Hope&Chadia
L’histoire récente de l’Algérie est marquée par un paradoxe silencieux : entre 1970 et 1989, et entre 2000 et 2019, l’État a perçu des niveaux de richesse par habitant globalement comparables. Pourtant, une période a mené à la faillite, à la colère, puis à la decennie noire. L’autre a permis la stabilité, la construction massive et une croissance visible du développement humain. Une des clés de ce basculement ? Une réforme trop souvent sous-estimée : la création de l’Agence nationale pour la valorisation des ressources en hydrocarbures, ALNAFT.
La comparaison entre ces deux périodes est d’autant plus légitime qu’elle s’appuie sur des fondations solides : elles sont de durée égale, s’inscrivent dans des dynamiques historiques cohérentes, et les cours du pétrole — ajustés à l’inflation — suivent une courbe comparable en moyenne. Ce n’est pas un parallèle opportuniste : c’est une base d’analyse sérieuse.
Même richesse, deux trajectoires
En effet, ajustées à l’inflation, les recettes hydrocarbures par habitant entre 1970 et 1989 sont comparables à celles enregistrées entre 2000 et 2020. Pourtant, les résultats ont été radicalement différents.
Dans la première période, l’Algérie a investi massivement dans des projets industriels lourds, souvent mal conçus ou inachevés, sans retombées visibles pour la population. La crise pétrolière de 1986 a entraîné une spirale de surendettement, d’austérité imposée, d’explosion sociale en 1988, puis d’effondrement politique.
Et ce constat est d’autant plus troublant que l’Algérie, dans les années 1970, disposait d’un capital politique et social exceptionnel. La population, sortie d’une guerre de libération victorieuse, était profondément alignée avec le pouvoir. Portée par la légitimité révolutionnaire, animée par l’élan collectif de la reconstruction nationale, elle était prête à faire des sacrifices, à patienter, à faire confiance. En théorie, tout était réuni pour réussir. Et pourtant, l’échec est venu de l’intérieur même du système.
Dans la seconde période, l’Algérie sortait fragilisée de la plus grave crise de son histoire : une guerre civile, une économie à genoux, et un lien de confiance presque entièrement rompu entre gouvernants et gouvernés.
Et pourtant, c’est dans ce contexte de désillusion et d’urgence que l’État a lancé l’un des plus vastes efforts de reconstruction sociale du pays : des millions de logements ont été construits, les réseaux de transport étendus, les infrastructures sanitaires et éducatives modernisées.
Le peuple n’a pas seulement entendu parler de la rente : il l’a vue, il l’a utilisée, il l’a habitée.
Eh Oui, la performance économique des années 2000–2020 n’est pas due à une “bahbouha maliya”.
Contrairement à ce que la majorite des Algerien pensent et croient les prix du pétrole de la periode 2000 a 2019 — ajustés à l’inflation — ont été en moyenne comparables à ceux de la période 1970–1989. comme le montre le graphique ci-dessous :
Pour visualiser le propos, tracez une ligne verticale à l’année 1995 et observez l’effet miroir : les prix avant et après cette date sont d’une grande similarité. L’argument de la “bahbouha maliya” repose sur les prix nominaux, qui ne peuvent en aucun cas être comparés de manière rigoureuse.
Ce graphique, en dollars constants, démontre clairement que cette hypothèse ne tient pas.
Et surtout, les exportations d’hydrocarbures par habitant, en dollars constants de 2015, ont été légèrement plus faibles dans la seconde période :
Période | Population moyenne | Exportations moyennes annuelles (USD constants 2015) | Exportations par habitant (USD constants 2015) |
---|---|---|---|
1970–1989 | 18,672,642 | 23 023 057 225 | 1 232,98 |
2000–2019 | 36,336,741 | 42 497 508 482 | 1 169,55 |
Pourtant, c’est dans la seconde période que l’Algérie a massivement construit, stabilisé, et amélioré son développement humain. L’Indice de Développement Humain (IDH) est passé de 0,65 à 0,73 (+12 %), dans une zone où chaque progrès est plus difficile à obtenir.
Mesuré relativement à la marge de progression restante, Mathématiquement, il a fallu environ 17 % d’effort en plus pour progresser en IDH entre 2000 et 2020 qu’entre 1970 et 1990, à revenu par habitant comparable.
Cette difficulté accrue reflète la nature exigeante des réformes nécessaires dans les zones avancées de développement humain, où chaque dixième gagné requiert une gouvernance plus rigoureuse, des politiques mieux ciblées et une stabilité institutionnelle plus forte.
