“Même si je suis troisième, vous m’aimerez quand même, n’est-ce pas ?” — C’est avec ces mots pleins d’humilité que Yasmina Sellam se présentait à la finale des Gourmand Awards 2025 à Lisbonne, face aux puissants pays organisateurs que sont la France et le Portugal. Mais c’est l’Algérie qui a brillé. Son livre « Le Couscous : Racines & Couleurs d’Algérie » a offert à la nation une victoire éclatante et méritée, fruit d’un travail rigoureux, affectif et profondément enraciné dans l’histoire culinaire et identitaire du pays.
Il est des livres qui dépassent les mots pour devenir des actes. Des œuvres qui ne se contentent pas de raconter, mais qui posent des jalons dans le temps. C’est le cas de « Le Couscous : Racines & Couleurs d’Algérie », signé Yasmina Sellam, chercheuse passionnée et héritière engagée d’une mémoire culinaire vivante. Publié en mai 2025 aux éditions ANEP, ce livre n’est pas un simple recueil de recettes. C’est une enquête, un manifeste, un plaidoyer solidement ancré dans l’histoire — et aujourd’hui, c’est aussi un triomphe international.
Le 29 juin 2025, au cœur du Portugal, l’ouvrage a été sacré meilleur livre culinaire au monde dans la catégorie Culture Culinaire, lors des prestigieux Gourmand World Cookbook Awards. Une consécration éclatante pour un ouvrage né du refus de voir le patrimoine algérien effacé ou dilué. Comme l’explique son autrice avec conviction, “On me dit toujours : on nous vole notre patrimoine. Je me suis dit, il faut que j’écrive un livre sur le couscous, pour le situer historiquement.” Elle ne s’est donc pas contentée d’un hommage littéraire, elle a mené une véritable enquête chronologique, avec des sources, des dates, des citations : un travail de fond, méthodique et rigoureux.
Le livre s’organise en deux grandes parties. La première remonte le fil de l’histoire du couscous, de l’Antiquité à son inscription au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2020. Ce n’est pas un voyage folklorique, mais un récit ancré dans les preuves : littéraires, archéologiques, sociologiques. On y apprend notamment que le couscous, originaire d’Afrique du Nord, a traversé les siècles et les continents : diffusé en Andalousie avec les Futûhât islamiques, puis exporté jusqu’au Brésil par les conquistadors où il est aujourd’hui intégré dans des plats populaires, sucrés comme salés.
La deuxième partie, intitulée « Les 101 saveurs du couscous algérien », propose une cartographie culinaire exceptionnelle. 140 recettes ont été recensées, chacune avec ses variantes régionales, familiales ou personnelles. On dépasse les 1 000 déclinaisons ! Yasmina Sellam a su capter cette diversité et l’organiser, sans la figer. Derrière chaque recette, il y a une histoire, un village, un souvenir. Il y a sa grand-mère, il y a Dar Dité, il y a l’Algérie. C’est aussi un manuel de transmission, où les gestes, les ustensiles, les savoir-faire ancestraux sont préservés.
Mais plus encore qu’un répertoire de recettes, le livre est un acte de résistance douce. Dans la vidéo de consécration tournée au Portugal, l’autrice explique avec émotion : “On ne peut pas défendre notre patrimoine seulement avec des mots. Il faut que ces mots aient une base scientifique.” D’où l’importance d’un ouvrage documenté, accessible, et ancré dans le réel. Ce n’est pas une nostalgie muséale, c’est un outil pour que chaque Algérien puisse défendre sa culture, en connaissance de cause.
La portée symbolique de ce prix est immense. Il s’agit non seulement d’une reconnaissance de l’excellence culinaire algérienne, mais surtout d’un message au monde : l’Algérie ne se contente plus d’être racontée par d’autres, elle prend la plume, elle signe ses chefs-d’œuvre. Et elle les fait rayonner.
En valorisant la créativité régionale — “chaque région a sa création du couscous” — Yasmina Sellam fait plus qu’illustrer une diversité : elle la sacralise. Elle fait du couscous un monument vivant, porté par des générations, gardé dans les mains des femmes, chanté dans les souvenirs, et aujourd’hui, hissé sur les plus hautes marches de la gastronomie mondiale.
Cette victoire appartient à toute l’Algérie. Elle honore les mains qui roulent, les mémoires qui se transmettent, les voix qui résistent. Elle rappelle que la culture est une souveraineté, et que dans chaque grain de semoule, il y a un fragment de nation.
Hope&ChaDia