Un diplôme n’est pas indispensable pour avoir une parole pertinente. Un doctorat en science n’est pas obligatoire pour tenir un propos valable et intéressant sur un sujet scientifique. Un autodidacte qui sait sourcer ses affirmations peut être plus fiable qu’un chercheur titré mais biaisé. Bref, un CV ne prouve pas grand-chose.
Mais nous devons apprendre à muscler notre vigilance pour reconnaître les petits malins qui revendiquent des titres universitaires, des expertises, une supériorité académique et intellectuelle au nom de laquelle ils rabaissent tous les autres. C’est souvent très mauvais signe. Quand on est un chercheur reconnu dans un domaine, on n’a pas besoin de passer son temps à répéter qu’on est un chercheur reconnu.
Celui qui passe son temps à rappeler qu’il est tellement brillant que ses mots sont forcément dignes de notre attention, de notre temps, est en réalité en train de pirater notre cerveau.
1. L’Essor médiatique
Cette vidéo sur le CV d’Idriss Aberkane existe uniquement parce que ce CV est la pièce maitresse de la communication de ce monsieur depuis le début. Moi, a priori, je m’en fous de son CV, ce n’est pas ça qui nous renseigne sur la véracité de ses propos. Mais eux problèmes se posent :
S’il ment sur son CV, alors on est obligé de revoir la confiance qu’on accorde à tout ce qu’il dit. Comme disent les latins : « Semel mendax, semper mendax » (menteur un jour, menteur toujours)
Deuxième problème : s’il insiste autant sur son CV, s’il en fait l’ingrédient de base du produit Idriss Aberkane™, c’est que c’est effectivement important. Par respect, je propose de prendre cela au sérieux, même si je préfèrerais consacrer mon temps à autre chose.
Revenons en 2015. Je découvre Idriss Aberkane dans une courte conférence sur le biomimétisme et je me dis que c’est quelqu’un de très intéressant, qui parle bien et qu’il faudra suivre parce qu’il semble vouloir mettre en avant la science et le formidable gisement de connaissance qu’est le vivant, deux choses qui entrent en résonnance avec mes propres valeurs puisque je travaillais avec l’équipe de la Tronche en Biais depuis presque deux ans.
A cette époque, sur Twitter Idriss Aberkane a 10.000 abonnés, il a pour bannière l’argument de son livre « Traité de neurosagesse pour changer l’école et la société », il se dit Hyperdoctor et polymath et glisse le arobase du journal Le Point qui appartient au milliardaire François Pinault[1] .
- Hyperdoctor est un mot qu’il a inventé pour dire qu’il est plus docteur que les autres.
- Polymath est carrément le synonyme de génie.
Petite faute de goût : il n’a pas pensé à ajouter qu’il était modeste. Rien de tout cela ne nous montre que monsieur Aberkane ment. Il peut simplement avoir besoin de se vanter publiquement pour des raisons personnelles. On ne juge pas.
Mais dès ma deuxième rencontre avec sa parole mes alertes zététiques ont frétillé. Je ne sais plus quel était le contexte : une autre conférence, une émission ou un billet. A l’époque on pouvait le croiser partout : à la télévision : Les Extra-ordinaires sur TFI, E=M6, Le grand journal Canal + ,On n’est pas des pigeons sur France 4 (lol), BFM TV, France 5 la quotidienne, France 2 télématin, mais aussi à la radio : France inter, Europe 1, Atlantico, Radio 702 en Afrique du Sud, etc.
Et à chaque fois on nous rappelle que ce « consultant international » a 3 doctorats (littérature, « neurosciences cognitives », « diplomatie ») serait « professeur d’économie de la connaissance », « professeur à Centrale Supélec, chercheur à Polytechnique, chercheur affilié à Stanford », mais aussi « interne à Cambridge ». Rendez-vous compte qu’il a fondé plusieurs sociétés (formation, jeux vidéo, microcrédit), dirigé « plus d’une vingtaine de thèses de Master » et donné à travers le monde « plus de 160 conférences sur quatre continents ». Cerise sur le gâteau, il est l’auteur d’un livre à succès chez Robert Laffont pour vous aider à libérer votre cerveau. Et il n’a même pas 30 ans.
En somme, chaque passage médiatique se fait sous les lauriers de ses scintillants titres académiques. Il joue de l‘argument d’autorité à fond pour le plus grand plaisir des émissions et journaux qui le croient ou tournent son récit à leur avantage ; comme Le Point qui appartient au milliardaire François Pinault[2]. Sa renommée actuelle, Idriss Aberkane la doit aux médias d’il y a 5 à 7 ans qu’il a su séduire.
