En juillet 1830, la capture d’Alger a ouvert la voie à la conquête française de nouveaux territoires. L’Armée française d’Afrique s’est lancée dans des expéditions successives, faisant face à la résistance dirigée par l’Émir Abd el-Kader. En tant que chef militaire, Abd el-Kader a uni les populations de l’Ouest et a réussi à négocier deux traités de paix, dont le Traité de la Tafna en mai 1837. Cependant, la trêve a été de courte durée. En 1841, le Général Bugeaud a été nommé Gouverneur général de l’Algérie et chargé de réprimer la rébellion de l’Émir avec 100 000 hommes.
Voyant ses bastions systématiquement détruits, Abd el-Kader a conçu une capitale nomade connue sous le nom de “Smala”. Cette cité mobile, essentielle pour la survie et la résistance, abritait entre 50 000 et 70 000 personnes, incluant des civils, des soldats, des artisans, des esclaves, des serviteurs et la famille de l’Émir. La Smala était un centre de ressources humaines et matérielles cruciales pour soutenir la résistance.
Le 16 mai 1843, le Duc d’Aumale, fils du Roi Louis-Philippe, a découvert l’emplacement de la Smala grâce à Ahmed Ben Ferhat, l’un de ses émissaires. Avec Abd el-Kader et la plupart de ses troupes à 200 kilomètres de là, un escadron de 500 cavaliers a attaqué le camp. En moins de deux heures, ils ont capturé 6 000 prisonniers et pillé ou détruit toutes les possessions. Cet événement, bien qu’ayant peu d’importance militaire en raison de l’absence de l’Émir, a porté un coup sévère à la résistance algérienne.
Pour commémorer cette victoire et servir la grandeur de la monarchie française, Louis-Philippe a commandé un tableau monumental à Horace Vernet. Peintre officiel passionné de l’Algérie, Vernet avait réalisé de longues missions sur place pour étudier, dessiner et documenter les conquêtes de l’Armée d’Afrique. Son œuvre, mesurant 5 mètres de hauteur et 21 mètres de largeur, est devenue le plus grand tableau du monde, dépassant tous les tableaux historiques et de bataille précédents. L’immensité de l’échelle a amplifié la grandeur du décor : un vaste plateau désertique sous un ciel bleu immense.
Géographiquement, le tableau de Vernet est détaillé et précis… il illustre une Smala Située à Tajine sur les hauts plateaux à 200 kilomètres au sud-ouest d’Alger. Elle présente des caractéristiques topographiques telles que les montagnes arides, les ruines d’un fort turc et une rivière dans la vallée. En dépeignant plus d’une centaine de personnages avec une intensité dramatique, la peinture capture les tragédies humaines simultanées au sein de la Smala.
Vernet a représenté une “Afrique” romantique, remplie de stéréotypes et d’orientalisme reflétant les attitudes racialistes de l’époque, justifiant les interventions dites “civilisatrices”. Parmi la foule en fuite, une femme noire nue à l’apparence primitive se distingue. D’autres figures notables incluent la famille de Mohamed-Bel-Kharroubi, le premier secrétaire et lieutenant d’Abd el-Kader; un homme juif caricatural fuyant avec ses biens; le redoutable combattant Sidi Embarak, commandant de la Smala; et Sidi Laradj, le marabout vénéré récitant le Coran, à qui Abd el-Kader devait son titre d’Émir.
Cependant, la peinture de Vernet a principalement répondu à la vision martiale demandée par la commande. Les portraits militaires mettent en avant le duc d’Aumale, dépeint comme le chef de l’armée sur son cheval blanc, accompagné de commandants et d’officiers tels que Jamin, Beaufort, Durrieu, Chambert, Hitzmann, Lemoine, Morris, Dupin, Lichtlin et d’Épinay.
La construction de la peinture se révèle à distance, l’action étant concentrée dans la moitié inférieure et divisée horizontalement et verticalement pour séparer les soldats français à gauche des Algériens à droite. Les troupes françaises forment une formation triangulaire, suggérant une progression claire, efficace et ordonnée. Le mouvement de la garnison française se lit de gauche à droite, s’alignant avec le vent, souligné par des nuages de poussière et le drapeau des insurgés. En revanche, les habitants de la Smala sont représentés dans le chaos et le désordre, mais leurs groupes forment des cercles concentriques, reflétant la disposition circulaire de la Smala.
Malgré la scène détaillée, le tableau minimise les pillages et les razzias qui ont dépouillé la Smala de toutes ses ressources précieuses : objets de valeur, outils, armes, livres uniques, bétail et récoltes. L’armée française a même emporté la tente de l’émir en trophée, en son absence lors de l’attaque surprise.
Le tableau monumental a servi de puissant outil de propagande pour Louis-Philippe, dont le règne était de plus en plus contesté. En glorifiant le courage du duc d’Aumale, le roi cherchait à mettre en valeur les contributions des siens à la grandeur de la France. La représentation héroïque et romantique de Vernet a minimisé le caractère peu glorieux de la capture d’une Smala largement sans défense. Si l’armée entière d’Abd el-Kader avait été présente, l’issue de la bataille aurait peut-être été différente.
Dévoilé au Salon de 1845, le tableau a rencontré un grand succès mais a également suscité des critiques virulentes, notamment de la part de Baudelaire, qui a déploré son manque de chaleur et d’art véritable. En réponse, Théophile Gautier a défendu Vernet, louant sa représentation vivante et précise des exploits de l’Armée d’Afrique. Pendant ce temps, “Le Sultan du Maroc, Moulay Abderrahmane” d’Eugène Delacroix, acclamé par les critiques, a été confronté à “La Capture de la Smala” de Vernet au Salon Carrée du Louvre en 1846. Baudelaire a poursuivi ses critiques, condamnant le style improvisé et rapide de Vernet, prédisant que sa popularité déclinerait avec le temps et les intérêts changeants du public.