0
De l’informel au formel : plus qu’une régularisation, une reconnaissance
Légaliser, c’est éduquer à l’économie
Sélection naturelle économique : seuls les plus aptes resteront
Et le marché noir des devises ? Une fausse peur
Le statut d’auto-entrepreneur : le vrai cœur du dispositif
Une expérimentation grandeur nature
En conclusion : du cabas au contrat social
Et si ce que l’on considérait hier comme un bricolage de survie pouvait devenir demain un tremplin de citoyenneté économique ?
C’est la piste — dérangeante pour certains, porteuse pour d’autres — que trace le décret n° 25-170 publié le 29 juin 2025, qui légalise l’importation de marchandises par des particuliers en Algérie. Autrement dit : le commerce du cabas entre dans la légalité.
Faut-il s’en indigner ? Pas si l’on accepte d’en lire les implications à la lumière de deux grands penseurs libéraux : John Stuart Mill et Friedrich von Hayek. Tous deux, chacun à leur manière, nous rappellent qu’une société libre ne se construit ni par la répression ni par la planification, mais par l’expérimentation, la confiance et l’autonomie progressive des individus.
Le commerce du cabas existe en Algérie depuis plus de quarante ans. On le voit à l’aéroport, dans les valises, dans les quartiers populaires, dans les salons de thé. C’est l’économie des chaussettes, des fromages français, des cosmétiques européens, des vêtements turcs, achetés à l’étranger puis revendus ici, à bon prix et sans TVA.
Le décret ne crée pas ce phénomène. Il le reconnaît. Comme l’écrivait Hayek, « les institutions qui fonctionnent sont rarement celles que l’on a conçues, mais celles qui ont émergé d’un usage répété ». Le cabas est un ordre spontané né d’un désordre productif.
Pour John Stuart Mill, la liberté est un outil d’éducation morale. Loin d’être une permission vide, elle engage : elle apprend à anticiper les conséquences de ses choix. Or, en intégrant le cabas dans un cadre légal, l’État crée un terrain d’apprentissage concret : créer un compte devises, déclarer son activité, gérer ses stocks, justifier ses revenus… Tout cela devient possible. Et citoyen.
Ce n’est pas un luxe théorique. C’est un apprentissage de la rationalité économique : comprendre les coûts, gérer ses marges, analyser la demande. Ce sont des compétences citoyennes. Et personne ne vous les apprend mieux que la pratique réelle.
Certaines voix s’inquiètent : va-t-on légaliser l’anarchie ? Créer un appel d’air vers l’informel ? Pas du tout. L’activité légale impose un niveau minimal d’organisation : comptabilité, fiscalité, discipline commerciale. Tous les anciens cabasistes ( néologisme pour désigner les commerçants du cabas) ne feront pas le saut. Certains échoueront, d’autres s’adapteront.
Comme le rappelait Armen Alchian, pionnier de la théorie évolutionniste en économie, les pratiques qui survivent sont celles qui s’adaptent aux incitations. Ce décret ne fera pas exploser le nombre de commerçants du cabas. Il filtrera. Et il fera émerger une micro-élite entrepreneuriale, souvent issue des classes populaires, qui n’avait besoin que d’un cadre pour se formaliser.
Oui, la majorité des achats pour le cabas continueront à être financés en euros ou en dollars issus du marché parallèle. Et alors ? Ce marché existait déjà. Il ne sera ni créé ni amplifié par cette réforme.
Ce qu’on oublie souvent, c’est que le marché noir des devises est un symptôme, pas une cause. Tant que les taux de change officiels restent déconnectés de la réalité, les acteurs économiques rationnels continueront à s’approvisionner ailleurs. Ce que la légalisation change, c’est la visibilité de ces flux, la traçabilité de leur usage, et la possibilité de les canaliser progressivement dans l’économie formelle.
Le décret s’accompagne d’un levier essentiel : le statut d’auto-entrepreneur. C’est plus qu’un formulaire administratif. C’est une passerelle vers la citoyenneté économique.
En s’enregistrant, le cabasiste devient un acteur légitime : il ouvre un compte professionnel, établit ses factures, déclare ses revenus, paie une fiscalité adaptée. Il entre dans la sphère de la reconnaissance sociale. Et ce, sans renier son autonomie.
Pour Mill, c’est exactement cela, être un citoyen libre : agir de manière utile dans un cadre volontairement accepté. Pour Hayek, c’est l’institutionnalisation de la responsabilité sans bureaucratie excessive.
L’économie n’est pas une science exacte. C’est une science expérimentale. Et cette réforme est une expérience contrôlée : on observe ce que les individus font quand on leur offre un espace de légalité souple.
Il est encore tôt pour en mesurer les effets. Mais on peut déjà en tirer un enseignement : plutôt que de combattre l’informel de front, mieux vaut l’inciter à se structurer. Le cabas n’est pas une menace. C’est un laboratoire de rationalité économique.
Ce décret n’est pas une révolution. C’est une évolution intelligente, à la croisée de l’autonomie individuelle et du besoin d’ordre collectif. Il ne résoudra pas tous les maux de l’économie algérienne, mais il ouvre une voie : celle d’une citoyenneté économique par l’action, la responsabilité, et la reconnaissance.
« L’État qui traite ses citoyens comme des enfants les condamne à ne jamais devenir adultes. »
— John Stuart Mill
Sources :