Depuis l’annonce du président TEBBOUNE d’introduire la langue anglaise à l’école primaire, la toile s’enflamme et chacun y va de son post, de son commentaire sur cette décision radicale et historique. On s’érige en défenseur de la langue française historique butin de guerre, en analyste de l’école, en pédagogue aguerri aux questions linguistiques et on rappelle à notre bon souvenir des linguistes, des spécialistes en éducation qui nous assènent que le bilan de l’Ecole algérienne est désastreux, que la langue arabe est la cause de tous les maux, que jamais nos élèves n’apprendront l’anglais tant qu’ils ne maîtriseront pas l’arabe. Autant de commentaires que de discours contradictoires.
D’autres encore s’inquiètent de comment peut-on abandonner le français ? cette langue si profondément ancrée dans les usages de communication et omniprésentes dans nos institutions et nos universités avec cette crainte sous-jacente de devenir illettré dans son propre pays si elle venait à disparaître, …
Le français, ce butin de guerre expression consacrée par feu Kateb Yacine, renchériront d’autres, il faut le préserver ! Kateb Yacine, Mohamed Dib, ont écrit en français avec des sentiments algériens, un patriotisme et un engagement profondément sincères et acquis à l’Algérie algérienne. C’est, pour nous, les générations d’après l’indépendance, ce trésor façonnée par eux avec la langue coloniale qui est notre butin et non la langue qu’ils ont utilisée..
Nos illustres écrivains de l’époque coloniale avaient-ils le choix d’écrire dans une autre langue que le français ?
Soixante ans après l’indépendance, la décolonisation « linguistique », culturelle est la plus longue à opérer car elle dispose d’armes tenaces accrochées à l’affect, dans une relation d’amour contrariée, je t’aime, moi non plus, comme si s’en débarrasser allait nous amputer de toute faculté de penser.
Le français est-il réellement un butin de guerre ou sommes-nous le butin historique indéfectible de la francophonie ?
Dans cet entretien accordé à Jazaihope, Rabeh Benseba analyse la multiplicité des langues omniprésentes dans le paysage linguistique algérien, un paysage qui connaît des transformations, des mutations naturelles qui surviennent inéluctablement dans toutes les sociétés. Cette langue « algérienne », la résultante d’un ensemble d’interactions civilisationnelles devenue aujourd’hui vernaculaire, est celle que nous avons nous-mêmes façonnée, produite au fil des sièces, est notre véritable butin, notre langue dans sa dimension plurielle. C’est celle-là qui structure notre pensée, c’est celle qui véhicule nos premiers apprentissages, celle qui installe dans nos structures cognitives les schèmes de nos premiers savoirs. Celle avec laquelle nous écoutons nos premières histoires, avec laquelle nous apprenons les premières règles de nos jeux d’enfants, les expressions de respect, d’amour, …
Et puis, vient l’école dont l’objectif est de structurer nos savoirs, les transformer en savoirs savants, les enrichir, les développer, les faire évoluer, …C’est la langue de l’école, la langue académique, la langue des curricula définis par les autorités d’un état pour former ses enfants, les citoyens de demain.
Justement, quel citoyen voulons-nous former ? celui dont l’horizon ne peut aller au-delà de la méditerranée ou un citoyen du monde qui maîtrise la langue universelle qui lui permettra d’accéder aux connaissances les plus récentes à la source en l’occurrence l’anglais ?
English or French ? n’est pas la véritable question. Avons-nous le choix, aujourd’hui, dans l’Algérie indépendante de choisir, comme le font toutes les nations souveraines, soucieuses de promouvoir leur système éducatif une langue « étrangère », un choix basé sur des enjeux civilisationnels, culturels, scientifiques et économiques pour relever les défis, tous les défis qui se posent et se poseront à notre société ?
Dans de nombreux pays, tout changement dans le système éducatif apporte son lot de peurs et d’inquiétudes car synonyme de bouleversements dans les habitus professionnels des enseignants et dans leurs pratiques pédagogiques quotidiennes. Cela nécessitera, bien évidemment, d’accompagner les enseignants, de les doter de moyens, de ressources pour la réussite de leurs missions et à la société de s’adapter progressivement à ce changement.
Les dernières annonces gouvernementales évoquent le recrutement de milliers d’enseignants sur le territoire national et la préparation de manuels scolaires qui seront disponibles à la rentrée. Il y aura certainement des réajustements à faire, indispensables, des pauses évaluatives à penser, pour inscrire cet enseignement dans une voie de progrès, le jeu en vaut la chandelle.
Cette polémique stérile autour du pour ou contre l’introduction de l’anglais à l’école primaire, en sus d’attiser les divisions et les stigmatisations déjà fort nombreuses dans la société, induit une atmosphère négative autour de l’école qui engendre le refus d’apprendre, le rejet et la suspicion de tout ce qui n’est pas estampillé « franco-français ».
OUSSA NAM