Lors de cette deuxième écoute en 2015, je me rends compte que je me suis fait avoir. Je lui ai accordé du crédit, comme beaucoup de gens, comme vous peut-être et je dois réévaluer mon opinion parce que derrière la posture, les phrases stéréotypées et séduisantes, le name dropping impressionnant, la mise en avant de son parcours académique digne d’une Mary Sue[3] de fanfiction, il reste peu de place pour la science, l’analyse et les vraies connaissances. A cette époque la page Wikipédia d’Idriss Aberkane est une véritable tribune publicitaire, à tel point qu’elle sera supprimée le 11 novembre 2015[4]… Monsieur Aberkane avait beaucoup protesté et demandé à ses fans d’aller le défendre sur le site de l’encyclopédie. Cela veut dire qu’il soutenait publiquement la véracité des informations visibles sur cette page. Or, nous verrons qu’il y avait des mensonges.
En 2015-2016 pour savoir quoi penser d’Idriss Aberkane, vous aviez sa présence médiatique héroïque, les éloges émotifs des journalistes de plateau impressionné par ses référence … Et la parole inaudible de nombreux chercheurs qui avaient immédiatement repéré l’imposture mais que personne n’écoutait. Les quelques blogs et compte twitter plutôt modestes de chercheurs critiques ont d’ailleurs fait l’objet d’une vengeance d’Idriss Aberkane qui a tenté de les faire censurer en 2018 avec l’aide de son éditeur Robert Laffont.
Exemple de blog : « Les dangers de la poudre aux yeux » par Thibault Charron[5].
En somme la presse était unanime en 2016, tout comme elle l’est aujourd’hui. Monsieur Aberkane était un véritable génie alors, il est un manipulateur complotiste maintenant. Si cela vous inspire de la méfiance envers l’avis des médias, je vous comprends. Il va donc falloir travailler un peu. Je vais vous accompagner pendant vos recherches sur la véritable histoire de monsieur Aberkane, sa crédibilité, derrière les manchettes de journaux et les effets de manche sur Youtube.
2. C’est important un CV ?
Un curriculum vitae est un outil professionnel. C’est un document qui permet de voir si vous maîtrisez les codes d’une profession, si vous avez les bonnes références, si vous avez su vous créer du réseau et si votre parcours atteste certains savoirs et compétences. Je ne suis pas capable d’évaluer la qualité d’un CV de pilote de ligne, d’une chirurgienne ou d’un analyste économique. Et il est probable que vous non plus. Je me fie aux gens du métier, ils sont les mieux placés pour lever un loup, poser la question pertinente qui distingue le profil authentique du fake.
Dans le monde de la recherche, par exemple, que je connais mieux que celui des compagnies aériennes ou de la finance, vous ne trouverez pas d’expert renommé ayant validé trois doctorats en trois ans. Ça n’arrive pas, parce que ça n’a aucun sens, parce qu’un doctorat est censé vous occuper à plein temps pendant trois ou quatre ans. C’est un diplôme qui sanctionne un investissement massif de temps, d’énergie, d’attention, de travail pour poser une problématique et effectuer les travaux de recherches qui permettent d’apporter des réponses, de les faire connaître, et de produire de nouvelles questions. À la fin d’un bon doctorat en sciences du vivant — le domaine en dehors duquel mes compétences décroissent rapidement, mais dans lequel je sais reconnaître un champion d’un dilettante— à la fin d’un bon doctorat le docteur a écrit au moins 3 articles de recherche publiés dans des revues à comité de lecture dont au moins un dans une revue dont l’impact factor est dans le premier quartile de son champ de compétence. Les très bons font 7 ou 10 papiers, et ceux qui sont moins chanceux ou ont moins de ressources, n’en ont qu’un. Avec zéro article on n’est pas censé être autorisé à soutenir par une École doctorale, et on ne devient pas docteur.
Mais être docteur diplômé, ça n’est pas être chercheur. Pour faire carrière dans la recherche il faut ensuite trouver des emplois à durée déterminés appelé post-doctorats dans des équipes réputées quelque part dans le monde, vous y faire un réseau. Et surtout publier avec ces équipes. Après plusieurs années d’itinérance, si vous avez de la chance, vous pourrez postuler dans une université ou un centre de recherche et être classé premier parmi vingt ou quarante candidats. Devenir chercheur, c’est beau, c’est compliqué, c’est un peu ingrat, c’est en tout cas le métier qu’il faut exercer pour se dire spécialiste en neurosciences cognitives par exemple.
