Au début de l’année 2025, le Soudan affichait un ratio dette/PIB de 252 %. Un chiffre effarant, révélateur d’un pays étranglé par un endettement colossal. Pourtant, le Soudan n’est qu’un symbole parmi d’autres : en Afrique subsaharienne, ce ratio a doublé en dix ans, atteignant en moyenne 60 % en 2022. La dette publique totale du continent dépasse désormais les 1 000 milliards de dollars, et les frais de service de cette dette coûtent 163 milliards chaque année. Résultat : plus de trente pays à faible revenu sont plongés dans une véritable crise de la dette.
Cette dynamique crée deux effets destructeurs : d’un côté, l’accès au crédit devient plus difficile et plus coûteux, contraignant les pays à se tourner vers des prêteurs commerciaux aux conditions souvent oppressantes. De l’autre, le remboursement de la dette siphonne les budgets nationaux, réduisant les marges de manœuvre pour financer l’éducation, la santé, l’infrastructure ou encore le développement industriel. En 2022, vingt-deux pays africains ont payé plus en intérêts sur leur dette qu’ils n’ont dépensé pour la santé ; six d’entre eux ont consacré plus aux créanciers qu’à l’éducation.
À mon sens, cette logique est perverse : on pousse les pays à s’endetter, puis on les punit de cette dépendance en leur imposant des politiques d’austérité qui empêchent justement toute croissance future.
Les rares pays à échapper à cette spirale sont ceux qui combinent petite population et ressources naturelles à forte valeur. C’est le cas de la Guinée équatoriale (1,8 million d’habitants) ou du Botswana (2,5 millions), qui exportent respectivement pétrole et diamants, et maintiennent un ratio dette/PIB sous les 32 %.
Mais ces exceptions ne doivent pas masquer la règle, ni les mécanismes historiques et structurels qui l’expliquent. Comme le rappelle le dossier du Tricontinental, l’histoire coloniale a vidé l’Afrique de ses ressources et de sa population. L’indépendance politique obtenue dans les années 1960 et 1970 n’a pas été accompagnée des moyens financiers nécessaires pour construire des infrastructures ou lancer une industrialisation de grande ampleur. Les leaders qui tentaient de s’y atteler avec le soutien du bloc socialiste ont souvent été renversés ou assassinés.
Il faut oser le dire : ce ne sont pas des erreurs économiques, mais des stratégies délibérées d’étranglement néocolonial.
Le rôle du FMI dans cette machinerie est central. L’institution impose aux États africains des mesures dites « d’ajustement » : dérégulation, privatisations, réduction des dépenses publiques. Sous prétexte de « bonne gouvernance », elle pousse même à affaiblir les administrations capables de négocier avec les multinationales. Résultat : des États amoindris, et des peuples sans défense face aux intérêts étrangers.
La situation du Sénégal est révélatrice. En 2024, le nouveau gouvernement de Diomaye Faye a découvert des incohérences dans les données transmises au FMI. Réponse immédiate : suspension d’un crédit de 1,8 milliard de dollars. Un chantage à peine voilé. Le gouvernement devra retourner devant le FMI en juin. Mais à quelles conditions ? Et avec quelle liberté ?
Au-delà de la critique, le dossier souligne aussi les pistes d’émancipation : création de banques régionales africaines, relance du projet d’une monnaie commune, renforcement du libre-échange intra-africain. Autant d’alternatives entravées, mais pas impossibles.
Une anecdote clôt le texte, presque comme une fable. Une femme nommée Ssuubi, trafiquante de diamants à la frontière entre l’Ouganda et la RDC, résume sa vie d’une formule : « Si la souche ne te fait pas trébucher à l’aller, elle te fera tomber au retour. » Comme elle, l’Afrique trébuche sur des pièges posés depuis longtemps.
Mais le plus tragique serait de croire que ce destin est une fatalité. Il est le fruit de choix politiques. Il peut donc être renversé.
Article inspiré de : How the International Monetary Fund Underdevelops Africa – Tricontinental: Institute for Social Research, Newsletter n°21 (2025).