Par Hope&ChaDia
Il est des titres qui en disent long sur l’auteur, et d’autres qui en disent plus encore sur une époque. “Ces Palestiniens qui viennent nous déranger !” n’est pas un cri du cœur, mais un soupir d’agacement bourgeois, un murmure ennuyé devant l’obstination des damnés de la terre à vouloir survivre.
Kamel Daoud, dans sa dernière chronique, s’interroge : pourquoi ces Palestiniens ne se contentent-ils pas de mourir en silence ? Pourquoi viennent-ils troubler nos certitudes, nos conforts moraux, nos indignations calibrées ? Il faudrait être bien aveugle pour ne pas voir que la seule chose que les Palestiniens viennent déranger, ce n’est ni la gauche occidentale ni les progressistes arabes, mais la conscience endormie de ceux qui ont troqué la solidarité contre l’analyse, et la révolte contre la pose.
Comparer la marche d’un peuple dépossédé à celle d’ouvriers devant une usine en faillite relève d’une trivialisation glaçante. Car ici, il ne s’agit pas de salaires, mais de cadavres. Pas d’acquis sociaux, mais d’enfants à la peau fondue par le phosphore blanc. Et lorsque l’auteur évoque la façon dont le corps du Palestinien est brandi comme “crime contre l’humanité”, il omet que ce corps n’est pas un symbole – il est le symptôme. Le symptôme d’une humanité qui accepte que certains meurent avec fracas pendant que d’autres vivent en silence.
Daoud regrette que le Palestinien ne soit pas visible autrement que mort. Mais n’est-ce pas justement parce que la parole de ce Palestinien vivant est constamment refusée, délégitimée, soupçonnée ? Parce que son “non” au Hamas, lorsqu’il existe, est noyé dans un “non” plus vaste encore à l’occupation, à l’apartheid, au déplacement de population et à l’effacement méthodique d’un peuple.
L’Algérie n’a pas le droit moral de se taire quand Gaza brûle. Notre histoire est faite de maquis, de rafles, de déni de notre identité. Nous savons, mieux que quiconque, ce qu’implique vivre sous un pouvoir qui nie jusqu’à notre existence. Comparer le Hamas à l’oppression israélienne, ou croire que le peuple palestinien est prisonnier d’une cause qu’il ne comprend pas, c’est faire preuve d’une condescendance que n’aurait pas tolérée un seul de nos martyrs.
Daoud voudrait que le Palestinien s’explique, s’excuse, se justifie. Pourquoi manifeste-t-il ? Pourquoi ne choisit-il pas le silence ? Mais qui, parmi nous, aurait accepté d’entendre cela pendant notre lutte ? Qui aurait osé demander à Didouche, à Larbi Ben M’hidi, s’ils ne pouvaient pas protester avec moins de bruit ?
Dans sa prose, raffinée mais désincarnée, l’auteur semble regretter que le Palestinien ne se laisse pas définir par d’autres. Or c’est là l’essence même de la dignité : exister au-delà des récits que les autres voudraient écrire à notre place.
Non, monsieur Daoud. Le Palestinien ne vient pas nous déranger. Il vient nous rappeler. Nous rappeler que l’indépendance ne fut pas une fin, mais un point de départ. Qu’elle oblige. Qu’elle engage. Et que se dire libre dans un monde où l’on tolère l’injustice, c’est se condamner à l’hypocrisie.
Il n’y a pas de juste milieu entre l’occupant et l’occupé, entre la bombe et le berceau, entre l’écrivain et le souffle coupé d’un enfant. L’Algérie authentique, celle de Novembre, ne serait pas indifférente. Elle se tiendrait debout. Elle tendrait la main. Elle ne dirait pas “vous nous dérangez”, mais : “vous nous ressemblez”.