Or, nous allons voir que monsieur Aberkane, depuis le début, n’a pas le profil d‘un chercheur mais celui d‘un coach en développement personnel. Ça n’est grave, je ne suis pas là pour lui reprocher son absence de carrière scientifique. Si je fais cette vidéo c’est parce que monsieur Aberkane exerce de l’influence, désinforme son public comme nous l’avons vu dans la vidéo précédente… Et mythonne comme si sa vie en dépendait. Puisque tant de gens veulent absolument croire à ses sornettes, j’estime utile d’expliquer pourquoi il vaudrait mieux s’en abstenir.
Parenthèse : Si le contenu de cette vidéo ne vous plait pas, vous avez le droit de citer ce qui est dit et de nous expliquer en commentaire en quoi ce serait faux ou trompeur, ce serait très utile. Si je me trompe, je veux qu’on me le dise. Mais si votre réaction se limite à dire que je suis jaloux, mal intentionné, méchant, stipendié, lâche, juif, franc-maçon, pédé, macronien (lol) voire même bête… Non seulement je m’en remettrai mais vous vous faites du mal et ne rendez pas service à Monsieur Aberkane qui passe pour un gourou défendu par des ahuris incapables de tenir un discours argumenté. S’il vous plait pour votre bien, argumentez. Fin de parenthèse.
La section commentaire est ouverte, ici comme sur la Tronche en Biais. Ce n’est pas le cas sur la chaine de Didier Raoult. Vos critiques ne sont pas censurées, sauf par YouTube et son algorithme légèrement débile, parce que nous voulons que les gens voient le niveau de la contradiction que vous apportez à nos contenus.
3. Examen du CV
Version 2016 en français : https://web.archive.org/web/20160823165903/http://idrissaberkane.org/index.php/cv/
Le CV en anglais : https://t.co/bpuIA1EGt0
Lorsqu’on se trouve face à un curriculum vitae dont le contenu est remis en cause par diverses personnes, la bonne réaction est de se donner les moyens de vérifier l’adéquation entre ce document et les faits tels qu’ils sont vérifiables auprès des sources les plus solides. C’est un peu laborieux, mais nous allons faire ça ensemble, venez.
Je vous laisse le soin de regarder la version 2022 du CV de monsieur Aberkane, nous allons, nous, travailler sur celle de 2015-2016, c’est-à dire celle qui circulait au moment où il s’est fait connaître, et donc le document qui lui a servi de sésame dans les médias.
· Bac mention très bien.
· « DEUG, Biologie théorique, option Chimie, mention Très Bien.» Université Paris Sud
Il a fourni des copies de ces diplômes. Rien à dire. C’était certainement un bon élève.
· Entré en Biologie (promotion ENS Bio ’05)
Vrai. Pour être précis, il a été admis à préparer le diplôme de l’ENS sur dossier, non sur concours, ce qu’il ne dit jamais.
· L3, M1, M2, spécialisé en neurosciences cognitives:
Vrai et faux.
Il est vrai qu’il a eu une L3 en biologie, puis un M1 en sciences cognitives (Cogmaster), dans la filière neurosciences cognitives. En revanche il est faux qu’il ait obtenu un M2 de l’ENS, que ce soit en neurosciences cognitives (comme indiqué sur son CV) ou en Systems Biology (comme indiqué sur Linkedin).
Vérification faite auprès du Service des Admissions et des Etudes de l’ENS, Aberkane n’a pas effectué de M2 à l’ENS. Il n’a donc pas de diplôme de master issu de l’ENS. Il n’a pas non plus obtenu le Diplôme de l’ENS. Il ne figure pas sur l’annuaire des anciens élèves de l’ENS, ni sur la liste des anciens élèves du Cogmaster.
Corrigé dès 2016, le CV indique comme M2 le master AIV. Cette précision a le mérite d’être correcte, si ce n’est qu’elle est toujours placée fallacieusement sous la catégorie Ecole Normale Supérieure, alors qu’il s’agit d’un master de l’université Paris Diderot, qui n’est pas co-habilité par l’ENS. Idriss Aberkane continue donc à revendiquer à tort un diplôme de master de l’ENS.
· Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales – Cogmaster, coaccrédité avec l’ENS.
C’est à la fois, vrai, faux et redondant.
Il est vrai qu’il a validé le M1 du Cogmaster, mais il s’agit de la même formation que celle citée sous l’entrée ENS (le master est co-habilité par l’ENS, l’EHESS, et l’université Paris Descartes). Elle n’a donc pas à constituer une ligne supplémentaire sur un CV. Et il reste bien sûr faux qu’il ait validé le M2 et obtenu le diplôme de ce master.
· École Militaire — Préparation Militaire Supérieure – Officier de Marine, spé: Etat-Major, Relations internationales.
Ça en jette. Mais qu’est-ce donc ?
« La PMS Etat-major est destinée aux étudiants et jeunes diplômés de niveau Bac+3 validé minimum. Elle s’articule en 12 conférences dispensées à Paris et réparties sur une année scolaire (12 samedis). La formation est complétée par une formation pratique de 5 jours dans un port militaire. Elle se déroule pendant les vacances de printemps. »
Source : le site La marine recrute[6].
En somme cette formation est un stage découverte de deux semaines pour ceux qui souhaiteraient s’engager dans l’armée comme officier ou sous officier. Ce que n’a pas fait monsieur Aberkane.
Monsieur Aberkane appelle ça « Ecole militaire » mais en réalité une école militaire forme des militaires préalablement engagés (de carrière ou sous contrat). L’intitulé est donc impropre, surtout avec la mention « Officier de marine ». Un officier de marine, c’est 5 ans de formation, pas 17 jours. Si Monsieur Aberkane juge important de mentionner cette formation, le bon intitulé est « officier de marine de réserve », il détient bien ce titre-là.
Sans doute que les gens de l’armée qui regardent cette vidéo apprécieront moyennement cette désinvolture.
Nous allons arriver au plat de résistance avec les trois fameux doctorats, mais avant cela une petite mise au point.
4. Oh, ça va, tout le monde le fait !
Démontrer la malhonnêteté d’un CV peut sembler impertinent aux yeux de ceux qui admirent le discours et qui ne voient aucune raison de le remettre en question, même quand se font jour des raisons de douter de l’honnêteté intellectuelle du concerné. Cela signifie que la parole en question est évaluée à l’aune de l’assentiment quelle inspire (y compris à des gens érudits et intelligents) plutôt qu’à celle de la véracité qu’elle peut légitimement revendiquer. En d’autres termes on est un peu trop tentés de raisonner avec nos sentiments, et ça nous conduit à dire des conneries comme :
« Oui, oh tout le monde optimise son CV ».
J’ai lu ça cent fois en défense de Monsieur Aberkane. Eh bien non, tout le monde ne maquille pas son CV pour faire croire qu’on a occupé un poste imaginaire. Celui qui ment sur ses compétences cherche à prendre la place de plus compétent que lui, à attirer une attention qu’il ne mérite pas. Il y a sans doute des gens très brillants que vous n’avez jamais vu à la télé et que dont n’entendrez jamais les idées à la radio parce qu’Idriss Aberkane a pris toute la place.
Le monde autour de vous est rempli de gens qui ne sont même pas effleurés par l’idée de tricher sur leur CV. Mais si vous trouvez ça normal de pipeauter, je vous en prie dite le bien fort à visage découvert pour que tout le monde puisse vous voir. Et en tirer les conséquences.
5. Les trois doctorats
Quelle information Idriss Aberkane nous donne-t-il sur ses trois doctorats ?
· Docteur en Diplomatie et Noopolitique. Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques de Paris (2013).
Si vous voulez plus de détails, un article de fact-checking vous attend sur la Menace théoriste[7].
En résumé le Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques de Paris n’est pas habilité à délivrer le doctorat en France. Vous vous y inscrivez, vous payez les frais et vous finissez avec un PhD qu’aucune université ne reconnaîtra mais qui peut faire cool sur une carte de visite.
Pour soutenir une thèse, il faut avoir un jury d’universitaires, des spécialistes de votre discipline qui peuvent attester que votre travail répond aux standards attendus de la communauté scientifique.
Pour ce PhD dont nous ne pouvons lire que le résumé et la couverture et qui n’apparait dans aucune base de données, les membres du jury sont :
- Un certain professeur Mahmoud M. Musa dont la spécialité n’est pas précisée et qu’on ne retrouve nulle part sur Internet, sur aucune publication scientifique… Sauf s’il est médecin à Detroit[8], mais pour une thèse en diplomatie c’est étrange. Monsieur Musa a par ailleurs figuré parmi la liste des professeurs du CEDS, c’est-à-dire l’établissement privé qui donne le diplôme.
