« Il y a des lieux qui n’expliquent pas le monde : ils le commencent. »
— Anonyme algérien, transmis de bouche en bouche
Il faut parfois abandonner les vieux débats pour ouvrir une fenêtre plus vaste.
Les discussions passionnées sur l’origine des Algériens — venus d’Orient, du Yémen ou d’ailleurs — trahissent une obsession de filiation qui oublie l’essentiel : l’Algérie n’a pas besoin d’avoir « reçu » la civilisation pour exister.
Elle l’a, en grande partie, engendrée.
C’est cela, être une terre originelle.
Pas être la première, pas être la plus ancienne, mais être un foyer d’émergence, une source vivante, où des formes de culture, de pensée et de vie sont nées, non pas empruntées.
Une géographie qui fait naître les mondes
L’Algérie n’est pas à la marge de l’histoire. Elle est au cœur des circulations.
Sa géographie ne la réduit pas à une frontière, mais en fait une matrice fertile : montagnes protectrices, steppes nourricières, désert-monde, façade méditerranéenne.
Tout cela a permis l’émergence simultanée de formes nomades et sédentaires, de langages et de croyances. C’est une géographie qui produit du monde, et non un décor pour les histoires des autres.
Des peuples qui ne viennent pas d’ailleurs
Contrairement aux mythes de migrations orientales ou caucasiennes, les premières sociétés nord-africaines ne sont pas venues s’installer ici — elles ont poussé ici.
Les Capsiens, les Ibéromaurusiens, les Garamantes… ont laissé des traces qui témoignent d’une vie dense, élaborée, bien avant tout contact extérieur.
La langue berbère n’est pas un dialecte d’importation : c’est une création linguistique née du sol, façonnée par les rythmes et les reliefs du pays.
📜 Tighenif : l’un des berceaux de l’humanité ?
C’est en 1954, près de Mascara, qu’ont été découverts les restes de l’Homme de Tighenif, datés de 700 000 à 600 000 ans.
Attribué à Homo erectus ou à une forme archaïque d’Homo sapiens africain, ce fossile est le plus ancien jamais retrouvé en Afrique du Nord.Les Ibéromaurusiens, ancêtres présumés des Capsiens, ont occupé la région de l’actuelle Algérie bien avant l’arrivée des Phéniciens, formant des communautés humaines locales et structurées.
Les fresques du Tassili n’Ajjer, vieilles de 6 000 à 10 000 ans, représentent des scènes de chasse, de rites et de vie communautaire qui témoignent d’une complexité sociale et spirituelle locale, indépendante de toute influence méditerranéenne ou orientale.
Avant toute écriture, avant toute langue, avant même toute idée de “peuple”, il y avait là un être humain. Il ne venait pas de quelque part : il était déjà là.
Cette découverte place l’Algérie non pas à la périphérie, mais au cœur de l’histoire humaine.
Une fécondité culturelle propre
Quand on regarde l’art rupestre du Tassili, on ne peut que s’incliner.
Nulle influence grecque, phénicienne ou arabe. Des scènes de chasse, de danse, de spiritualité, venues du fond de l’humain.
Les formes sociales comme la jemaâ, les rites agraires, les coutumes funéraires ou les cosmologies locales ne sont pas des copies — elles sont des inventions collectives nées sur place.
L’Algérie n’a pas attendu les empires pour penser, créer, transmettre. Elle a toujours produit sa propre version du monde.
Une permanence matricielle malgré les vagues
Oui, l’Algérie a été conquise, colonisée, traversée.
Mais rien n’a jamais entièrement effacé son fondement.
Les peuples ont changé de langue, parfois de religion, de vêtement — mais pas de mémoire profonde.
On retrouve cette permanence dans les proverbes, les gestes, les mélodies kabyles ou chaouies, dans la résistance des formes rurales, dans la façon même de regarder le monde.
Une terre originelle, ce n’est pas une terre figée : c’est une terre qui absorbe, digère, et continue de transmettre ce qu’elle est.
Être originelle, c’est engendrer encore
L’origine, ce n’est pas un mythe à figer dans le marbre.
C’est une capacité à engendrer du neuf, à créer du lien, à rappeler à l’humain qu’il vient de quelque part.
L’Algérie n’est pas l’origine d’un seul peuple.
Elle est un début possible pour plusieurs.
Une source ancienne… qui n’a jamais cessé de couler.
Hope&ChaDia ✍️