« Iraniens, taisez-vous à jamais ! » — ainsi commence, sans détour, l’article de Nourreddine Boukrouh, publié à la suite de la frappe israélienne du 13 juin. Cette injonction radicale, adressée à l’Iran dans son ensemble, illustre une tendance désormais récurrente dans le discours d’une certaine élite arabe à propos de la République islamique. Or, pendant que Boukrouh généralise, essentialise et disqualifie, un ancien officier supérieur américain, Douglas McGregor, adopte quant à lui une lecture militaire froide, mais respectueuse, des capacités stratégiques iraniennes. Le contraste mérite qu’on s’y arrête.
À la suite de la frappe israélienne du 13 juin 2025 contre des cibles sensibles en territoire iranien, nombre d’analyses se sont focalisées sur les capacités de riposte, les lectures tactiques, ou les risques d’escalade régionale. Mais un angle, moins commenté et pourtant fondamental, mérite l’attention des esprits exigeants : la nature du regard porté sur l’Iran par ceux qui ne lui sont ni fidèles, ni hostiles par réflexe idéologique. Deux voix singulières se distinguent à ce titre : celle du Colonel Douglas McGregor, ancien conseiller du secrétaire américain à la Défense, et celle de l’intellectuel algérien Nourreddine Boukrouh, témoin engagé de la révolution iranienne de 1979.
Le premier respecte l’Iran, en tant qu’adversaire structuré et stratégique.
Le second le méprise, en tant que projet qu’il juge désormais disqualifié.
Et cette opposition n’est pas simplement de ton ou d’opinion : elle incarne deux manières radicalement différentes d’évaluer un acteur historique sous pression.
Le respect stratégique de McGregor
Dans une déclaration remarquée aux États-Unis, McGregor adopte une lecture strictement militaire de la séquence. Il décrit un Iran certes surpris par une attaque israélienne menée alors que des négociations étaient en cours, mais capable de mobiliser, en moins de vingt heures, une riposte de grande ampleur, techniquement avancée, incluant missiles balistiques et hypersoniques.
L’Iran y apparaît comme un acteur souverain, adossé à un réseau diplomatique stable (Russie, Chine, Pakistan, monde musulman), disposant d’une capacité de dissuasion asymétrique crédible. Le rapport coût-efficacité de ses systèmes d’attaque (comme les drones Shahed) contraste avec l’épuisement logistique que leur interception impose à ses adversaires.
Ce respect n’a rien d’idéologique. Il repose sur une analyse fonctionnelle :
Quand un adversaire agit avec méthode et précision, il cesse d’être caricatural. Il devient un paramètre sérieux du système international.
C’est précisément ce qui rend la lecture de McGregor si tranchante envers Israël : un État qu’il décrit comme impulsif, militairement dépendant, stratégiquement inconséquent. L’image d’un allié devenu passif-agressif, engagé dans une guerre qu’il ne maîtrise pas, et qui mise sur l’implication américaine pour éviter une défaite assumée.
Le ”désenchantement’?’ tranchant de Boukrouh
Boukrouh, quant à lui, ne livre pas une analyse des rapports de force. Il construit un réquisitoire à forte charge affective, fondé sur sa propre trajectoire. Ayant soutenu la révolution iranienne dans les années 1970, il revendique une position de témoin moral, autorisé à en dresser aujourd’hui le constat d’échec.
Son propos, presque exclusivement introspectif, décrit un régime devenu inopérant : théocratie rigide, rhétorique de résistance vidée de sa substance, absence d’efficacité concrète. À défaut d’évaluer les conséquences stratégiques du moment, il avance une injonction :
Si l’Iran ne répond pas à l’agression israélienne, il doit se retirer symboliquement de l’Histoire, se taire pendant cinquante ans, et céder la place à une gouvernance laïque, silencieuse et compétente.
Ce type de verdict, péremptoire, ne procède ni d’une étude actualisée des dynamiques régionales, ni d’une lecture froide des contraintes géopolitiques. Il tient davantage de l’acte de rupture publique — avec ce que cela implique de posture personnelle.
Israël, entre panique et doctrine
Sur Israël, les deux lectures diffèrent dans le style mais convergent dans le constat d’une puissance offensive. McGregor le dépeint comme un facteur de chaos : initiative mal calculée, échec du Dôme de Fer, déstabilisation régionale aggravée. Pour lui, Israël devient une source d’instabilité stratégique globale.
Chez Boukrouh, l’analyse se fait plus clinique : Israël est vu comme un acteur doctrinaire, ancré dans une continuité stratégique rigoureuse depuis Herzl jusqu’à Netanyahou. La frappe du 13 juin n’est ni émotionnelle, ni irréfléchie : elle prolonge une doctrine de supériorité préventive, assumée, appliquée avec méthode.
Ce qui en ressort est un déséquilibre : le même auteur qui traite l’Iran avec mépris semble accorder à Israël un respect implicite pour sa cohérence tactique, sans que cela n’appelle, de sa part, une mise en garde équivalente.
Une interpellation à l’élite
Ce double regard — l’un tactique, l’autre moral — devrait interpeller les élites arabes et musulmanes qui persistent à commenter les conflits selon des logiques binaires, ou à rejeter toute résistance sur la base de ses imperfections.
Lorsqu’un militaire américain estime que l’Iran a gagné en sérieux dans le système international, et qu’un intellectuel local en appelle à son retrait symbolique, la question n’est plus celle du soutien ou du rejet, mais de cohérence analytique.
Car pendant que Gaza est sous les bombes, certaines voix choisissent de concentrer leur énergie à délégitimer le seul camp qui, malgré ses erreurs, refuse encore la soumission. Ce choix n’est pas neutre. Et il n’est plus crédible.
Ce n’est pas ici une leçon morale. C’est une ligne de fracture.
Si McGregor respecte l’Iran, et que Boukrouh le méprise, et si vous continuez à dénoncer toujours les mêmes et à épargner toujours les autres…
…ce n’est plus une posture.
C’est un automatisme.
Et probablement, un aveu.
Hope&ChaDia