La rencontre entre le PDG de Sonarem, Belkacem Soltani, et la délégation de la société chinoise MCC, conduite par Jia Ningchuan, a relancé un sujet majeur : le traitement du minerai de Gara Djebilet. Beaucoup se demandent pourquoi ce projet stratégique s’appuie sur un partenariat étranger, et en particulier sur la Chine.
La réponse tient en un mot : le phosphore, ennemi invisible de l’acier.
Et ce n’est pas un hasard si ces discussions se tiennent à peine deux semaines après la promulgation de la nouvelle loi sur les activités minières (loi n°25-12 du 3 août 2025). Cette loi a été conçue pour verrouiller la souveraineté du sous-sol algérien, imposer des clauses de contenu local et de transfert de compétences, tout en offrant aux investisseurs des conditions stables et attractives. Autrement dit, elle fournit le cadre juridique indispensable à des projets lourds comme Gara Djebilet, qui nécessitent à la fois des investissements colossaux (plusieurs milliards USD) et des technologies rares comme la réduction du phosphore. Gara Djebilet devient ainsi le premier grand test grandeur nature de ce nouveau dispositif légal.
Le défi du phosphore
Le gisement de Gara Djebilet, l’un des plus vastes au monde, recèle des milliards de tonnes de fer. Mais il souffre d’un handicap majeur : une teneur élevée en phosphore (≈0,8–1 %), alors que les aciéries modernes exigent moins de 0,1 %.
Le phosphore rend l’acier cassant à froid, le rendant inutilisable pour la construction ou l’automobile. Autrement dit : sans traitement, le minerai de Gara Djebilet n’a pas de valeur sur le marché international.
Pourquoi c’est compliqué
Réduire ce taux de phosphore n’est pas une opération classique de “lavage” du minerai. Les techniques sont lourdes, coûteuses, et exigent un haut niveau d’ingénierie :
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Flottation : séparer les particules phosphorées par réactifs chimiques.
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Grillage + lixiviation : chauffer puis dissoudre les composés phosphatés.
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Réduction directe : transformer partiellement le fer avant séparation.
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Déphosphoration en aciérie : ajouter des agents comme la chaux pour capter le P, mais insuffisant quand la teneur est trop élevée.
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Techniques innovantes : bio-lixiviation par bactéries ou procédés électrochimiques, encore expérimentaux.
Le défi, pour l’Algérie, n’est donc pas de “connaître” la technologie, mais de l’adapter à son minerai spécifique et de le faire à une échelle industrielle. C’est là que se joue la différence entre un simple projet minier et un défi technologique de rang mondial.
Qui sait le faire dans le monde ?
Très peu de pays maîtrisent réellement la déphosphoration des minerais ferrifères :
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Chine : leader incontesté, avec des dizaines de brevets et d’usines pilotes.
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Russie : savoir-faire historique dans ses aciéries de l’Oural.
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Inde : technologies adaptées via la réduction directe, souvent avec des partenaires japonais.
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Japon : spécialiste de la déphosphoration en phase sidérurgique.
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Brésil : certaines expérimentations sur ses minerais phosphorés.
C’est donc logique que l’Algérie se tourne vers la Chine, qui a l’expérience la plus aboutie.
Le véritable enjeu : l’autonomie technologique
La Chine peut fournir une “boîte noire” qui fonctionne et réduit le phosphore, mais cela laisserait l’Algérie dépendante à long terme.
Le PDG de Sonarem a donc insisté sur la création de groupes de travail conjoints et sur l’importance de réaliser les essais localement. Car le vrai défi n’est pas seulement de lancer le projet, mais de former des ingénieurs algériens capables de reproduire et d’améliorer la technologie.
Sans transfert de savoir-faire, Gara Djebilet risque de devenir une énième mine exploitée au profit d’autrui, plutôt qu’un levier pour l’industrialisation nationale.
Horizon 5 ans : possible mais pas seul
En autonomie totale, l’Algérie aurait du mal à développer une filière de déphosphoration complète d’ici 5 ans. Cela nécessiterait :
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des laboratoires spécialisés,
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des usines pilotes,
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et des années d’expérimentation.
Pour donner un ordre de grandeur, la mise au point et l’industrialisation d’un procédé de déphosphoration peuvent coûter plusieurs centaines de millions de dollars en phase pilote et jusqu’à 1 à 2 milliards USD pour une unité industrielle intégrée capable de traiter 10 à 20 millions de tonnes/an. Or, c’est précisément l’échelle visée pour la phase 2 du projet de Gara Djebilet (2026–2030), qui prévoit une montée en régime à environ 12 millions de tonnes/an, soit un investissement de l’ordre de 1 à 2 milliards USD. À long terme, la mine est dimensionnée pour 40 à 50 millions de tonnes/an, ce qui impliquerait plusieurs unités de traitement et des investissements cumulés pouvant dépasser 5 à 7 milliards USD.
En termes de calendrier, même avec des partenaires expérimentés, il faut compter :
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2 à 3 ans pour des essais en laboratoire et en usine pilote,
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5 à 7 ans pour une montée en puissance industrielle,
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et 10 ans pour une maîtrise complète locale avec transfert de technologie réussi.
