L’émission « Débat politique » du 13 décembre 2025, diffusée sur Alger Chaîne III et présentée par Souhila El Hachemi, s’inscrit dans un registre d’analyse géopolitique et médiatique exigeant. Diffusée chaque samedi à 13h00, elle a, cette semaine-là, abordé un thème particulièrement sensible : « Les dessous des manœuvres de division et de déstabilisation de l’Algérie : qui sont les donneurs d’ordre et qui sont leurs soutiens ? L’acharnement médiatique en fait-il partie ? ». Deux invités structurent la discussion : le docteur Ahmed Bensaada, auteur et chercheur spécialiste des questions géopolitiques, connu pour ses travaux sur les ingérences étrangères et les stratégies de manipulation, et Michel Collon, écrivain et analyste de la propagande de guerre et de la désinformation médiatique, intervenant par téléphone depuis Bruxelles. L’émission se donne ainsi explicitement pour objectif de relier les dynamiques de guerre de l’information aux menaces qui pèsent sur l’unité et la stabilité de l’État algérien.
Ce que disent les intervenants : faits et thèses principales
Le point de départ du débat est l’idée que les formes contemporaines de confrontation entre États ne passent plus prioritairement par des guerres classiques, mais par des « guerres de quatrième génération » ou « guerres cognitives ». Ahmed Bensaada insiste sur cette mutation stratégique : l’enjeu n’est plus seulement de contrôler des territoires, mais de contrôler les perceptions, les narratifs et les comportements. L’information, la désinformation, la mésinformation et la malinformation deviennent des armes à part entière, déployées via réseaux sociaux, algorithmes et plateformes médiatiques.
Dans ce cadre, certaines institutions algériennes sont désignées comme cibles prioritaires : l’armée, la présidence et désormais l’institution judiciaire, attaquée pour délégitimer l’État en invoquant les « droits de l’homme ». Les ONG dites « droits-de-l’hommistes » apparaissent comme des vecteurs d’un discours sélectif, orienté vers la construction d’une image dégradée des États récalcitrants à l’ordre international dominant.
Sur les « donneurs d’ordre », Bensaada évoque un axe « FMI » – France, Maroc, Israël – présenté comme le noyau des acteurs les plus hostiles à l’Algérie. Le MAK, classé terroriste par le Haut Conseil de sécurité, est au cœur de cette analyse : il serait hébergé, soutenu ou instrumentalisé par ces puissances. La trajectoire de Boualem Sansal, devenu soudain omniprésent dans les médias français, est analysée comme un indicateur supplémentaire de cette stratégie.
Bensaada appuie son propos sur des données précises de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) montrant une surmédiatisation sans précédent de l’Algérie dans les médias français. Le nom de Sansal, quasiment absent auparavant, aurait connu une explosion spectaculaire. Pour Bensaada, cette visibilité disproportionnée révèle une construction médiatique volontaire et ciblée.
Michel Collon replace ces constats dans l’histoire mondiale de la propagande. Selon lui, la diabolisation médiatique est un outil ancien des puissances impériales, désormais perfectionné par internet. Il évoque notamment le rôle d’un ministère israélien spécialisé dans la « guerre de l’information », qui manipule contenus numériques, influenceurs et même Wikipédia via des campagnes systématiques et financées.
Collon insiste aussi sur l’imbrication entre Big Tech, institutions militaires occidentales et multinationales extractivistes. Ce réseau d’intérêts forme ce qu’il décrit comme un complexe politico-économico-médiatique, où le contrôle de l’information devient une extension du contrôle des ressources et des alliances géopolitiques.
Sur la balcanisation, Collon rappelle que les puissances coloniales ont toujours exploité les divisions internes pour fragmenter les États (Yougoslavie, Irak/Koweït, Rwanda/Burundi, Congo/Katanga). Mais aujourd’hui, dit-il, cette stratégie est plus rentable et plus systématique, car elle permet d’affaiblir durablement un pays sans engagement militaire direct. Il affirme clairement que l’Algérie figure parmi les cibles structurelles de ces stratégies, comme la Libye ou la Syrie avant elle.
