Lors de son entretien accordé à Al24 News, le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Raphaël Mariano Grossi, a longuement évoqué la coopération entre l’Algérie et l’agence, saluant un partenariat historique remontant aux années 1960 et plaçant désormais l’Algérie comme « centre-ancre » du nucléaire civil en Afrique.
Lorsqu’il s’est agi d’évoquer les séquelles des essais nucléaires français au Sahara algérien, le ton de Raphaël Grossi semble changer, de la perspective affirmative et chaleureuse de coopération et de formation, vers un registre plus administratif. Interrogé sur la possibilité d’une contribution de l’AIEA à la réhabilitation des zones contaminées, il répond avec une prudence étudiée :
« L’agence donne service à ses États membres. S’il y a une demande, nous avons par le passé mené des activités d’évaluation et nous pourrions revenir s’il y a un projet concret. »
Une formule mesurée, calibrée, où chaque mot paraît choisi pour ne froisser personne. Grossi déplace la question du terrain moral vers celui de la procédure : il ne parle ni de mémoire, ni de responsabilité, mais de mandat et de projet concret. Même le recours au passé — « nous avons par le passé mené des activités » — introduit une distance, comme pour refermer la page. Et le conditionnel achève de verrouiller la porte : « il pourrait être le cas… »
Ainsi, au moment où le sujet effleure la plaie de Reggane et d’In Ekker, le diplomate cède la place au fonctionnaire, rappelant que l’AIEA agit sur demande… et seulement sur demande !
Mr Grossi s’est montré, ces derniers mois, particulièrement actif sur d’autres théâtres nucléaires:
– En Ukraine, il a effectué sa douzième visite à la centrale de Zaporijjia en juin 2025, surveillant de près les risques de catastrophe au cœur d’un conflit armé.
– En Iran, il a multiplié les rencontres avec les autorités pour sauver le dialogue sur le nucléaire civil et la vérification internationale.
– Au Japon, il s’est rendu à plusieurs reprises à Fukushima, accompagnant la gestion du rejet des eaux traitées.
– Et récemment, à Washington et à Vienne, il a pris la parole sur la place du nucléaire dans le futur énergétique mondial.
Cette omniprésence s’inscrit dans le style d’un directeur général au profil controversé : salué pour sa diplomatie de terrain et sa présence sur les zones sensibles, mais critiqué pour sa proximité particuliere avec certaines puissances occidentales et pour une communication jugée parfois trop politique pour la neutralité attendue de l’AIEA. Une figure à la fois respectée et contestée, capable d’incarner la rigueur technique autant que la diplomatie d’influence.
Cette hyper-activité contraste avec la réserve affichée à Alger, où le sujet du Sahara semble encore traité avec des gants diplomatiques, malgré la mémoire des victimes et les appels récurrents d’associations et d’experts algériens pour une coopération internationale réelle en matière de dépollution et de suivi sanitaire. C’est pourtant dans ce type de dossier, où la douleur rencontre la science, que la coopération technique et l’expertise humaniste de l’AIEA pourraient le mieux prouver la noblesse de ses missions : celle d’un organisme scientifique voué à réparer, protéger et transmettre .
Une prudence calculée
Certains y verront une façon de rappeler que l’AIEA agit uniquement dans les cadres où elle le décide, et non sur invitation morale. D’autres, plus indulgents, y liront une neutralité institutionnelle, Grossi préférant ne pas heurter Paris sur un dossier hautement politique.
Dans les faits, ce silence s’inscrit dans la diplomatie typique de Grossi : très visible dans les crises du présent, très discret dans les plaies du passé.
Pour l’Algérie, un levier malgré tout
Malgré cette réserve, la visite reste significative : l’AIEA a reconnu l’expertise algérienne en médecine nucléaire, en hydrologie isotopique et en formation. Alger devient ainsi un pôle africain du nucléaire civil, un contre-modèle à l’usage militaire ou conflictuel du nucléaire.
Et c’est peut-être là, justement, la réponse la plus subtile à l’histoire : faire du nucléaire algérien non pas une cicatrice, mais une compétence.
— Hope&ChaDia