- Le deuxième membre du jury affiché, Michael J. Strauss, serait professeur de géopolitique et de relations internationales… Au CEDS. Pas de trace de ce monsieur sur Google Scholar. Il semble n’avoir pas produit de travaux scientifiques.
- Troisième et dernier membre du jury, Paul Bourgine, est directeur de recherches au CNRS. C’est le seul à avoir un statut universitaire clairement établi. En revanche, sa compétence sur le sujet de la thèse paraît moins évidente puisqu’il est biologiste.
Trois membres pour un jury de thèse, c’est peu, a fortiori quand deux sur les trois sont internes à l’institution (la plupart des universités imposent un nombre ou une proportion minimale de membres extérieurs, pour assurer une évaluation un minimum indépendante).
Bref, s’il est probable (au regard des nombreux articles déjà écrits) qu’Aberkane ait pu soumettre le mémoire de 300 pages nécessaire pour soutenir une thèse selon les critères du CEDS, la réalité et la valeur du diplôme de PhD revendiqué sont hautement douteux.
Dans la section commentaire de l’article que j’ai rédigé en 2016 un message de l’Agence Bibliographique de l’Enseignement Supérieur a apporté les informations suivantes :
« Pour information, le site theses.fr est un site ministériel qui recense l’ensemble des thèses de doctorat soutenues en France. Les données de theses.fr se veulent exhaustives, mais sont sous la responsabilité des établissements de soutenance. (…) La page de M. Aberkane signale deux thèses de doctorat : http://theses.fr/183588231, celle de 2014 (http://theses.fr/2014STRAC005) et celle de 2016 (http://www.theses.fr/2016SACLX005). La thèse de 2013 n’est donc pas une thèse de doctorat aux yeux de l’Etat français. Il existe néanmoins d’autres types de thèses, qui n’ont pas valeur de doctorat : thèse d’exercice pour les médecins, thèses de l’Ecole des chartes, thèses de doctorat « canonique » de l’Institut Catholique de Paris, etc. »
· Docteur en Etudes méditerranéennes et Littérature comparée. Université de Strasbourg (2014).
Notons que l’on retrouve Paul Bourgine dans le jury, bien que sa compétence en littérature comparée ne soit pas plus attestée qu’en relations internationales. Le jury a été présidé par Pierre Collet, un professeur en informatique dont la compétence sur ce sujet est tout aussi mystérieuse.
Je n’ai pas trouvé de publication scientifique issue de ce travail doctoral. C’est au minimum alarmant.
· Docteur bidisciplinaire en Neurosciences cognitives et Economie de la connaissance. Ecole Polytechnique Université Paris Saclay (2016).
Un peu comme les Bogdanoff, Idriss Aberkane se prévalait de ce doctorat avant de l’avoir, par exemple dans Ouest France dès 2015[9].
Premier problème, ce doctorat a été défendu dans la discipline « Sciences de gestion », comme l’indique le diplôme que Monsieur Aberkane a mis en ligne sous la pression des contestations. La notion de doctorat bidisciplinaire est donc fantaisiste et le nom des disciplines citées correspond plus à une description par l’auteur du contenu de sa thèse que des disciplines officielles qui n’existent ni l’une ni l’autre au sein de cette école doctorale.
Cette fois Paul Bourgine est co-directeur de la thèse. On retrouve Pierre Collet dans le jury.
Il est très étonnant que trois thèses soient soutenues à si peu d’intervalle, ce qui interroge sur la quantité de travail réellement fournie dans ces projets de recherche. Il est étonnant de retrouver un chercheur comme Paul Bourgine dans un jury de thèses n’ayant rien à voir avec son domaine. Il est très étonnant que cela se produise trois fois, et avec le même doctorant.
Mais pire que tout, il existe un critère pour évaluer la qualité d’une thèse, je vous en ai parlé, c’est le nombre de publications. Je ne suis pas en mesure de vous dire si une thèse en « Etudes méditerranéennes et Littérature comparée » est de bonne qualité. Si vous le pouvez alors consultez la thèse que monsieur Aberkane a soutenu à l’Université de Strasbourg et dites-nous ce qu’il en est. Il n’y a aucune raison non plus que vous vous fiez à mon avis sur le doctorat en sciences de gestion de monsieur Aberkane. Si vous n’êtes pas expert du domaine, vous ne savez pas ce qu’elle vaut. Pour en avoir une idée, il faut s’en référer à ce que dit le monde de la recherche.
