Les Échos de Maputo : Une Odyssée Diplomatique et Intime entre l’Afrique et l’Algérie
Par Lamia Khalfallah
Dans le foisonnement littéraire contemporain, rares sont les œuvres capables d’embrasser, avec une telle harmonie, le récit personnel, la réflexion géopolitique et l’hommage littéraire. Le Carnet de Maputo ou Ma lettre d’amour à la femme africaine de Saïd Djinnit incarne cette alchimie précieuse. Bien au-delà d’un simple témoignage, ce texte s’impose comme une fresque polyphonique, à la croisée de l’intime et du politique, du sensible et de l’universel. À travers ses pages, l’auteur, diplomate algérien de carrière, nous embarque dans une traversée profonde, entre les cimes kabyles de son enfance et les rivages mozambicains, épicentre d’un tournant historique pour les droits des femmes africaines. C’est dans cette tension féconde entre mémoire et engagement, entre racines et horizon, que réside la richesse unique de ce récit.
Dès l’ouverture, Maputo se déploie comme un personnage à part entière : vivante, complexe, traversée par les soubresauts de l’Histoire. Sous la plume sensible de Djinnit, la capitale mozambicaine échappe aux représentations figées. Il capte les vibrations de la ville : ses mutations économiques, ses luttes politiques, mais aussi la texture de son ciel, le murmure de sa mer, l’âme de ses rues. Cette attention poétique aux détails révèle un regard amoureux, presque sensoriel, sur l’Afrique. Elle révèle aussi une volonté de dépasser les cadres rigides de la diplomatie classique pour lui insuffler une dimension profondément humaine, enracinée dans les réalités vécues.
Au fil du texte, l’enfance de Saïd Djinnit dans les montagnes de Ziama, en Kabylie, surgit comme le socle fondateur de sa vocation. C’est là, au cœur de la rudesse et de la tendresse d’un village algérien, qu’il découvre les combats silencieux des femmes, leur dignité dans l’adversité. Ces souvenirs, gravés dans sa conscience, nourrissent son engagement futur sur les scènes internationales. Ce va-et-vient constant entre le passé algérien et le présent africain tisse une toile où l’intime devient politique, et où chaque action diplomatique prend racine dans une histoire personnelle faite de douleurs partagées et d’espoirs portés.
Le cœur battant de Carnet de Maputo réside sans doute dans le récit du deuxième Sommet de l’Union africaine en 2003, qui aboutit à l’adoption du Protocole sur les droits des femmes, plus tard appelé « Protocole de Maputo ». Djinnit y dévoile les coulisses de cette avancée historique avec une précision à la fois technique et émotionnelle. Ce moment diplomatique n’est pas pour lui un simple fait d’armes, mais l’aboutissement d’une lutte intérieure, d’un héritage de résistance transmis par les femmes de son enfance. Ce texte devient ainsi un plaidoyer vibrant pour l’émancipation féminine, porté par la voix d’un homme dont la trajectoire intime donne tout son sens à l’engagement public.
Au fil des pages, Djinnit rend également hommage à l’excellence de l’élite diplomatique algérienne. Il en souligne la capacité à penser l’Afrique de demain, à conjuguer exigence intellectuelle et sens du terrain, à incarner une diplomatie du cœur sans jamais sacrifier la rigueur de l’analyse. À travers l’évocation de ces figures discrètes mais influentes, il dresse un portrait juste et nuancé d’une Algérie constructive, impliquée, tissant dans l’ombre les fils d’une solidarité africaine authentique.
En définitive, Les Échos de Maputo – tel que se laisse rebaptiser ce carnet – est bien plus qu’un livre de souvenirs ou un traité diplomatique. C’est une offrande littéraire et humaine, un chant pour l’Afrique, pour ses femmes, pour ses luttes et ses victoires. C’est aussi une invitation à repenser la diplomatie comme une aventure incarnée, portée par des histoires de vie, des blessures anciennes, et une foi inaltérable dans l’avenir. Ce livre laisse une empreinte durable, appelant à la fois à la contemplation, à la mémoire et à l’action.