Dans la dernière partie, Bensaada insiste sur la nécessité de consolider le front intérieur, rappelant que la diversité culturelle, linguistique et régionale de l’Algérie est une richesse, non un facteur de fragmentation. Il souligne le rôle historique des Kabyles dans la libération nationale et déconstruit le récit qui prétend les opposer à la nation algérienne. Le MAK est alors présenté comme un instrument où se croisent les intérêts hostiles de plusieurs États.
Enfin, il plaide pour une éducation nationale au numérique et aux médias, ainsi qu’un renforcement de la compétence professionnelle des médias algériens afin de ne pas amplifier malgré eux les mécanismes de manipulation extérieure.
LES INSTIGATEURS : Au cœur des dynamiques décrites dans l’émission, la question des instigateurs occupe une place centrale. Les intervenants identifient un ensemble d’acteurs étatiques – France, Maroc et Israël – dont les intérêts convergent autour d’un même objectif : affaiblir la cohésion interne de l’Algérie et perturber son positionnement géopolitique indépendant. Ces États mobilisent des instruments variés : relais médiatiques, réseaux d’influence, financement direct ou indirect de structures hostiles telles que le MAK, et campagnes numériques destinées à installer des récits délégitimants. Cette triangulation d’intérêts, que le débat résume sous la formule « FMI », ne repose pas uniquement sur une hostilité circonstancielle, mais sur une stratégie profonde visant à contenir un pays perçu comme trop autonome dans ses choix politiques et trop ferme dans ses positions internationales. À cette architecture étatique s’ajoutent des acteurs non gouvernementaux – influenceurs, ONG, groupes de pression – qui servent de multiplicateurs d’effet, donnant une apparence diffuse et multiforme à une démarche pourtant structurée
Mise en perspective : enjeux géopolitiques, médiatiques et internes
L’émission interroge un enjeu crucial : comment analyser les pressions extérieures sans réduire les complexités internes à de simples complots ? La grille proposée par Bensaada et Collon est cohérente : elle met en évidence des structures d’ingérence, des réseaux médiatiques et des alignements politiques qui pèsent sur l’image internationale de l’Algérie.
Elle rappelle aussi que le discours médiatique n’est jamais neutre, et que les catégories (« terrorisme », « démocratie », « droits de l’homme ») peuvent être manipulées à géométrie variable. La mise en avant de certaines figures, la marginalisation d’autres, ou les silences sélectifs du paysage médiatique occidental sont autant d’éléments qui renforcent cette hypothèse.
L’émission rappelle que les acteurs extérieurs ciblent en priorité ce qu’Ahmed Bensaada appelle les « infractuosités sociétales », c’est-à-dire les sensibilités identitaires, historiques, linguistiques ou culturelles présentes dans toute société. Selon lui, ces éléments existent objectivement dans chaque pays, et les puissances hostiles cherchent simplement à les exploiter ou à les amplifier pour fragiliser la cohésion nationale. L’idée n’est donc pas d’évaluer ces dynamiques internes, mais de montrer comment elles servent de leviers aux stratégies de déstabilisation informationnelle.
L’émission a également le mérite de souligner que la bataille médiatique ne peut pas être gagnée uniquement par des dénonciations extérieures, mais par la construction d’un espace public interne crédible, pluraliste et professionnel.
Les chiffres qui révèlent l’acharnement médiatique
Ahmed Bensaada s’appuie sur les données de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) pour démontrer une surmédiatisation ciblée de l’Algérie dans les médias français. En 2025, le mot « Algérie » apparaît plus de 24 000 fois sur les chaînes d’information en continu, soit six fois plus que “Maroc” et dix-sept fois plus que “Tunisie”. Les radios françaises suivent la même dynamique : 6 024 occurrences pour “Algérie”, contre 1 962 pour “Maroc” et 520 pour “Tunisie”. Le cas de Boualem Sansal est encore plus spectaculaire : mentionné 42 fois en neuf ans, son nom surgit 6 593 fois en une seule année, soit une hausse de 157 fois.
