À la veille de la commémoration du 8 mai 1945, alors que le pays s’apprête à rendre hommage aux milliers de martyrs tombés pour avoir osé réclamer la liberté, l’unité et la dignité, une vieille querelle identitaire ressurgit avec une vigueur inquiétante. Cette fois, l’étincelle est venue d’une déclaration controversée du professeur Belghit, affirmant, dans un entretien télévisé, que « l’amazighité n’existe pas » – relançant un débat aussi explosif qu’instrumentalisé.
Mais faut-il s’étonner que ce genre de polémique refasse surface précisément au moment où l’on s’apprête à honorer le point de départ de l’exigence algérienne d’indépendance ? Faut-il rappeler que le 8 mai 1945 n’est pas seulement un massacre : c’est le cri inaugural d’un peuple rassemblé, au-delà de ses langues, de ses tribus, de ses régions ?
Dans ce contexte tendu, cet article entend proposer autre chose qu’un camp contre un autre. Il s’agit de réfléchir, sereinement mais fermement, à une question souvent posée de manière binaire : L’Algérie est-elle arabe ou amazigh ? Derrière cette formule simpliste, se cache une réalité bien plus riche, bien plus complexe – et bien plus belle aussi. Une réalité qu’il nous appartient de regarder en face, sans naïveté ni excès, pour construire enfin un récit qui rassemble.
1) Une identité forgée par le temps long
L’Algérie est née à la croisée de plusieurs mondes. Des flux migratoires venus d’Afrique de l’Ouest et du Proche-Orient ont peuplé le territoire dès la préhistoire. Mais ce n’est qu’avec l’arrivée des Phéniciens que la région entre dans l’histoire écrite : on leur doit l’alphabet, les premières formes d’organisation urbaine, l’essor du commerce, l’oléiculture.
Puis vinrent les Grecs, les Romains, les Byzantins, les Arabes, les Ottomans… Tous ont laissé leur empreinte. Mais rares sont ceux qui comprennent que ce ne sont pas les conquêtes qui ont façonné notre identité, mais les brassages qu’elles ont provoqués. L’Algérien d’aujourd’hui n’est ni Phénicien, ni Vandale, ni Hilalien, ni Numide : il est tout cela à la fois, un concentré d’histoire humaine.
L’un des grands mensonges modernes est de croire à la “pureté” d’une ethnie ou d’un peuple. Or, les généticiens comme les historiens s’accordent : il n’existe aucun peuple ethniquement homogène sur cette terre. Surtout pas en Algérie, carrefour millénaire de civilisations.
2) La Guerre d’indépendance, matrice de l’Algérien moderne
S’il est un moment où l’identité algérienne s’est cristallisée dans l’action, c’est bien lors de la guerre de libération. Des enfants du pays – arabophones, berbérophones, noirs, blancs, du Nord comme du Sud – ont combattu ensemble contre un ennemi commun. C’est là que s’est forgée la conscience d’un peuple unifié par une cause, pas par une ethnie.
Contrairement au Vietnam, qui bénéficia d’un soutien militaire massif de la Chine et de l’URSS, nos moudjahidines ne disposaient que d’armes légères et d’un courage immense. Face à une des armées les plus puissantes de l’époque, à une logistique redoutable et à une proximité géographique avec la métropole, ils ont tenu.
Le sacrifice fut total. Et ce n’est pas un mythe : c’est l’acte fondateur de notre État moderne. L’identité algérienne est née dans le feu, le sang, la dignité et l’union. Elle ne doit jamais être éclipsée par des lectures communautaristes ou racialisées.
3) Déconstruire les nouveaux mythes identitaires
Depuis quelques décennies, de nouveaux récits identitaires ont émergé, souvent présentés comme une revanche historique. Mais certains de ces récits, au lieu de réparer, divisent. Le projet de “Tamazgha”, par exemple, postule une unité ancienne des peuples d’Afrique du Nord. Or, l’histoire pré-islamique de la région montre une mosaïque de tribus nomades, souvent antagonistes. Il n’y eut ni langue unifiée, ni État fédérateur avant l’islam.
Le drapeau berbère, quant à lui, est devenu le symbole d’un courant militant structuré à Paris dans les années 1970 autour de Jacques Benêt, fondateur de l’Académie berbère. Ce dernier, issu des réseaux français, voyait clairement dans cette construction un levier pour “réactiver le facteur berbère” contre le nationalisme algérien, selon la logique vieille comme la colonisation : diviser pour régner.
Le mot « Amazigh », lui, mérite une attention particulière. Contrairement à une idée reçue, ce terme n’est pas une invention contemporaine. On retrouve dans des textes historiques anciens – en arabe, en latin, en français – des formes telles que Mazigh, Mazices, Imazighen. Elles désignent effectivement certains peuples nord-africains, en particulier dans les Atlas. Il serait donc absurde de prétendre que le mot n’a jamais existé. Mais ce qu’il faut interroger, c’est son usage politique massif et unificateur depuis les années 1980, qui cherche à imposer une identité unique à des populations qui se désignaient d’abord comme Kabyles, Chaouis, Chenouis ou Touaregs.
La dérive commence lorsque la culture devient une arme identitaire. Certains discours, relayés notamment dans les congrès parisiens, flirtent avec l’idée de “race pure” amazighe. Ce n’est plus alors de la mémoire, mais de l’exclusion. Et lorsque l’Histoire est manipulée à des fins politiques, elle ne soigne pas : elle fracture.
Pourquoi la France abriterait-elle un “Congrès mondial amazigh” si ce dernier ne servait pas ses intérêts géopolitiques ? Accepterait-elle, de son côté, d’héberger à Alger un congrès mondial de la Corse ou de la Bretagne en rupture avec Paris ?
Ces manipulations sont d’autant plus dangereuses qu’elles séduisent une partie de notre jeunesse en manque de repères, et trouvent même écho chez certains intellectuels. Pourtant, l’intelligence algérienne, celle qui a porté les armes et les idées, sait reconnaître le faux débat. Notre avenir n’est pas dans la purification de l’identité, mais dans sa reconnaissance multiple et sa force commune.
Un récit commun pour un destin commun
L’urgence est là : forger un récit national, lucide, inclusif, porté par des historiens algériens, transmis par notre Éducation nationale et relayé par nos médias. Un récit qui reconnaît les langues, les luttes, les racines, mais aussi le destin partagé. Car nous ne sommes pas des survivants d’identités opposées, nous sommes les héritiers d’une nation unie par la volonté de se libérer.
L’avenir de l’Algérie ne peut reposer sur des mythes exclusifs. Il repose sur une vérité simple : nous sommes un peuple issu du brassage, et c’est cette hybridité qui fait notre originalité. À condition d’en faire une richesse, et non une fracture.
C’est cette hybridité qui est le socle de l’Algérie Algérienne
Version mise à jour – mai 2025, Par Hope&ChaDia, de l’article de Miloud Boumaaza – équipe Jazair Hope- parue le 8 septembre 2021