La guerre a longtemps été perçue comme un affrontement physique, mais à l’ère contemporaine, elle a évolué pour inclure des dimensions bien plus subtiles et insidieuses. L’une de ces nouvelles formes est la guerre cognitive, un concept exploré par Dr. Ahmed Bensaada lors de son intervention sur Canal Algérie, dans l’émission « Culture, l’autre regard », animée par l’écrivain Mr. Djawad Rostom Touati. Cette guerre dépasse la simple désinformation pour toucher à la façon dont l’esprit humain traite et analyse l’information, transformant ainsi notre perception du réel et influençant nos décisions.
Comprendre la guerre cognitive
Selon Dr. Bensaada, la guerre cognitive est une forme de manipulation qui vise à influencer la manière dont les individus perçoivent et interprètent l’information. Contrairement aux guerres classiques de quatrième génération qui exploitent simplement l’information, la guerre cognitive manipule la façon dont le cerveau humain traite cette information. James Giordano, neuroscientifique de renommée internationale, souligne que le cerveau est devenu le véritable champ de bataille du XXIe siècle. Cette guerre utilise divers outils comme les médias et les réseaux sociaux pour insérer des idées, des perceptions et des biais qui servent des agendas spécifiques.
L’ingénierie sociale et la manipulation de masse
La guerre cognitive n’agit pas seulement sur l’individu mais aussi sur la société dans son ensemble. Comme le mentionne Dr. Bensaada, le rapport de l’OTAN décrit le « piratage du cerveau humain », une pratique où les techniques psychologiques et les neurosciences se combinent pour influencer le comportement. L’objectif ultime est de créer un formatage collectif où les esprits sont conditionnés à accepter certaines idées sans les remettre en question.
Les biais cognitifs jouent ici un rôle central. Ces erreurs de jugement, souvent inconscientes, sont exploitées par les médias et les stratèges de guerre cognitive. L’effet de répétition, par exemple, renforce la crédibilité perçue d’un message : plus une idée est répétée, plus elle devient « vraie » aux yeux du public. Ce mécanisme est illustré par le cas de la jeune Naira, dont le faux témoignage lors de la première guerre du Golfe a servi à justifier l’invasion de l’Irak.
Un retour sur l’histoire : de la propagande à l’ingérence
L’histoire regorge d’exemples de propagande utilisée pour manipuler les perceptions. Dr. Bensaada évoque l’opération menée par la firme Hill & Knowlton en 1990, où une mise en scène élaborée a permis de diaboliser l’Irak aux yeux du monde. De tels stratagèmes ont été reproduits, comme en Roumanie avec le charnier de Timișoara ou encore avec les armes de destruction massive en Irak en 2003. La guerre cognitive exploite ainsi l’émotionnel et le pathos pour influencer les masses, des techniques analysées par des sociologues et des psychologues militaires.
La guerre cognitive aujourd’hui : Israël et la Palestine
L’analyse de Dr. Bensaada met également en lumière comment la guerre cognitive est utilisée dans les conflits actuels, notamment celui entre Israël et la Palestine. Les médias occidentaux présentent souvent une vision biaisée des événements, amplifiant certains faits tout en minimisant d’autres. Le concept de « victime identifiable », où l’on met en avant des images poignantes et individuelles pour susciter l’empathie, est régulièrement utilisé pour humaniser une cause tout en déshumanisant l’autre.
Dr. Bensaada souligne que l’usage du biais de confirmation permet de manipuler la perception des faits. Par exemple, lorsqu’un même message est répété, comme « Israël a le droit de se défendre », il finit par s’ancrer dans l’esprit collectif comme une vérité incontestable, même face à des contradictions évidentes.
Les implications pour l’Algérie et le monde
Selon Dr. Bensaada, l’Algérie, comme d’autres nations, n’est pas à l’abri des effets de la guerre cognitive. L’ingérence étrangère, souvent masquée sous des discours de liberté et de démocratie, utilise des lignes de faille sociétales pour semer la division. L’étude de ces fractures culturelles est capitale pour prévenir toute tentative de manipulation externe. Dr. Bensaada mentionne l’initiative Minerva du Département de la Défense américain, où des sociologues analysent ces vulnérabilités pour mieux exploiter les conflits internes.
L’importance de la vigilance est cruciale. L’éducation, la sensibilisation aux biais cognitifs et l’investissement dans la recherche sociétale et historique sont des outils essentiels pour préserver la stabilité sociale. L’appel à la création et à la consolidation de médias indépendants capables de contrebalancer les récits dominants est un point central dans la lutte contre les manipulations.
