ALGER – Le nom de Malek Bennabi résonne à nouveau dans le paysage intellectuel algérien, avec le lancement officiel de la “Chaire scientifique Malek Bennabi pour les études civilisationnelles”, samedi à Alger. Cette initiative ambitieuse entend revisiter et diffuser la pensée de l’un des plus grands philosophes musulmans du XXe siècle à travers une lecture contemporaine, critique et vivante.
La chaire, lancée à l’initiative de la Fondation Afak pour les études et la formation, a été inaugurée lors d’une cérémonie tenue au siège du Haut Conseil Islamique (HCI), en présence de son président, Mabrouk Zaid El Kheir, du président de l’Association des Oulémas musulmans algériens (AOMA), Abdelhalim Kaba, ainsi que de nombreux intellectuels, chercheurs et étudiants engagés dans la transmission de la pensée bennabienne.
“Raviver la pensée de Bennabi, c’est redonner à notre jeunesse les instruments d’une renaissance authentique”, a déclaré le professeur Amar Talbi, président de la Chaire et ancien élève de Bennabi, visiblement ému par la portée symbolique de cette reconnaissance.
Une chaire pour penser l’avenir avec les leçons du passé
Le président de la Fondation Afak, Redouane Toufouti, a précisé que cette chaire fonctionnera comme un espace de réflexion, de recherche et de diffusion des idées de Bennabi, à travers des colloques, des publications, et un travail pédagogique ciblé sur les jeunes générations.
L’objectif : “présenter une lecture rigoureuse et actualisée des œuvres de Malek Bennabi, en les confrontant aux défis contemporains : décadence culturelle, crise de sens, dépendance idéologique et absence de projet civilisationnel cohérent.”
De son côté, Mohamed Ouzar, également membre de la Fondation Afak, a présenté la chaire comme “un espace d’échange scientifique, destiné à favoriser le dialogue entre chercheurs, étudiants, et institutions concernées par les mutations intellectuelles du monde musulman.”
Une reconnaissance bien au-delà des frontières algériennes
Si Bennabi demeure une référence majeure en Algérie, sa pensée a également marqué durablement des cercles intellectuels en Malaisie, en Turquie, au Pakistan, en Indonésie, en Iran, et même dans certaines universités américaines. Il est régulièrement cité dans les travaux sur la décadence civilisationnelle, la réforme islamique, et la philosophie des idées.
Des intellectuels comme Seyyed Hossein Nasr, Ali Shariati ou Ismail Raji al-Faruqi ont reconnu l’influence de sa pensée dans le débat sur la renaissance du monde islamique. En Malaisie, certains centres de recherche islamiques incluent Bennabi dans leurs cursus universitaires. À Istanbul, plusieurs thèses de doctorat lui sont consacrées, notamment sur sa théorie de la colonisabilité.
Son concept phare – la “colonisabilité” – continue d’inspirer chercheurs et militants qui dénoncent les formes d’aliénation culturelle et de domination symbolique dans le Sud global.
Reconnaissance académique et intellectuelle internationale de Malek Bennabi
1. Dans le monde universitaire musulman :
Malaisie : L’International Islamic University Malaysia (IIUM) fait régulièrement référence à la pensée de Malek Bennabi dans ses cours sur la civilisation islamique, la réforme intellectuelle et la pensée décoloniale. Plusieurs colloques et mémoires universitaires lui sont consacrés.
👉 Exemple : Conférence “Malik Bennabi and the Question of Civilizational Renewal”, organisée à l’IIUM en 2019.Turquie : Des chercheurs turcs comme Ahmet Davutoğlu (ancien ministre des Affaires étrangères et intellectuel) ont cité Bennabi comme influence dans leurs travaux sur la renaissance civilisationnelle islamique. L’université d’Istanbul a accueilli en 2020 un séminaire sur “La pensée civilisationnelle de Bennabi”.
Indonésie : La Universitas Muhammadiyah à Jakarta a inclus plusieurs de ses textes dans les lectures proposées aux étudiants en philosophie islamique. Il y est vu comme un penseur complémentaire à Muhammad Iqbal.
Pakistan : Des publications dans le Islamic Studies Journal de l’International Islamic University Islamabad reconnaissent l’apport de Bennabi à la critique de la modernité occidentale.
2. Dans la sphère francophone :
Le philosophe sénégalais Cheikh Anta Diop l’a lu et cité dans le cadre de ses réflexions sur la construction post-coloniale en Afrique.
Le professeur Mohamed Arkoun (Algérien de renommée internationale) a souvent mentionné Bennabi comme l’un des précurseurs d’une pensée islamique critique au 20e siècle.
L’université de Genève a publié une thèse en 2004 sur La pensée de Malek Bennabi entre réformisme et critique du colonialisme.
3. Dans les milieux anglo-saxons :
Ismail Raji al-Faruqi, penseur islamique américain et fondateur de l’International Institute of Islamic Thought (IIIT), a reconnu Bennabi comme l’un des rares penseurs à poser le problème civilisationnel en des termes conceptuels cohérents.
Dans le livre Islam and Secularism de Syed Naquib al-Attas (Malaisien), Bennabi est cité pour sa critique de la décadence interne du monde musulman.
Plusieurs articles du journal The American Journal of Islamic Social Sciences (AJISS) ont consacré des études à la colonisabilité et à la théorie de la civilisation selon Bennabi (voir numéro 2, volume 9, 1992).
4. Traductions et éditions internationales :
Ses œuvres majeures ont été traduites en anglais, turc, indonésien, persan et malaisien.
“The Question of Culture” et “Islam in History and Society” sont deux ouvrages disponibles en anglais.
Une pensée pour éclairer notre présent
Malek Bennabi (1905-1973) n’a cessé de souligner que la véritable libération d’un peuple ne pouvait s’opérer sans une réforme de ses idées et de son rapport à la civilisation. Dans Les Conditions de la renaissance (1948), il pose les jalons d’un diagnostic lucide des sociétés musulmanes. Dans Le Problème de la culture ou encore Le Problème des idées dans le monde musulman, il développe une méthodologie de réforme intellectuelle encore d’actualité.
Aujourd’hui, face aux défis civilisationnels et identitaires, la pensée de Bennabi apparaît comme une boussole pour repenser les fondations d’un monde plus juste, ancré dans ses valeurs, mais tourné vers l’avenir.
Avec cette chaire, c’est toute une jeunesse algérienne et musulmane qui est invitée à reprendre le flambeau de la renaissance par le savoir et la lucidité.
Hope & ChaDia
