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Le palais de Hadj Ahmed Bey qui abrite, le Musée public national des arts et des expressions culturelles traditionnelles de Constantine, est l’expression d’une ingéniosité qui concilie confort, savoir-vivre et sécurité. Situé au beau milieu de la médina de Constantine, le monument retrace, au détail près, le règne de 1826 à 1837 du dernier dirigeant du beylicat de l’Est.
La directrice du musée, Meriem Guebaylia, peut en parler des heures. Selon elle,«ce palais qui appartenait au dernier bey a été inauguré en 1835après presque 10 ans de travaux». «Ce joyau architectural se caractérise par une belle polychromie, et les fresques peintes sur les murs racontent les voyages qui ont conduit Ahmed Bey à travers le monde», ajoute-t-elle. «Des villes comme La Mecque, Médine, Le Caire, Alexandrie, Tripoli, Istanbul ont impressionné le bey qui a immortalisé ses souvenirs sur différentes parties des galeries du palais», explique-t-elle.
«Nous avons des relevés qui évoquent un voyage vers l’Algérois dont le point de départ était Constantine. Des photos prises au port de Sidi Fredj en témoignent», poursuit-t-elle. Un autre périple l’avait conduit en Tunisie, en Grèce, notamment dans la ville de La Canée.
La polychromie, un document historique inédit
En visitant le palais, on peut admirer ses fresques esquissant des cartes postales de toutes ces villes pittoresques qui révèlent l’ouverture de l’Algérie sur le monde. «Son périple ressemble à celui d’Ibn Batouta et il a tenu à le perpétuer sur 2.000 m2 où l’on peut admirer aussi des toiles florales et végétales et des symboles géométriques», indique notre interlocutrice.
Les lieux de culte et les forteresses des différentes régences ottomanes sont les plus représentées. « Cette polychromie, document historique inédit réalisé en 1826 par le dessinateur Hadj Youcef qui l’accompagnait dans tous ses voyages, met en valeur la civilisation islamique alors à son apogée», souligne-t-elle.
Le palais a été conçu en conciliant les styles mauresque et local. Ainsi, si le patio a été inspiré des maisons typiquement algériennes, dans les autres parties des pavillons, le style mauresque prédomine. A l’en croire, «la conception du palais a été confiée aux architectes algériens, El-Djabri et El-Khatabi».
Matériaux locaux authentiques
Le palais compte 121 chambres et plus de 47.000 pièces de céramique authentique catégorisées selon cinq types (zellige). «Le dessin le plus visible est la fleur de clou de girole», dit-elle. S’agissant des colonnes, le palais en recense 250 en marbre avec différents ordres architecturaux et chapiteaux, dont le corinthien l’ionique et le dorique.
Au lieu d’une croix, on y trouve un croissant. Le marbre utilisé est extrait du mont de Filfila, dans la wilaya de Skikda. Deux jardins, celui des palmiers et celui des orangers, avec leurs fontaines érigées au beau milieu des pavillons, rehaussent la beauté du palais. «Le Bey disposait d’une petite maison à côté d’un pâté de douirettes, mais avait décidé d’acquérir ces terres et bâtisses afin de construire ce palais composé d’un sous-sol, d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage, sur une superficie de 5.609 m2», fait-elle savoir.
Les deux espaces verts regorgent de plantes décoratives et d’herbes aromatiques. «Les quatre palmiers ont été plantées par le bey lui-même. Symbole de hauteur et de longue vie, ils reflètent aussi l’influence du milieu familial du bey sur sa personnalité, lui le kouloughli, fils d’un père turc, Cherif El Koli et de Rokia Bengana, originaire de Biskra», relate la directrice qui fait observer que le grand bassin entre le patio et les deux jardins est l’un des espaces les plus remarquables du palais.
Des pavillons et des usages
Le monument renferme quatre pavillons dont les deux principaux entourent les deux jardins. Le troisième est construit autour du patio et le quatrième, qui encercle le grand bassin, est le harem, composé de trois chambres. Les anciennes photos montrent un bassin traversé par un passage où les femmes pouvaient s’y asseoir pour se détendre, pieds dans l’eau.
Les Français ont remplacé le bassin par un jardin. Mais grâce aux travaux de restauration effectués et la compétence de l’architecte Abdelaziz Badjadja, on a réussi à réintégrer le bassin en marbre conformément à la conception initiale, explique la directrice. S’agissant de la boiserie, le palais recèle une très belle collection de couleurs et de motifs. Les artisans, qui ont pris part à sa restauration, ont veillé à la préservation du même style au détail près, assure la directrice. Dans le patio, la fontaine qui occupait le milieu a été déplacée au pavillon où se trouve le diwan. On y trouve le salon d’honneur et les tribunaux. «Le Bey était le premier juge et disposait de deux tribunaux, civil et militaire, où il statuait, le vendredi, sur des affaires d’une grande importance. Ici, on trouve sa îlia où il siégeait», relate t-elle.
Concernant le diwan, il est un espace réservé exclusivement à l’activité politique et militaire du bey. «Il y recevait ses hôtes et émissaires», précise-t-elle. En accédant dans cet espace, on trouve une mise en scène montrant le Bey Ahmed en réunion avec le responsable des troupes armées (ministre de la Défense), Ben Othmane, sur sa droite, et son premier ministre, Ali Ben Aïssa, sur sa gauche.
