Par cet article je rends hommage à une grande dame , une Moudjahida, que j’ai connue enfant et qui est décédée un premier Novembre 2017
Chrysalide...
Par Boukhalfa Amazit
Journaliste
Que diable allait-elle faire dans cette galère ? Elle, la petite Toumya venue au monde dans le quartier de la Marine, au pied de la mythique Casbah, l’année même où Duvivier y tournait Pépé le Moko. Elle, la jeune fille infirmière diplômée d’État, qui a grandi à Fontaine Fraîche. Innocente « faucheuse » de médicaments pour les frères, qui poussait l’audace jusqu’à cacher ou transférer le peu d’armes qui existaient, ou qui distribuait des tracts…
Jusqu’au jour où les frères vinrent à elle pour lui enjoindre de gagner le maquis. Sa mère qui était à mille lieues de l’imaginer dans ce monde exclusivement réservé aux hommes lui « a envoyé au visage le fer à repasser qu’elle tenait. Elle m’a ratée ou a feint de le faire », raconte-t-elle dans un éclat de rire cristallin.
Ainsi donc, « j’allais rejoindre le djebel, lieu de tous les héroïsmes où s’écrivait l’Histoire ».
À son arrivée, comme l’exigeait l’usage, son responsable lui a demandé de choisir son nom de guerre. « J’avais déjà, en famille, un petit problème de prénom. Mon père, pour l’état civil, m’avait appelée Toumya ; ma mère, trouvant ce prénom désuet et par trop campagnard, m’appelait Baya, ça faisait plus citadin. “Vous voulez m’en ajouter un autre ?” ai-je dit au capitaine. Il m’a observée un bon moment puis m’a dit : “Serais-tu offensée si nous t’appelions Baya El Kahla” (Baya la noire) ? » Et depuis… « Même dans ses tracts, l’armée française m’appelait ainsi. »
Ce nom va retentir de crêtes en talwegs, dans toute la wilaya IV (centre de l’Algérie tellienne). Elle était la première infirmière en zone 1, dans la région 1, secteur 1. Soignante des villages et infirmière de guerre pour les combattants, mais aussi éclaireuse qui organisait les décrochages des djounoud, elle était la petite fée noire du commando Ali Khodja, une unité d’élite d’où surgiront des noms de légende.
Arrêtée, transférée à Annaba, torturée… « Un jour ils sont venus. Ils m’ont donné du linge propre, et m’ont conduite dans une belle villa. Dans un salon luxueux, m’attendaient mesdames Bigeard et Massu, qui a parlé en premier », se souvient Baya : « Pourquoi êtes-vous montée au maquis ? Vous ne manquiez de rien. Votre père travaillaitau GG (gouvernement général). Vous avez été à l’école. Qu’est ce que vous vouliez de plus ?
– Avez-vous accepté les Allemands ? lui ai-je dit spontanément. Je cherche mon identité. On me l’a enlevée. Je n’en ai plus, je veux la reconquérir.
– Pourquoi ne prenez-vous pas exemple sur mademoiselle Sid Kara ? m’a-t-elle répliqué.
– Mademoiselle Sid Kara a choisi son camp et moi le mien.
– Peut-être avez-vous été embobinée.
– Pas du tout, je suis convaincue de l’indépendance de l’Algérie. Et s’il ne reste qu’un seul Algérien sur cette terre, viendra le jour où il sera indépendant. »
Son calvaire n’allait pas finir. Au contraire il commençait. Le cauchemar allait venir…
Baya El Kahla n’avait que vingt-deux ans !
Baya El Kahla portrait
Par Mustapha Boutadjine
Paris 2012 – Graphisme-collage, 100 x 81 cm