Le monde de la recherche exerce un contrôle sur les chercheurs via le système des publications scientifiques. Si vous avez un ou une docteur autour de vous demandez-lui comment ça marche.
Comme je vous l’ai dit plus tôt une thèse de doctorat en science est considérée valable, digne d’être soutenue, et porte d’entrée vers une carrière de chercheur si et seulement si le doctorant a publié au moins un article dans une revue scientifique à comité de lecture. Tous les doctorats ne sont pas de grande qualité, il y a des docteurs médiocres, il y en d’excellents et ce qui les distingue c’est la qualité et la quantité de leurs publications.
Et là les choses sont extrêmement simples. On peut émettre un jugement objectif grâce à ces critères imparfait mais acceptés par tout le monde. Quel est le verdict ? On n’a pas rendu service à Idriss Aberkane en l’autorisant à soutenir trois doctorats pour lesquels il n’a pas publié un seul article scientifique.
On ne trouve aucune trace d’Idriss Aberkane dans les bases de données du monde académique, sur Scholar, science direct, Pubmed ou scopus : il est inexistant pour le monde académique.
Les youtubeurs qui vulgarisent les sciences sans se prétendre plus malins que vous ont pour la plupart réellement publié des articles, c’est-à-dire contribué à produire de la connaissance. Idriss Aberkane n’a jamais produit de connaissance scientifique de sa vie.
6. Trois doctorats pour quoi faire ?
Avoir trois PhD et zéro article scientifique, c’est un exploit, il est peut-être le seul en France à avoir réussi cela, et cela fait de lui, non pas un mauvais chercheur, mais quelqu’un qui n’a strictement aucune chance d’être recruté et de devenir ne serait-ce qu’un mauvais chercheur.
Il se vante d’avoir été interne à Cambridge en 2006 et 2009. Si c’est vrai il s’agit de stage de licence. « Interne » ça veut dire stagiaire. Il a peut-être passé quinze jours sur place, en tout cas il n’a publié aucun travail lors de ces deux passages ; êtes-vous étonné ?
Il se vante d’avoir été « visiting scholar » à l’université de Stanford en 2007. Aucun problème, cela veut juste dire qu’il était un étudiant venu sur place par ses propres moyens auquel on accordait le droit d’utiliser la bibliothèque. Du reste, il n’a pas profité de ce passage pour publier quoi que ce soit. Evidemment.
Mais son grand talent d’auteur est de tourner tout cela dans un document où il met en avant les noms de Stanford et Cambridge avec des termes anglais qui sonnent flou et laissent penser les non scientifiques qu’il y a exercé le métier de chercheur.
On pourrait continuer longtemps et constater que malgré 3 doctorats, Idriss Aberkane se fait remettre à sa place par l’Ecole Polytechnique qui dément le statut de professeur dont il se vante sur son CV, sur LinkedIn et dans les médias.
Malgré trois doctorats, quand il se dit affilié au CNRS, on ne le trouve nulle part dans l’annuaire du Centre qui pourtant comprend même les personnels des universités qui font leur recherche dans un labo où le CNRS est seulement partenaire.
Malgré trois doctorats Centrale Supelec est obligée de démentir officiellement monsieur Aberkane qui se disait enseignant-chercheur chez eux.
Ne me croyez pas sur parole, consultez Wikipédia, vous y trouverez des sources
7. Que dit Wikipédia ?
Article Idriss Aberkane. Section « Controverse sur son curriculum vitae »
« En octobre 2016, Idriss Aberkane se présente encore comme « consultant International titulaire de trois doctorats ayant donné plus de 160 conférences sur quatre continents, dont cinq TEDx, et créé trois entreprises en France et en Afrique »22. La Une du Point (qui appartient au milliardaire François Pinaut) le présente comme « chercheur à CentraleSupélec et à l’École polytechnique […] également affilié à l’université Stanford et au CNRS », précisant être « enseignant-chercheur à Paris-Saclay via CentraleSupélec »12. Ce CV « hors norme » est généralement mis en avant lors de ses interventions télévisuelles, par exemple dans l’émission Actuality du 12 octobre 2016 où Thomas Thouroude le présente comme « enseignant-chercheur à l’École polytechnique, docteur en neurosciences »12. Le 25 février 2015 il est présenté comme « professeur à Centrale-Supélec, chercheur à Polytechnique » lors de son audition officielle par le Conseil économique, social et environnemental puis de nouveau en séance plénière lors de la restitution de l’avis de ce conseil.