La scène est surplombée d’un grand emblème de couleur rouge de beylicat de l’Est flanqué d’un sabre à double tranchant de couleur blanche, ressemblant à celui d’Ali Ibn AbiTalib, dit Dulfikar. Des pièces de monnaie qui circulaient entre 1830 et 1837 sont exposées. C’est avec ces deux éléments fondamentaux que le bey voulait imposer sa souveraineté sur le beylicat durant l’époque coloniale, explique-t-elle.
Le diwan, un œil qui veille au grain
Sa conception architecturale place le diwan au cœur du palais et inclut 15 fenêtres permettant au bey d’avoir un œil sur tout. «Ce sont ses caméras de surveillance sur l’entrée principale, les pavillons harem, familial et administratif et le patio. Ce qui atteste de la haute maîtrise de cette construction», lance-t-elle. Le sceau d’Ahmed bey portant le titre de pacha, des manuscrits et des missives codées échangées sont toujours conservés dans le diwan. «Le titre de pacha place Ahmed Bey au rang des deys», tient-elle à noter.
Au premier étage, se trouve le pavillon de Fatima, la fille unique du bey. «Il est le plus beau et le plus spacieux. Sa chambre est dotée de portes donnant sur deux autres chambres et un accès le reliant au harem en bas», étaie-t-elle. Ahmed Bey avait épousé quatre femmes afin de contracter des alliances avec les principales tribus de la région qui constituaient une menace pour son règne.
«Il se fiait aux conseils de sa mère Rokia Bengana qui veillait à le rapprocher des plus résistantes tribus, à leur tête celle de H’nancha. Il voulait instaurer une sorte de stabilité politique et faire perdurer la trêve», relate la même responsable. Et pour aller à l’exploration du deuxième niveau du palais, c’est Haider Rouag, attaché de la restauration au Musée, qui nous sert de guide. Ce niveau est accessible via deux escaliers, le premier en marbre et fait partie de la première construction, tandis que l’escalier métallique en colimaçon a été ajouté par Napoléon III.
«Nous sommes au deuxième niveau du palais, plus précisément au pavillon familial, composé de chambres réservées à ses épouses. Chacune est conçue selon un plan précis où l’on trouve m’qadem, l’entrée de la
chambre, el-iwan au milieu (salon) et sur les deux côtés, deux dressings», indique Rouag. Les balcons de pavillon donnent sur le jardin des orangers. Aussi, l’ombrage d’un cèdre d’Atlas occupe un bon espace de ce jardin. Ce dernier ne cesse d’intriguer les spécialistes, car cet arbre nécessite un environnement naturel situé à 1.400 m d’altitude, alors que le palais se situe seulement à 650 m. «Les fleurs de ces orangers sont utilisées dans la distillation de l’eau d’oranger et ses fruits dans la fabrication artisanale de la confiture», verse-t-il dans le détail.
Selon ses explications, on dote les constructions de jardins pour plusieurs motifs. On y cultive différentes espèces d’arbres autour des fontaines qui sont le symbole du paradis. Ainsi, on a un espace privé ombragé où l’on peut se détendre et se rafraîchir, notamment en été. L’attaché du musée tient à souligner que le palais est le seul en Algérie à avoir une double galerie, inspirée du style andalou. La toiture, en tuiles, constitue un élément exceptionnel. Elle se veut un système d’isolation naturelle entre l’intérieur des chambres et la température de l’extérieur. Un espace d’intimité aménagé en forme de véranda s’appelle takhtabout, entouré de mouchrabia.
Ces vitres multicolores permettent aux femmes de voir ce qui se passe en bas du palais et dans les jardins sans être vues. La décoration et la sculpture des portes sont bien étudiées et obéissent à des codes précis. «La porte décorée de l’extérieur avec une facette intérieure simple signifie que la chambre est réservée aux hommes.Si elle est décorée de l’intérieur avec une facette extérieure simple, il s’agit d’une chambre réservée aux femmes», décode-t-il. L’exactitude dans le plus petit détail se fait remarquer dans le moindre coin et recoin.
Le résistant
Le palais a connu, durant l’époque coloniale, une extension derrière le bâtiment pour abriter le siège de l’état-major après la deuxième révolte de Constantine en 1837. «Les forces coloniales se sont emparées du palais dès l’occupation de l’ancienne médina, le fief de la résistance d’Ahmed Bey», relate la directrice.
Une année auparavant, l’armée d’invasion a subi des dégâts qui ont empêché les soldats de prendre d’assaut la ville fortifiée. «Il était un bon stratège militaire. Face à une telle débâcle, le maréchal Clauzel n’avait de choix que démissionner de ses fonctions», raconte Mme Guebaylia. Après la prise de la médina, Ahmed Bey ne voulait pas se rendre et décida de poursuivre la résistance jusqu’à 1848 dans les Aurès et de l’étendre jusqu’à l’orée de Biskra avant sa capture et son assignation à résidence surveillée. L’histoire d’Ahmed bey qui meurt en 1852 n’est qu’un épisode de toute une saga des beys qu’a connue, entre 1528 et 1837, l’antique Cirta.
De l’envoyée spéciale d’Horizons à Constantine : Aziza Mehdid