Avec un partenariat bien structuré, il est réaliste de voir émerger des unités locales dans ce délai. Mais à condition de sécuriser un véritable transfert technologique. Autrement dit, l’Algérie s’engage dans un chantier dont l’ampleur financière est comparable à celle d’un méga-projet énergétique.
Conclusion : un projet, une loi, un test grandeur nature
Le “POURQUOI” de la présence de MCC à Alger est clair : parce que l’Algérie doit surmonter l’obstacle technique du phosphore pour donner vie à Gara Djebilet. Mais le vrai choix stratégique est ailleurs : est-ce que ce projet fera de l’Algérie un simple fournisseur de minerai traité par d’autres, ou bien le point de départ d’une autonomie technologique et industrielle ?
Car investir 5 à 7 milliards USD sans acquérir la technologie reviendrait à bâtir des cathédrales pour d’autres. Et c’est précisément là que la nouvelle loi minière de 2025 prend tout son sens. Elle verrouille la souveraineté sur le sous-sol et impose des clauses de contenu local et de transfert de compétences. Elle fournit les instruments légaux pour transformer un défi technique (la réduction du phosphore) en levier stratégique d’industrialisation.
En pratique, Gara Djebilet sera donc le premier grand test grandeur nature de cette loi : si elle est appliquée avec rigueur, le pays pourra conjuguer souveraineté nationale, attractivité internationale et montée en compétences technologiques. Dans le cas contraire, l’Algérie risquerait de n’être qu’un simple fournisseur de matières premières, malgré l’ambition affichée.
Hope&Chadia
– Rencontre SONAREM-MCC Mine de Gara Djebilet: discussions entre Sonarem et la société chinoise MCC pour le développement du traitement du minerai de fer
– Nos Articles Sur la Nouvelle Loi des mines :
MINES : UNE LOI QUI VERROUILLE LE SOUS-SOL ALGÉRIEN SANS FAIRE FUIR LES INVESTISSEURS – AAH.JZR
PROFESSEUR KAMEL DIB SUR LA NOUVELLE LOI ALGÉRIENNE DES MINES – AAH.JZR
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3 comments
A mon avis, il faut considerer le minerai de Gara Djebilet comme une source de 2, au moins, metaux precieux : le Fer et le Phosphore, peut etre aussi les TR.
Actuellement le Fer serait celui qui est le plus interessant, aussi il faut extraire le Fer par une traitement surtout magnetique, bien sur par une recherche developpement abordable.
Le reste, sterile 1 serait stocké, car c’est un minerai de Phosphore. Aussi il s’agirait de developper une recherche developpement pour extraire le phosphore. Le reste, sterile 2 serait considéré par le 3éme volet.
Le 3ème axe de la recherche developpement serait les TR, les existence, leurs teneurs en premier.
Tout ceux ci peut se faire par des équipes existentes dans le pays avec un support adapté de competence de la diaspora et eventuellement de laboratoires spécialisés dans le monde.
A. Saadallah Dr en Geosciences, https://saadgeo.org/
Merci Dr Saadallah pour votre contribution éclairante et pour avoir élargi le débat à la valorisation multi-ressources de Gara Djebilet — fer, phosphore et peut-être terres rares. Votre approche en trois volets de recherche-développement est très juste.
Permettez-moi toutefois de vous poser une question : l’Algérie dispose-t-elle réellement aujourd’hui non seulement d’équipes, mais aussi de processus, d’infrastructures et de moyens adaptés pour affronter la complexité technologique que représente la réduction du phosphore et la valorisation des ressources associées, ou s’agit-il plutôt d’un potentiel encore dispersé qu’il faudrait structurer et renforcer ?
Bonjour et merci pour votre remarque. Le fait que vous dites “…réduction du Phosphore…” indique le fait que depuis des decennies, le phosphore est vu comme un “mal” a ce minerai de Gara Djebilet. La methode classique d’exploitation de minerai consiste a traiter le minerai brut pour lui ENLEVER les impuretés (donc dans ce cas le phosphore) et ne garder que le minerai recherché avec une teneur de plus en plus elevé.
OUBLIER cette methode conventionnelle. On ne cherche pas a réduire le phosphore, on le met de côté, pour l’exploiter plus tard.
Actuellement, il existe des labos de chimie a travers plusieurs villes, et y compris dans les environs de Tindouf, Bechar, Adrar…Il est probable que certains devront etre renforcés, mais la 1ere phase (extraire le Fer) est très possible. Bien sur il faudrait trouver la methode la plus efficace, mais cette recherche que beaucoup chimistes pourront faire.
Quant aux 2 autres phases, extraire le Phosphore, deceler les TR, nous avons encore le temps pour nous investir.
Vous comprenez pourquoi cette vision est nouvelle. On ne cherche pas a purefier le minerai brut, et jeter le sterile, mais on extrait ce que nous devons exploiter et on CONSERVE le sterile pour des jours meilleurs.
Je vous remercie de votre commentaire.