La diplomatie, c’est souvent l’art de transformer un échec en victoire narrative. Ce vendredi, à New York, le Maroc a célébré bruyamment une résolution du Conseil de sécurité renouvelant le mandat de la MINURSO. Pourtant, en grattant la surface, on découvre une tout autre réalité : loin d’une victoire diplomatique, le texte adopté consacre un statu quo que Rabat redoutait.
Le Maroc n’a pas gagné à l’ONU — il a simplement mieux communiqué sa défaite.
Depuis des semaines, le narratif marocain annonçait une percée historique : Washington, à l’initiative de Donald Trump, aurait imposé une résolution consacrant le plan d’autonomie comme « seule base crédible » pour régler la question du Sahara Occidental. En réalité, cette formulation a disparu du texte final.
La version adoptée par le Conseil de sécurité, après de vifs débats, réaffirme au contraire la nécessité d’un règlement « politique, juste, durable et mutuellement acceptable », conforme à la Charte des Nations unies et garantissant le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. Autrement dit, le cœur du cadre onusien reste intact — et c’est précisément ce que Rabat voulait éviter.
La Russie, la Chine et le Pakistan, en parfaite cohérence avec les positions algériennes, ont refusé de cautionner le glissement américain. Moscou a parlé sans détour d’une « démarche de cowboy » de la part de Washington, expliquant son abstention par souci d’éviter une escalade qui aurait pu aboutir à la fin pure et simple de la MINURSO — et donc à un retour au conflit armé.
Pékin, de son côté, a également choisi l’abstention, reprenant les mêmes arguments que l’Algérie : respect du droit international et du principe d’autodétermination. Quant à l’Algérie elle-même, elle s’est abstenue de voter, considérant que le texte final, malgré les amendements obtenus, ne répondait pas pleinement à ses attentes.
Ce front discret, mais ferme, formé autour du droit international, montre bien que Rabat n’a pas obtenu le soutien inconditionnel qu’il espérait.
Sur le plan opérationnel, le Maroc subit une autre défaite : celle de la durée du mandat de la MINURSO.
Washington voulait limiter la mission à trois mois — un moyen de mettre la pression sur le Front Polisario. Puis à six. Finalement, c’est une prolongation d’un an qui a été adoptée, contre la volonté initiale des États-Unis et de Rabat. Cette simple ligne dans le texte a une portée symbolique majeure : la communauté internationale refuse d’abandonner le cadre multilatéral et continue de considérer la question sahraouie comme un dossier onusien, non marocain.
Même les pays ayant voté pour la résolution ont pris soin de ne pas offrir à Rabat le triomphe symbolique qu’il cherchait.
La représentante du Danemark, par exemple, a déclaré :
« Ce n’est pas une façon de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental. Toute solution doit respecter la Charte des Nations unies, y compris le droit à l’autodétermination. »
Une précision lourde de sens : soutenir un plan n’est pas reconnaître une souveraineté. Ce distinguo, ignoré par les médias marocains, est pourtant fondamental. Il marque la frontière entre l’option d’autonomie — une hypothèse parmi d’autres — et la reconnaissance de l’annexion, que personne n’a validée.
Autre moment marquant : la déclaration du Panama, pourtant proche allié des États-Unis, qui a mentionné explicitement « le Maroc, le Front Polisario et les États frontaliers » comme « parties au conflit ».
Ce simple pluriel, passé sous silence à Rabat, ruine des années d’efforts marocains pour présenter l’Algérie comme simple observatrice extérieure.
Au fond, ce qui s’est joué à New York n’est pas une bataille de paragraphes, mais une bataille de perception.
Le Maroc a remporté la guerre des communiqués — drapeaux brandis, hashtags triomphants, discours d’autosatisfaction — mais perdu la guerre du texte.
Le droit à l’autodétermination reste inscrit, la MINURSO reste sur le terrain, et les grandes puissances refusent de valider la « marocanité » du Sahara. Même les abstentions, loin d’être un signe d’indifférence, traduisent un refus clair de cautionner le glissement américain vers une approche unilatérale.
La réalité est têtue : le Maroc n’a pas consolidé sa position, il a simplement réussi à retarder la prise de conscience de sa défaite.
Pour le peuple sahraoui, ce que le Maroc veut nomme « victoire » ne change rien. Le statu quo perdure, les négociations restent bloquées, et les discours diplomatiques continuent d’occulter l’essentiel : un peuple attend toujours que la promesse faite par l’ONU en 1991 — celle d’un référendum d’autodétermination — soit enfin tenue.
Et tant que cette promesse restera inscrite dans les résolutions du Conseil de sécurité, aucune campagne de communication, si habile soit-elle, ne transformera une défaite diplomatique en victoire politique.
Hope&ChaDia