Indicateurs de la guerre cognitive et chiffres marquants : Dans son analyse, Dr. Ahmed Bensaada met en évidence des indicateurs précis qui permettent de déterminer si un pays est en guerre cognitive. Selon un article collectif russe qu’il cite, un pays est considéré en guerre cognitive lorsqu’il existe une prédominance marquée d’articles et de discours négatifs dans les médias à son sujet. Plus précisément, si le ratio est de cinq articles négatifs pour un article neutre, cela signifie que le pays est déjà engagé dans une guerre cognitive. Dr. Bensaada souligne que la situation de l’Algérie face à la France et à d’autres pays occidentaux illustre bien cette réalité : les articles négatifs à propos de l’Algérie dominent largement le discours médiatique, créant ainsi un climat de méfiance et de diabolisation systématique. Il rappelle également que cette forme de guerre peut paraître moins visible car elle ne se manifeste pas par des affrontements physiques, mais elle est tout aussi dangereuse car elle vise à affaiblir la cohésion sociale et à miner la perception qu’un peuple a de lui-même et de son environnement.
Comment se prémunir ?
La conclusion de Dr. Bensaada est claire : la prise de conscience et l’action proactive sont indispensables pour combattre l’influence de la guerre cognitive. L’individu doit développer sa capacité à critiquer et analyser l’information, tandis que les institutions doivent investir dans la recherche et l’éducation pour renforcer la résilience collective. La guerre cognitive, bien que silencieuse et souvent invisible, est bien réelle, et sa victoire repose sur la prise de contrôle des esprits.
Comment se prémunir contre la guerre cognitive
Dr. Bensaada propose plusieurs pistes pour se protéger des effets néfastes de la guerre cognitive, aussi bien au niveau individuel qu’institutionnel :
- Prise de conscience et éducation aux biais cognitifs : Il est essentiel de connaître les biais cognitifs et de comprendre comment ils influencent nos décisions et perceptions. La prise de conscience de ces biais permet de développer un esprit critique face aux informations qui nous parviennent. Cela inclut la sensibilisation à des biais courants tels que le biais de confirmation et l’effet de la répétition.
- Développement d’une résilience collective : Au niveau sociétal, il est impératif de renforcer l’unité et l’homogénéité. Pour cela, les institutions doivent investir dans la recherche sociologique et historique afin de mieux comprendre les vulnérabilités internes et les « infractuosités » qui pourraient être exploitées. Dr. Bensaada souligne que la cohésion sociale est un rempart contre la déstabilisation, et que la prévention passe par l’harmonie entre les différentes régions et communautés du pays.
- Investissement dans les médias indépendants : Pour contrer le monopole des discours biaisés des médias étrangers, il est crucial de développer et soutenir des médias indépendants et nationaux capables de diffuser une information équilibrée et vérifiée. Cela permet non seulement de diversifier les sources d’information, mais aussi de présenter une version des faits qui reflète les réalités et les intérêts locaux.
- Stratégie proactive de contre-offensive : La défense seule ne suffit pas, affirme Dr. Bensaada. Il est nécessaire d’adopter une approche proactive, c’est-à-dire de développer des think tanks et des équipes d’experts capables de détecter et de répondre aux campagnes de guerre cognitive. Ces initiatives devraient s’inspirer de programmes tels que l’initiative Minerva du Département de la Défense américain, qui étudie les failles des autres pays pour anticiper et gérer les conflits.
- Renforcement de l’éducation et de l’esprit critique : L’éducation doit jouer un rôle central en inculquant dès le plus jeune âge une capacité d’analyse et de réflexion critique. Cela passe par l’enseignement de la vérification des faits et de la pensée scientifique, qui aident à démystifier les idées reçues et à renforcer la capacité d’inhibition face à un déluge d’informations biaisées ou manipulées.
- Développement des compétences en intelligence artificielle et Big Data : Avec l’avancée rapide de la technologie, l’usage de l’intelligence artificielle et du Big Data pour manipuler et surveiller les comportements humains devient de plus en plus courant. Pour ne pas être pris au dépourvu, il est impératif que les institutions nationales investissent dans ces domaines pour comprendre et anticiper les stratégies ennemies.
Dr. Bensaada conclut que la guerre cognitive est un phénomène complexe et omniprésent qui doit être pris au sérieux. Elle n’est pas seulement une question de perception, mais une véritable bataille pour le contrôle des esprits. Pour se prémunir, les sociétés doivent non seulement se défendre, mais aussi contre-attaquer avec intelligence et préparation. Comme le disait Sun Tzu, « Si vous vous connaissez vous-même et que vous connaissez l’ennemi, vous n’avez pas à craindre le résultat de cent batailles ».
Pour approfondir cette analyse, il est recommandé de consulter l’intégralité du podcast sur Canal Algérie.
Hope&ChaDia