Par Lamya Khalfallah
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Le 18 février 2024, jour de la commémoration nationale du Chahid, assise devant mon écran, je me sens envahie par une émotion mêlée de fierté et de tristesse, en pensant à tous ces héros qui ont donné leur vie pour que je puisse vivre libre dans mon pays. Je me demande ce qu’ils ont vécu, ce qu’ils ont ressenti, ce qu’ils ont pensé, dans les moments les plus sombres de la guerre de libération. Je voudrais les voir, les entendre, leur dire merci.
Je décide alors de faire une expérience exceptionnelle : utiliser une machine à remonter le temps, pour voyager dans le passé et rencontrer les martyrs Algériens. Je saisis les coordonnées spatio-temporelles de ma destination, et j’appuie sur le bouton. Je sens une secousse, puis un vertige, puis plus rien.
Je me retrouve dans un autre lieu, à une autre époque. Je suis à Alger, le 8 mai 1945. C’est le jour de la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie. Mais c’est aussi le jour du massacre de milliers d’Algériens, qui ont manifesté pacifiquement pour réclamer leur indépendance. Je vois les drapeaux algériens flotter dans les rues, les visages souriants des manifestants, les slogans écrits sur les murs. Je me joins à eux, je marche avec eux, je crie avec eux : “Vive l’Algérie libre !”
Mais soudain, je vois les soldats français sortant de leurs casernes, les mitrailleuses entre les mains et l’humanisme et les valeurs des lumières derrière le dos. Les balles sifflent, le sang coule, les corps tombent, les cris, la terreur d’un enfant, pas plus de dix ans, qui court vers sa mère, blessée par une balle. Il la prend dans ses bras, il pleure, il appelle à l’aide. Il me regarde, il me tend la main. Je veux le secourir, mais ……
Je change de destination, je change d’époque. Je suis à Constantine, le 20 août 1955. C’est le jour de l’insurrection armée, dirigée par Zighoud Youcef, le chef de la wilaya II. C’est le jour où les moudjahidine ont attaqué les positions françaises, et libéré plusieurs quartiers de la ville. Je vois les combattants algériens, armés de fusils, de pistolets, de grenades. Je vois leur courage, leur détermination, leur foi. Je me joins à eux, je me bats avec eux.
Mais soudain, je vois les avions, les bombes, les maisons s’effondrer. Je vois les flammes et la fumée. Je vois une femme, enceinte, qui sort des décombres, qui cherche son mari, disparu sous les ruines. Elle me regarde, elle me supplie. Je veux l’aider, mais le temps est passé et je ne suis qu’une exploratrice de l’histoire.
Je change de destination, je change d’époque. Je suis en Algérie, le 1er novembre 1954. C’est le jour du déclenchement de la guerre de libération nationale. C’est le jour où le Front de Libération Nationale (FLN) a lancé une série d’attaques coordonnées contre les forces coloniales françaises. Ce jour est depuis célébré comme la fête nationale en Algérie, marquant le début de la lutte pour la liberté. Je regarde les militants du FLN, qui ont préparé leur action dans le plus grand secret, qui ont bravé les risques, qui ont agi avec audace. Je vois leur espoir, leur conviction, leur volonté. Je me joins à eux, je me révolte avec eux, je vis avec eux.
Mais soudain, la riposte française est là, la répression, la guerre, les arrestations, la torture, les exécutions. L’homme, qui porte le nom de Larbi Ben M’hidi est devant moi, qui capturé par les parachutistes français, interrogé, pendu. Il me regarde, il me défie. Il me dit : “Jetez la Révolution dans la rue, et le peuple la portera”. Je veux le venger.
Je change de destination, je change d’époque. Je suis à Paris, le 17 octobre 1961. C’est le jour de la manifestation pacifique, organisée par la Fédération de France du FLN, pour dénoncer le couvre-feu imposé aux Algériens. C’est le jour où des dizaines de milliers d’Algériens ont défilé dans les rues de Paris, en scandant “Algérie algérienne”. Je vois les travailleurs algériens, venus de leurs bidonvilles, de leurs usines, de leurs cafés. Je vois leur dignité, leur solidarité, leur fraternité. Je me joins à eux, je marche avec eux, je chante avec eux. Je vois de mes propres yeux comment le peuple algérien s’était soulevé contre la domination coloniale française, comment il avait organisé la résistance armée, comment il avait fait face à la répression et aux massacres. J’ai compris leurs motivations, leurs espoirs, leurs sacrifices. J’ai témoigné de leur courage, de leur détermination, de leur dignité. J’ai appris de leur exemple, de leur leçon, de leur message.
Mais soudain, la police française intervient : les matraques, les chiens, les arrestations, les coups, la torture. Je vois un homme, âgé, qui porte un béret, qui tient une pancarte. Il me regarde, il me sourit. Il me dit : “Ne vous inquiétez pas, nous vaincrons”.
Et ils ont vaincu. Ils ont vaincu l’oppression, la sauvagerie, l’inhumanité. Ils ont arraché la liberté et offert à leur patrie la souveraineté et la dignité. Je reviens à mon époque, je reviens à mon lieu. Je suis devant mon ordinateur, le 18 février 2024, jour de la commémoration nationale du Chahid. Je me sens bouleversée, émue, reconnaissante, Je viens de vivre un voyage dans le temps, qui m’a permise de rendre hommage aux martyrs Algériens, qui ont fait l’histoire de mon pays. Je leur dois tout, je leur dois ma liberté, je leur dois ma fierté. Je leur dis merci, je leur dis bravo, je leur dis chapeau. Je leur dis : “Vous êtes mes héros”.