La question mérite d’être posée sans passion, précisément parce que le moment politique est inflammable. Les relations algéro-françaises sont à un niveau de tension rarement atteint : accusations publiques autour des OQTF, remise en cause des accords de 1968 côté français, et, en parallèle, vote en Algérie d’une loi de criminalisation de la colonisation, hautement symbolique et assumée comme un acte de souveraineté mémorielle. Dans ce contexte, toute parole ciblant les Algériens ou les franco-algériens n’est jamais neutre.
Le point de départ du discours d’Idriss Aberkane repose sur un fait réel : l’existence de sanctions européennes ciblées, administratives, lourdes de conséquences matérielles pour les personnes nommément désignées. Il est exact que ces mesures peuvent inclure gels d’avoirs, restrictions de circulation et effets sociaux importants. Ce cadre juridique existe, il est public, et il est contestable devant les juridictions compétentes. Là-dessus, il n’y a pas débat.
Le basculement intervient lorsque ce fait réel est étendu, dans le discours, à une population entière. À plusieurs reprises, dans la vidéo publiée aujourd’hui sous le titre « URGENT! Si vous êtes franco-algérien, vous DEVEZ voir cette vidéo ! », il affirme qu’« un franco-algérien » pourrait être privé de ses droits « en un claquement de doigts » pour avoir exprimé une opinion conforme à la position officielle de l’Algérie. Il insiste : « c’est maintenant », « pas demain, pas après-demain ». Or, juridiquement, les mécanismes évoqués sont nominatifs, non communautaires. Ils visent des individus précis, sur la base d’actes administratifs précis. L’idée d’une sanction automatique frappant une communauté n’est pas conforme au fonctionnement réel du droit européen.
C’est ici que la question devient politique, et non plus juridique. Pourquoi cibler les franco-algériens, alors que toute atteinte aux droits fondamentaux, si elle existait, serait par nature universelle ? La réponse se trouve moins dans le droit que dans la stratégie de discours. Le franco-algérien est présenté comme une figure de l’entre-deux : binational, exposé, supposément suspect par essence, pris entre deux États en conflit. Cette figure permet de transformer une alerte abstraite en une menace identitaire concrète. Aberkane martèle ainsi : « vous êtes nombreux », « ils ont peur de vous », flattant la puissance du nombre tout en suggérant une hostilité imminente.
Le vocabulaire employé est central. Comparaisons répétées avec le fascisme, analogies sexuelles violentes, sentiment d’urgence absolue, répétition de l’idée qu’« il n’y a plus de recours réel » : tout concourt à installer un état de siège mental. Le discours ne dit pas explicitement « passez à la violence ». Il n’appelle ni à l’émeute ni à l’agression. Mais il martèle que le cadre légal est déjà mort, que « vos droits sont déjà violés », que « votre droit à l’information a déjà été piétiné », et que l’inaction équivaut à une capitulation définitive. Dans le même mouvement, il galvanise : « plus un pas en arrière », « vous n’êtes pas battus pour l’indépendance pour qu’on marche sur vos droits ».
C’est précisément à cet endroit que surgit la question de l’« irréparable ». Lorsqu’un individu est convaincu que toutes les voies institutionnelles sont closes, que la loi est un simulacre, que le recours est illusoire, il peut en venir à considérer l’extra-légal comme la seule option restante. Historiquement, ce mécanisme est bien connu. Il ne nécessite aucun appel explicite à la violence pour produire ses effets. Le discours alterne ainsi entre exaltation — « votre nombre et votre fraternité les terrifient » — et menace diffuse — « si vous laissez faire maintenant, c’est terminé ».
Un autre élément, rarement mentionné par l’intéressé lui-même, mérite pourtant d’être intégré à l’analyse : les narratifs pro-marocains qu’Idriss Aberkane a publiquement relayés ces dernières années. À plusieurs reprises, il a pris position en faveur de la marocanité du Sahara occidental, reprenant explicitement la thèse officielle de Rabat sur un dossier qui constitue l’un des points de fracture majeurs entre l’Algérie et le Maroc. Cette position n’est pas présentée comme un simple point de vue académique, mais comme une évidence politique, en contradiction frontale avec la position algérienne fondée sur l’autodétermination.
Parallèlement, Idriss Aberkane a multiplié les comparaisons valorisant le « modèle marocain », tant sur le plan économique que politique, tout en critiquant implicitement ou explicitement les choix algériens. Là encore, ces prises de position sont légitimes en tant qu’opinions. Mais elles s’inscrivent objectivement dans un champ narratif aligné avec des intérêts stratégiques régionaux hostiles à l’Algérie, dans un contexte maghrébin marqué par une rivalité ouverte et assumée.
À cela s’ajoutent des relations professionnelles documentées avec des structures marocaines, notamment à travers des conférences organisées au Maroc par des associations , fondations ou réseaux d’élites locales, événements parfois payants et intégrés à des dispositifs de soft power académique et culturel. Ce point n’implique ni illégalité ni allégeance étatique. Il indique en revanche une inscription durable dans un écosystème d’influence, dont les lignes discursives sont connues et cohérentes.
Mon opinion personnelle est la suivante : le problème n’est pas qu’un intellectuel use de phrases qui flattent l’ego — « vous êtes nombreux », « ils ont peur de vous » — ni qu’il alerte sur des risques. Le problème est de juxtaposer exaltation et panique, puissance collective et fin imminente du droit, sans jamais réouvrir l’espace de la raison et du recours. Cette alternance est un puissant levier émotionnel, mais elle est politiquement et socialement dangereuse.
Peut-on dire qu’Idriss Aberkane pousse explicitement les Algériens à l’irréparable ? Non. Une telle affirmation serait factuellement fausse et juridiquement infondée. Peut-on dire qu’il installe un cadre mental propice à des réactions irréversibles chez certains individus, en gonflant d’un côté l’ego collectif et en annonçant de l’autre la disparition immédiate de toute protection légale ? Oui, et c’est là que réside la responsabilité.
Dans un moment où les relations algéro-françaises frôlent la rupture, où la mémoire coloniale est à nouveau un champ de bataille politique, et où les populations binationales deviennent des objets de discours antagonistes, jouer simultanément sur la fierté et la peur n’est jamais neutre. Défendre les droits ne consiste pas à proclamer « c’est maintenant ou jamais », mais à expliquer, sans dramatisation ni exaltation, comment ces droits peuvent être protégés et exercés.
L’irréparable commence rarement par un geste spectaculaire. Il commence souvent par une conviction intime, martelée jusqu’à devenir certitude : celle que plus rien ne peut être réparé.
Hope&ChaDia

1 comment
ATTENTION méfiez-vous de ce discours diabolique!
—–
Idriss Aberkane est un dangereux manipulateur!
Si un tel discours est toléré dans une France sionisée et pro-marocaine c’est qu’il y a anguille sous roche.
Il pousse par l’égo et le sentiment des franco-algériens à l’irréparable pour donner prétexte à la répression et à la justification de certains projets anti-algériens de la droite fronce-sionistes