agit d’un corpus de cent soixante-quinze lettres rassemblées dans ce beau-livre intitulé A Zoulikha édité par l’association «Les Amis de Abdelhamid Benzine».
Les lettres de Zoulikha Benzine (1942-2012) sont au nombre de trois. Elles ont été rédigées lors de son incarcération à la prison de Barberousse (Serkadji) durant la guerre de libération. Dans cet ouvrage, vous découvrirez aussi les missives envoyées par son frère Abdelhamid Benzine, alors qu’il se trouvait dans la prison de Lambèse ou dans le camp Morand ; ses échanges épistolaires avec ses autres frères Abderrahmane et Hamoud (tous deux tombés au champ d’honneur), ainsi que les lettres qu’elle recevait de la part de ses codétenues de Maison-Carrée, Douéra ou du camp de Larzac, en France, d’autres membres de sa famille et de ses avocats.
C’est Souad Inal, la fille de Zoulikha, qui signe l’avant-propos. Elle y retrace le parcours de sa maman et ses premiers pas dans le militantisme. Zoulikha avait intégré le réseau de fidayine de Saint-Eugène après une formation dans le paramédical. «Zoulikha Benzine, née quatre ans avant la bombe atomique qui dévasta Hiroshima, a très tôt été imprégnée du sentiment national grâce à ses deux aînés, Hamid — qu’elle ne connaîtra réellement qu’à l’indépendance. Elle est née à El Kseur (wilaya de Béjaïa) où son père exerçait le métier d’oukil judiciaire (khodja de cadi). Il est affecté par la suite à Bougaâ, la famille se réinstalle au Hammam Guergour.»
Des années plus tard, la famille Benzine se déplace à Alger où elle va vivre. Zoulikha s’engage auprès de ses sœurs et frères de combat. «Le 11 novembre 1959, Zoulikha est arrêtée au domicile familial ; tout le réseau est pratiquement démantelé (…) Outre les fenêtres vers l’extérieur, via les lettres et les parloirs, un extraordinaire réseau intra se tisse, d’une salle à une autre, d’un étage à un autre (…) Zoulikha Benzine a gardé précieusement lettres, billets, messages, dessins et jusqu’aux mèches de cheveux que les prisonniers s’échangeaient lorsque l’une d’entre elles était libérée ou transférée dans une autre prison ou dans un ‘’centre d’hébergement’’», écrit encore Souad Inal.
Comment les lettres de prison peuvent-elles constituer un apport de recherche sur la guerre de libération ? L’historienne Malika El Korso tente une approche. «A première vue, le contenu ne me semblait pas assez étoffé pour permettre une étude historique significative ; relevant du quotidien, il me semblait banal. Comment rendre historique le banal ? Comment historiser la banalité ? Cette banalité est néanmoins révélatrice d’un certain nombre de pratiques, celle d’un contexte de guerre où les détenus sont soumis à deux règles : la censure pénitentiaire et l’autocensure des expéditeurs et destinataires qui feront que le contenu des lettres se limite généralement à des banalités, à un quotidien (…) Jamais ces lettres ne laissent transparaître le moindre découragement, lassitude ou souffrance…»
Les correspondances reçues par Zoulikha provenaient essentiellement de son frère Abdelhamid, de sa famille, des avocats et des codétenu(e)s. Elles figurent dans cet ouvrage en version manuscrite. Son frère Abdelhamid tente de lui insuffler sa force en l’exhortant à être courageuse dans une première lettre datée du 14 mars 1960, et alors qu’elle est détenue à la prison Barberousse : «Les épreuves que tu traverses ma très chère Zoulikha sont certes pénibles, mais tu sauras plus tard combien elles sont utiles. Je peux te dire que je suis bien fier de toi.»
Dans un chapitre intitulé «Barberousse 1960-61», Malika Khorsi écrit : «Barberousse, comme toutes les prisons de l’Algérie en guerre, a été un formidable lieu de sociabilité pour les détenues qui ont tissé entre elles des liens de solidarité qui vont au-delà de l’amitié aussi profonde soit-elle. Au fur et à mesure des mois, Zoulikha se sentira seule, isolée, ses amies Wahiba et Zakia l’ont quittée : l’une libérée a bénéficié d’un non-lieu, Zakia transférée au camp de Tefeschoun.»
La dernière partie de cet ouvrage s’intitule «Image de prison, images de survie». Elle porte la signature de Nadira Laggoune (historienne et critique d’art). Elle décrit les conditions de détention des femmes durant la guerre de libération : «… isolées du monde, elles furent confrontées à une solitude physique et morale subissant dépendance et astreinte permanente à la discipline et à la surveillance qui, malgré tout, n’auront pas raison du combat permanent pour leur dignité. Car face aux actions d’humiliation, de torture et autres souffrances, elles avaient en elles l’espoir de la libération et l’amour de la patrie cimentés par la fièvre nationaliste.»
Soraya Naili
À Zoulikha. Association «Les amis de Abdelhamid Benzine». Février 2023. 281 pages.