Toutefois, l’existence de ces titres est démentie officiellement par Polytechnique, qui précise qu’il est titulaire d’un doctorat de l’université Paris-Saclay préparé à l’École polytechnique, mais qu’il n’est pas enseignant-chercheur chez eux23. CentraleSupélec indique qu’il travaille chez eux en qualité d’intervenant en mastère spécialisé Stratégie et développement d’affaires internationales, et non d’enseignant-chercheur titulaire24. Le 25 octobre 2016, Le Monde, à la suite de « plusieurs alertes faisant mention d’erreurs » dans la description du parcours d’Idriss Aberkane, publie un article rectifié faisant un premier point sur le sujet, qui précise entre autres qu’Aberkane n’est pas « normalien » comme annoncé précédemment, mais a été prédoctorant à Normale Sup5.
En novembre 2016, c’est au tour d’articles de L’Express, de Marianne, et de Libération de mettre en cause la véracité de ce curriculum vitæ, « dopé » à des fins promotionnelles, confirmant après vérification auprès des divers établissements qu’Idriss Aberkane n’est ni normalien, ni enseignant-chercheur au CNRS ou à Polytechnique. Il a par contre bien été pendant un an chercheur associé (c’est-à-dire bénévole) au Centre de recherche en gestion de l’École polytechnique, lequel est affilié au CNRS12,25.
Par ailleurs, s’il est souvent présenté comme « neuroscientifique », son doctorat porte sur l’« économie de la connaissance » et il s’agit d’un diplôme en « gestion », non en biologie ni en neurosciences.
Des trois doctorats revendiqués par Idriss Aberkane, deux seulement sont recensés sur la base de données françaises sur les thèses (theses.fr) : une thèse de doctorat en Littérature générale et comparée à l’université de Strasbourg, et une autre en sciences de gestion sur l’« économie de la connaissance »O 3. Aucun n’implique la moindre compétence en « neurosciences ». En outre la composition du jury de sa thèse en littérature est sujette à caution, les professeurs présents n’étant pas spécialistes du domaine abordé10.
Par ailleurs, si cet empilement académique peut impressionner, les scientifiques sont plus critiques : Sebastian Dieguez, chercheur en neurosciences, résume par exemple « trois thèses en trois ans, si ça peut époustoufler des animateurs de télévision et des journalistes, c’est en principe quelque chose de complètement rédhibitoire pour un scientifique »21. Il ajoute « De fait, si un chercheur ou un chef de laboratoire voyait la présence de trois thèses sur le CV d’un candidat, dans la plupart des cas il le rejetterait immédiatement, d’autant plus si le candidat, sur toute la durée de ces « doctorats », n’a pas su produire la moindre publication scientifique. « Avoir » trois thèses n’est absolument pas un gage de compétence, bien au contraire, c’est la preuve qu’on a probablement affaire à un touriste académique, quelqu’un qui n’a ni projet, ni discipline, ni à vrai dire aucun sérieux. De plus, un employeur universitaire, constatant que les trois thèses ont été acquises en moins de trois ans, et sachant qu’une véritable thèse demande à peu près 4 ans de travail assidu dans un laboratoire, aurait à se demander si celles-ci ne sont pas, peut-être, des thèses de complaisance »21.
Fin de citation.
8. Finalement, c’est logique
Quand on a tout cela en tête il n’y a vraiment rien d’étonnant à voir monsieur Aberkane tirer à boulet rouge sur le monde académique et sur la revue par les pairs parce qu’il sait que ce qui est le plus dangereux pour lui c’est que son public soit tenté d’écouter les vrais experts, ceux qui publient, qui travaillent, qui sont prudents et font des choses au lieu de fanfaronner ; parce que dans ce monde-là monsieur Aberkane est clairement identifié pour ce qu’il est et qu’il veut pas que vous voyez : une imposture complète, un gâchis monumental, un tricheur qui a fusillé sa potentielle carrière.
