La guerre cognitive est une stratégie insidieuse qui s’enracine dans le temps, exploitant des institutions culturelles et littéraires pour véhiculer des récits et des narrations biaisés. L’exemple de Kamel Daoud, critiqué à deux moments clés séparés par près d’une décennie, illustre parfaitement comment des institutions littéraires peuvent servir d’instruments dans cette guerre subtile mais dévastatrice.
En 2016, lors du podcast diffusé sur Radio Québec-Plus, le chercheur et auteur Dr Ahmed Bensaada a minutieusement analysé l’œuvre de Kamel Daoud à travers “Meursault, contre-enquête”. Bensaada a révélé comment cette œuvre, bien que saluée par des prix prestigieux, contribue à perpétuer des stéréotypes coloniaux et à alimenter des récits occidentaux sur l’Algérie. Loin de s’arrêter à l’aspect littéraire, il a mis à nu le rôle des institutions qui, sous couvert de célébrer l’art, déploient des moyens pour orienter les perceptions dans des directions préjudiciables à la souveraineté narrative algérienne. Bensaada a démontré que l’éloge de ces œuvres n’était pas anodin, mais servait un agenda bien précis, celui de la domination culturelle et cognitive.
Presque une décennie plus tard, en 2024, les institutions littéraires reviennent en force pour distinguer à nouveau Kamel Daoud, cette fois pour une œuvre controversée et qualifiée par certains d’« œuvre douteuse » et même « potentiellement volée ». Lors d’une discussion diffusée sur la chaîne Hope Jzr, animée par l’écrivain algérien Djawad Rostom Touati, le chercheur Olivier Gloag a souligné que cette nouvelle distinction, accordée malgré les critiques antérieures, reflète la persistance des mêmes dynamiques coloniales. Selon lui, les institutions littéraires occidentales continuent d’instrumentaliser des écrivains tels que Daoud pour valider des narratifs qui minimisent les luttes historiques de l’Algérie et l’identité de son peuple.
Ces deux discussions mettent en lumière une vérité troublante : même après une mise à nu rigoureuse par des intellectuels comme Ahmed Bensaada, les institutions littéraires instrumentalisées reviennent inexorablement pour légitimer les mêmes vecteurs narratifs. Cela montre que la guerre cognitive, par définition, est un combat qui s’inscrit dans la durée et repose sur la répétition et l’enracinement des récits dans les esprits.
Les cas de “Meursault, contre-enquête” et de l’œuvre récente “Houris” de Kamel Daoud, distinguée ce mois de novembre par le ”prestigieux” prix Goncourt, illustrent une continuité préoccupante qui nécessite une mise à nu constante pour sensibiliser les générations successives. Ces œuvres ne sont pas seulement des productions littéraires ; elles constituent des outils insidieux dans un dispositif plus large visant à remodeler l’identité algérienne et à affaiblir la souveraineté narrative nationale.
En rendant hommage aux contributions éclairées de Dr Ahmed Bensaada et Olivier Gloag, cet article rappelle l’importance de l’éducation et de la vigilance face à ces formes d’agression culturelle. La guerre cognitive est un combat sur le long terme, exigeant une compréhension critique et une transmission continue aux générations futures pour y faire face.
Pour explorer ces discussions :
- “Kamel Daoud : Cologne, contre-enquête” avec Dr Ahmed Bensaada (2016, Radio Québec-Plus).
- “De Camus à Daoud : Contre-enquête” avec Olivier Gloag (2024, Hope Jzr).
Ces analyses approfondissent la compréhension des mécanismes subtils de la guerre cognitive, dans ce cas menée par le biais d’institutions littéraires instrumentalisées, tout en appelant à préserver et défendre notre souveraineté narrative.
Hope&ChaDia