Selon Bensaada, ces chiffres ne reflètent pas seulement une présence médiatique plus forte : ils produisent un effet cognitif massif. En étant majoritairement citée dans des contextes négatifs, l’Algérie devient, pour le public occidental, un “problème constant”, un pays présenté comme instable, inquiétant ou défaillant. Les sciences cognitives montrent que la répétition négative fabrique une perception : plus un État est associé publiquement à des controverses, plus son image se détériore, même en l’absence de faits substantiels. Ainsi, la surexposition médiatique de l’Algérie – combinée au cadrage négatif – multiplie l’effet de diabolisation et renforce les narratifs hostiles.
Une résilience structurée : comment l’Algérie résiste
Ce qui ressort avec force de cette émission, c’est la manière dont l’Algérie oppose une résistance multiple, enracinée dans son histoire, ses institutions et sa cohésion sociale. Les mécanismes de déstabilisation décrits par les deux intervenants ne rencontrent pas un vide : ils se heurtent à un pays doté d’une mémoire collective forgée par la lutte anticoloniale, d’un État conscient de son environnement stratégique, et d’une population attachée à son unité nationale.
L’un des axes centraux de cette résilience repose sur la solidité du front intérieur. Comme l’a rappelé Ahmed Bensaada, les Algériens, malgré leurs diversités linguistiques, régionales ou culturelles, se reconnaissent dans un socle commun : une histoire partagée, une identité nationale affirmée, une mémoire de sacrifices et une vision largement consensuelle de l’indépendance et de la souveraineté. Cette cohérence fondamentale constitue un rempart efficace contre les tentatives de fragmentation identitaire visant à opposer les Algériens entre eux.
La mobilisation populaire observée chaque fois qu’une attaque extérieure vise l’intégrité ou la dignité du pays illustre cette résistance. Les réactions spontanées sur les réseaux sociaux, l’attachement visible au drapeau, l’unité affichée autour du triptyque Islam – Arabité – Amazighité, ou encore les prises de position de figures respectées comme le fils du colonel Amirouche, témoignent d’une conscience nationale vive, difficile à manipuler ou à diviser.
L’Algérie oppose également une résistance institutionnelle, notamment à travers une armée nationale populaire décrite comme vigilante, structurée et préparée, pleinement consciente des risques régionaux. Les menaces provenant d’un environnement géopolitique instable – frontières en crise, conflits dans plusieurs pays voisins – ont conduit à un renforcement stratégique, capacitaire et doctrinal de la défense nationale. Cette posture, loin d’être agressive, s’articule autour d’un principe constant : protéger la souveraineté du pays et empêcher toute dérive comparable à celles observées dans d’autres États de la région.
La résistance passe aussi par la maîtrise de la mémoire historique. En refusant les narratifs falsifiés, qu’il s’agisse d’une nostalgie fabriquée de l’Algérie coloniale ou d’une relecture instrumentalisée du passé, la société algérienne conserve une boussole identitaire essentielle. Cette mémoire n’est pas seulement un héritage : elle est un outil de stabilisation, une manière de reconnaître les dangers de la domination externe, et de ne pas se laisser séduire par des récits qui minimisent les traumatismes de la colonisation.
Enfin, l’Algérie résiste par une appropriation progressive de la bataille informationnelle. Bensaada insiste sur l’importance d’une éducation aux médias et au numérique : ce mouvement, amorcé dans le débat public, révèle une volonté de doter la société des outils nécessaires pour reconnaître la manipulation, distinguer l’information authentique du faux contenu, et neutraliser les tentatives d’ingérence cognitive. À cela s’ajoute un rôle croissant des médias nationaux, appelés à devenir des acteurs plus structurés, plus rapides et plus fiables dans la défense de la vérité et de l’intérêt national.
Dans l’ensemble, la résilience algérienne apparaît plurielle : sociale, historique, institutionnelle et cognitive. Elle repose à la fois sur un héritage de lutte, une unité profondément enracinée, une vigilance militaire, un sens collectif de la souveraineté et une maturation progressive de la culture informationnelle. L’émission montre que, face aux tentatives de déstabilisation, l’Algérie ne se contente pas de réagir ; elle tisse continuellement les ressorts de sa propre force, consolidant en permanence l’ensemble de ses défenses – visibles et invisibles.
Hope&ChaDia