La conclusion est claire : ce n’est pas la quantité de richesse qui a changé, mais la manière dont elle a été gouvernée, canalisée et restituée à la société.
Ce changement de trajectoire ne peut s’expliquer que par une transformation profonde du pilotage étatique de la rente.
C’est précisément dans ce cadre qu’intervient une réforme structurelle souvent négligée dans les analyses classiques : la création de l’Agence nationale pour la valorisation des ressources en hydrocarbures, ALNAFT.
ALNAFT : la fin d’une confusion de roles et d’intérêts
Jusqu’au début des années 2000, Sonatrach cumulait des fonctions régaliennes et commerciales : elle produisait, négociait, attribuait, encaissait. Elle était à la fois juge et partie. Cela concentrait le pouvoir décisionnel dans un cercle restreint, souvent fermé, sans véritable séparation des rôles ni circuits de contrôle externes.
La création d’ALNAFT en 2005 a mis fin à cette confusion. L’État a repris le pilotage stratégique des ressources en hydrocarbures :
L’attribution des titres miniers est désormais assurée par une autorité indépendante.
Les termes des contrats, y compris leur fiscalité, sont définis en dehors de l’opérateur commercial.
Les recettes sont versées directement au Trésor public, hors du système bancaire interne à Sonatrach.
Cette réforme a produit une gouvernance plus moderne, alignée sur les standards d’un État organisé, dans lequel les fonctions de régulation, de production, de fiscalité et de dépense sont séparées.
Une gestion budgétaire plus souveraine
Cette nouvelle architecture a permis une chose essentielle : la réintégration de la rente dans le champ de la souveraineté budgétaire.
Dès lors que l’argent des hydrocarbures ne transite plus directement par l’entreprise nationale, mais entre au Trésor, il devient une ressource publique soumise au contrôle des institutions de la République.
Chaque année, son usage doit être défini, encadré, voté à travers une loi de finances débattue au Parlement. Cette loi, bien qu’imparfaite, est aujourd’hui le socle juridique qui encadre la dépense, assure un minimum de transparence, et restitue au peuple, par ses représentants, un pouvoir indirect sur la rente.
Ce changement, silencieux mais fondamental, marque une inflexion vers une gestion plus souverainiste, moins technocratique, et surtout moins exposée aux décisions unilatérales d’un cercle fermé.
Le Fonds de régulation : un filet de sécurité économique
En parallèle, l’État a mis en place le Fonds de régulation des recettes (FRR) dès 2000.
Inspiré de certains fonds souverains, son rôle est d’absorber les excédents en période de boom pétrolier pour amortir les chocs en cas de baisse.
Même si ce fonds n’a pas toujours été suffisamment abondé ou utilisé stratégiquement, sa simple existence traduit une maturité budgétaire nouvelle. Il marque la volonté d’agir en prévoyant, plutôt qu’en réagissant.
Une capacité nouvelle à encaisser les chocs
La résilience de l’Algérie après 2000 ne s’explique donc pas par une explosion des ressources.
Elle s’explique par une transformation de la manière dont ces ressources ont été canalisées, contrôlées, redéployées.
Là où l’ancienne gouvernance exposait le pays à un effondrement brutal au moindre choc externe, la nouvelle structure — même imparfaite — a permis une forme de souplesse institutionnelle.
Le logement est devenu possible, la dette a été remboursée, les projets ont été livrés, et le pays a évité la rupture.
Le lien entre réformes et résilience est ici central.
Sans les mécanismes mis en place dans les années 2000 — notamment la création d’ALNAFT, la recentralisation des recettes dans le Trésor, et l’encadrement budgétaire par la loi de finances — la chute brutale des prix du pétrole après 2014 aurait pu produire les mêmes effets dévastateurs qu’en 1986 : surendettement, austérité imposée, explosion sociale.
Mais cette fois, l’Algérie a tenu. Parce que la rente n’était plus livrée à une gestion opaque, mais intégrée dans un cadre plus rationnel et plus souverain.
C’est cela, la résilience : non pas l’absence de choc, mais la capacité de l’absorber sans rompre.
Une leçon discrète mais fondatrice
Dire que l’Algérie a connu une transformation silencieuse n’est pas une figure de style.
C’est constater que, sans bruit, des mécanismes ont été mis en place pour reconnecter la richesse nationale à la souveraineté populaire.
ALNAFT, le FRR, la loi de finances, la gestion centralisée des recettes : ces instruments n’ont pas mis fin à tous les dysfonctionnements.
Mais ils ont permis de sortir du chaos structurel des années 80 pour entrer dans une gouvernance plus stable, plus lisible, plus tenable.
Et cela, dans un monde qui vacille, mérite d’être dit.