(D’après l’émission « Débat politique » du 01/11/2025, Radio Alger Chaîne 3)
Présentée par Souhila El Hachemi, l’émission du 1er novembre 2025 réunissait trois figures intellectuelles majeures : Dr Ahmed Ben Saada, chercheur et spécialiste des questions géopolitiques, M. Madjed Nehme, politologue et directeur du magazine Afrique-Asie, et Pr Rudolf El Kareh, sociologue et professeur d’université. Ensemble, ils ont exploré un thème d’une puissance rare : l’image comme arme, mémoire et champ de bataille culturelle.
L’image fondatrice : de la photo des Six à la mémoire nationale

Cette photo, dit-il, “parle sans mots”. Elle condense le sens de la révolution, l’unité, la discipline et la foi dans la libération. « Elle reste gravée dans la mémoire collective », souligne-t-il.
Pour Ben Saada, l’image agit comme un artefact culturel, doublement encodé : « par son sens et par sa symbolique. » Elle transmet une idée et une émotion, inscrivant la nation dans une mémoire visuelle partagée. C’est la première grande leçon de la guerre de libération : l’image, avant même le cinéma, fut la première ambassade d’une Algérie libre.
De René Vautier à Labudović : la caméra comme témoin et arme
Le chercheur cite René Vautier, le cinéaste engagé, pour rappeler que « la caméra est une arme de guerre aussi bien que les fusées et les chars. »
Il évoque aussi Stefan Labudović, le caméraman serbe du maréchal Tito, venu filmer la révolution algérienne durant trois ans. Ces images, diffusées à l’international, ont contribué à la reconnaissance mondiale de la lutte algérienne.
À travers ces exemples, Ben Saada démontre que l’image forge la légitimité culturelle des peuples opprimés : elle humanise la résistance, elle matérialise la dignité, et elle raconte une histoire que les vainqueurs ne peuvent confisquer.
De Gaza à l’Ukraine : la guerre de l’image à l’ère numérique
Le débat s’est ensuite déplacé vers le présent. Madjed Nehme a observé que, dans les conflits contemporains, l’image a remplacé le son. « Avant, on vivait dans l’instantanéité des radios. Aujourd’hui, c’est l’immédiateté des images. »
À Gaza comme en Ukraine, les vidéos de civils, souvent tournées sur smartphone, court-circuitent la propagande officielle. Elles deviennent des témoignages directs, viraux, incontrôlables.
Le politologue souligne qu’à Gaza, “les Palestiniens ont gagné la guerre de l’image.”
Face à la censure israélienne et à la complicité médiatique occidentale, la diffusion massive de vidéos sur TikTok ou X a renversé le récit dominant. Selon lui, « les réseaux sociaux ont permis de casser le mensonge et de montrer la réalité du génocide. »
Ben Saada renchérit avec des chiffres : pour chaque vidéo pro-israélienne, on en comptait 17 pro-palestiniennes avant leur suppression massive sous pression. Même les campagnes sponsorisées — « 7 000 dollars par publication pour les influenceurs pro-israéliens » — n’ont pas inversé la tendance.
→ La vérité émotionnelle de l’image a dépassé la propagande algorithmique.
Rudolf El Kareh : de Hollywood au Pentagone, la fabrique du récit
Le Pr Rudolf El Kareh a replacé cette bataille de l’image dans une histoire longue. Il rappelle la photo du Vietnam — l’enfant brûlée au napalm — comme un tournant mondial : « cette image a fait basculer l’opinion. »
Dès lors, les puissances militaires ont compris qu’il fallait contrôler le regard. « L’armée américaine a inventé le journalisme embarqué, le journaliste pris dans la même matrice que le soldat. »
El Kareh forge une formule frappante : « je ne dis plus Hollywood et Pentagone, mais Penta et Hollygone », soulignant la fusion entre industrie culturelle et appareil militaire.
→ Le cinéma, la télévision et la guerre participent d’une même fabrique narrative.
Aujourd’hui, dit-il, « l’image n’est plus seulement un outil, elle devient une pièce à charge dans le dossier criminel des guerres modernes. »
L’intelligence artificielle : le nouvel empire du regard
Les intervenants ont aussi exploré la mutation actuelle : l’entrée de l’IA dans la guerre de l’image.
Ben Saada explique que « nous vivons à l’ère de la post-vérité, où le narratif appartient au puissant. » Les algorithmes filtrent, amplifient, ou effacent. Ils favorisent certaines opinions, en étouffent d’autres.
Les deepfakes brouillent les repères, et les images générées — si crédibles qu’elles paraissent — deviennent des armes cognitives.
Face à cela, il appelle à la création d’une structure nationale de guerre cognitive : investir dans nos propres algorithmes, former nos jeunes à la lecture critique des images, et bâtir un contre-récit souverain.
L’image : héritage de lutte et culture de souveraineté
Au fil du débat, un fil rouge s’impose : la culture de l’image est un enjeu de souveraineté.
Qu’il s’agisse de la photo des six historiques, des images de Gaza ou de la désinformation sur les réseaux, tout se joue dans la capacité d’un peuple à se représenter lui-même.
L’émission s’est conclue sur une note de mémoire et de dignité :
« Chaque millimètre carré de notre pays a été arrosé par le sang de nos martyrs », a rappelé Ben Saada.
Et Souhila El Hachemi de clore : « L’image témoin de l’histoire, mais aussi champ de bataille du présent. »
Mon opinion : dans cette heure dense, “Débat politique” a fait plus qu’un exercice médiatique — c’était une leçon de culture nationale et universelle. L’image y apparaît comme la langue invisible des peuples : celle qui transmet la vérité quand les mots se dérobent.
Hope&ChaDia