Par Judith Bouilloc
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Aux membres de l’ Académie Goncourt
Cela fait 20 ans que je lis systématiquement le roman que vous récompensez, par curiosité et par passion de la littérature. Souvent, j’ai été bousculée, admirative, sceptique devant le choix de l’Académie.
Mais je n’ai jamais été aussi consternée et indignée qu’en lisant Houris de Kamel Daoud.
Comme lectrice, je lis les mots du président de l’Académie Philippe Claudel :
“Avec Houris, l’Académie Goncourt couronne un livre où le lyrisme dispute au tragique, et qui donne voix aux souffrances liées à une période noire de l’Algérie, celles des femmes en particulier. »
De quelles « femmes en particulier » parle-t-on au juste ?
Parle-t-on de Nadjet Daoud, la première épouse algérienne de Kamel Daoud qu’il a battue. Pouvez -vous ignorer que Kamel Daoud a été condamné pour violences conjugales en 2019 par le tribunal d’Oran ? La copie du verdict a été dévoilée dans un article du journaliste Jacques-Marie Bourget. ( Comme cela ne semble pas suffire, n’hésitez pas à téléphoner au tribunal d’Oran qui vous renseignera. )
Parle-t-on de Saada Arbane, jeune femme victime du terrorisme qui accuse Kamel Daoud d’avoir violé son intimité ? Saada Arbane a survécu à un égorgement : comme la narratrice de Kamel Daoud, elle fut, enfant, laissée pour morte après le massacre de toute sa famille, et adoptée par une femme courageuse, elle porte une canule pour respirer, a exercé le même métier, vécu dans la même ville, a la même histoire familiale ( adoption ), le même parcours médical , elle a les mêmes tatouages. Pouvez-vous l’ignorer ?
Parle t -on de Zahia Mentouri, médecin et ministre de la Santé en Algérie en 1992 ? Héroïne algérienne bien réelle, menacée par les islamistes, Zahia Mentouri s’est battue pour la santé gratuite en Algérie. Décédée en 2022 , elle avait interdit à Kamel Daoud d’évoquer l’histoire de de Saada Arbane, sa fille adoptive. Sans doute avait-elle pressenti comment Saada Arbane serait instrumentalisée ? Peut-être avait-elle l’intuition que Kamel Daoud, journaliste politique assoiffé de gloire salirait l’histoire de sa fille ?
Vous le savez, membres du jury Goncourt, dans sa narration fragmentaire à la première personne, Kamel Daoud ignore l’histoire de la mère de son héroïne. Comme il ignore toutes les réussites personnelles de la vraie Saada Arbane, sans doute ne sont-elles pas conformes « à l’autre chemin de mémoire » qu’il traçait et que vous avez également vanté dans votre communiqué ?
Parle-t-on de la seconde épouse algérienne Aicha Dahdou, psychiatre de Saada Arbane, dont Kamel Daoud a pillé le travail, au mépris du secret médical et de la plus élémentaire déontologie ?
Parle-t-on de Maitre Fatima Benbraham, avocate de Saada Arbane dont vous ignorez superbement les déclarations depuis plusieurs jours ?
Le silence, c’est l’option que l’Académie Goncourt a choisie.
Exactement comme Kamel Daoud, qui quelques jours après les déclarations de Saada Arbane, a invoqué devant les étudiants de Sciences Po, « le droit de se taire ». Ainsi, nous serons tous préservés de la vérité. » explique t-il en conclusion de son discours. Bel aveu d’un auteur qui oscille entre le mensonge, le journalisme politique et la falsification.
Quant à la maison d’Édition Gallimard, elle a choisi l’expression ” campagnes diffamatoires”pour défendre son auteur. Diffamation, le verdict d’un juge ? Diffamation, la vie de Zahia Mentouri ? Diffamation, la parole doublement volée de Saada Arbane ? Bien sûr, cette femme serait une menteuse instrumentalisée par le pouvoir algérien « dont nul n’ignore la nature « ? Kamel Daoud aurait pris des précautions pour que Saada Arbane ne soit pas reconnue ? Il répète seulement 68 fois le terme « canule » dans son roman.
« On ne peut pas effacer ton histoire, elle est écrite sur toi »écrit-il aussi. N’est ce pas votre sentiment en entendant la voix de cette jeune fille bien réelle ?
Contrairement à ce j’avais cru, et comme vous l’avez peut-être cru à la lecture de Houris, l’héroïne de Kamel Daoud n’est pas une allégorie. En quelques mots, Saada Arbane a comblé toutes les lacunes du récit de Kamel Daoud et dissipé le brouillard de lyrisme et de sang dans lequel Houris avait noyé son lecteur.
Combien de femmes en Algérie ont survécu à un égorgement , ont eu les cordes vocales tranchées ? et porte une canule respiratoire ? Combien vivent à Oran et ont eu la femme de Kamel Daoud comme psychiatre ? L’attribution du Goncourt mérite bien quelques vérifications et quelques explications ?
Vous le savez, dans Houris, la femme algérienne est réduite au statut de victime expiatoire de la folie islamiste. « L’histoire d’un mouton, je te dis coincé entre un prophète et un couteau, le ciel et l’autel » . L’héroïne de Kamel Daoud est réduite à ses blessures , son trou, « son sourire de monstre », qui désigne sa cicatrice.
Dans Houris, les variantes du verbe “égorger”sont citées plus de 100 fois, 88 fois aussi le terme sang, 239 fois le terme voix, 59 fois le terme mouton. Le romancier file la métaphore du sacrifice d’Abraham.
La mère de l’héroïne est « un gros mouton » , le bébé que l’héroïne porte est aussi menacé d’égorgement.
C’est la version de la vie de Saada Arbane, « celle de la femme mouton » que Kamel Daoud a décidé d’écrire. C’est aussi le récit que l’Académie Goncourt a décidé de consacrer à l’heure du procès Pélicot.
Culture du viol à tous les étages. Viol d’une femme offerte à d’autres sans aucun scrupule, viol de la vérité historique, viol d’une conscience pour la gloire littéraire.
Mais n’en déplaise à Kamel Daoud, dans la vraie vie, Saada Arbane est triple médaillée d’or en équitation, elle a géré un salon de coiffure à Oran ( qui n’a pas été saccagé par les islamistes comme écrit dans Houris ), elle est mariée à un homme qui la soutient, sa mère à défaut d’être l’héroïne d’un roman français a écrit l’histoire de l’Algérie , Saada Arbane est mère aussi, et elle a une voix qu’elle fait légitimement entendre . Car c’est ELLE qui est diffamée dans un livre destiné à être vendu à des centaines de milliers d’exemplaires.
Académie Goncourt, réagissez pour l’honneur de la littérature française !
L’immunité dont jouit actuellement Kamel Daoud est infamante pour les femmes, pour les écrivains, et pour les lecteurs. Rien ne peut la justifier.