Plus récemment, se piquant de mathématiques, monsieur Aberkane a affirmé avoir prouvé la conjecture de Syracuse, un problème mathématique qui résiste aux plus grands esprits depuis les années 1950. Evidemment, vous vous doutez que cette facétie n’est pas prise au sérieux par les chercheurs en mathématiques, mais si vous voulez y croire, sur la seule foi que c’est Idriss Aberkane qui vous le dit, demandez vous jusqu’où il peut se vanter avant que vous commenciez à vous dire que vous avez misé sur un mauvais cheval.
Je n’ai aucune compétence en mathématique. Mais nous avons en France de vrais mathématiciens, et il est bien possible que je revienne bientôt avec un entretien où un professeur d’université va nous expliquer comment il faut s’y prendre pour démontrer au monde qu’on a prouvé la conjecture de Syracuse.
Vous verrez qu’il en va ici comme d’ailleurs : Idriss Aberkane a juste assez de science, et plus qu’il ne faut de culot et d’abattage pour se jouer d’un public qui a baissé sa vigilance.
9. Conclusion
Le message de la zététique ce n’est pas qu’il faut écouter Untel parce qu’il est docteur en science, mais c’est justement se souvenir qu’il n’existe pas de source de vérité absolue et qu’il y a en définitive deux types de gens dans le monde qui peuvent nous manipuler : ceux qui disent des choses qui nous plaisent, que l’on est motivé à croire, qui nous donnent le sentiment d’être spéciaux… et nous-mêmes.
On ne va pas pouvoir se débarrasser de nous-même (même si on peut apprendre sur nos biais et devenir plus réflexif, prudent, vigilants). Mais on peut faire du ménage du côté de ceux qu’on a plaisir à écouter et je vous propose un raccourci efficace : quand on a la preuve qu’un individu ment à répétition par intérêt personnel, alors on n’a aucune raison de lui faire confiance. Si on accepte de se ranger du côté du menteur parce qu’il dit aussi des trucs sympas, on abdique totalement sa liberté de pensée pour devenir un pion dans la main d’un autre.
La section commentaire de la vidéo précédente en offre l’illustration désastreuse : des centaines de gens viennent nous insulter et dire combien Monsieur Aberkane vaut mieux que nous. Ont-ils des arguments ? Donnent-ils des raisons de douter de notre travail ? Non, ils expriment des émotions, le besoin criant de continuer à le croire parce qu’il leur fournit quelque chose qui leur fait du bien. Idriss Aberkane, imposteur de la science, est aussi un dealer de fake news, un cajoleur addictif. Il intoxique des gens qui par ailleurs sont sans doute des citoyens parfaitement respectables, mais viennent quand même vomir des injures sur notre travail. Et, surtout, ne vous méprenez pas. Si Monsieur Aberkane agit comme il le fait c’est parce qu’il en tire profit.
La bonne nouvelle c’est que vous avez le droit d’être intelligent, d’être autonome et exigeant avec les idées que vous acceptez de mettre dans votre tête.
À vous de jouer, soyez gentil dans la section commentaire. Et si vous soutenez financièrement notre association de promotion de la science et de l’esprit critique, un grand merci.
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[1] toujours préciser à qui appartient un journal pour dire implicitement que cette information est pertinente et donc suggérer une forme d’influence est une méthode aberkanienne par excellence
[2] Idem
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Mary-Sue
[4] https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Idriss_Aberkane&oldid=120388462
[5] https://medium.com/@tibo/idriss-aberkane-ou-le-danger-de-la-poudre-aux-yeux-b4f8b94ce202#.l8qdp5wsw
[6] https://www.lamarinerecrute.fr/metiers-et-formationsvivre-une-premiere-experience/preparations-militaires-et-stages
[7] https://menace-theoriste.fr/idriss-aberkane-fact-checking/
[8] https://health.usnews.com/doctors/mahmoud-musa-2548962
[9] https://www.ouest-france.fr/economie/entreprises/management-idriss-aberkane-29-ans-chercheur-sans-limites-4487066
SOURCE : https://menace-theoriste.fr/le-cv-hypertruque-didriss-aberkane/
1 comment
Je me suis toujours méfié de ce type : il ne m’a jamais inspiré confiance. Ma méfiance trouvait justification dans sa manière très peu “scientifique” d’agencer ses idées. Le lien logique y manquent très souvent. Par ailleurs, je ne crois pas lui avoir lu ou entendu quoi que ce soit ait en clair un fil directeur … Bref, une pensée chahutée à laquelle il me semblait manquer à chaque fois, “la discipline” du scientifique qu’il prétendait être.
Un vulgaire escroc de “grands médias”.