Pendant des décennies, l’économie algérienne a fonctionné — et continue de fonctionner — sur un socle de cash, de transactions informelles et de méfiance vis-à-vis des circuits bancaires. Mais le monde change, et la numérisation des paiements n’est plus seulement un luxe technologique : c’est une condition de modernité, de transparence et d’efficacité. Pourtant, malgré les efforts de l’État, les billets continuent de circuler… parfois plus que les idées.
Les économistes appellent cela une résistance comportementale. Ce n’est pas le manque d’infrastructure qui bloque, mais une habitude profondément ancrée : la sensation que le cash est plus sûr, plus discret, plus « réel ». Les entreprises, elles, y trouvent une certaine souplesse fiscale — autrement dit, une zone grise échappant au radar du fisc. À l’inverse, les salariés, déjà imposés à la source, n’ont aucune raison économique objective d’éviter les paiements électroniques. Leur défi est plutôt culturel : la confiance.
Pour transformer cette inertie en mouvement, il faut s’inspirer de ce que les politiques publiques ont réussi ailleurs avec de simples gestes.
Prenons l’exemple du sac plastique en Europe, facturé à 10 centimes : une mesure minuscule, mais un effet colossal. Le prix n’avait pas besoin d’être dissuasif ; il suffisait qu’il soit visible. Ce petit signal a changé les comportements bien plus efficacement que les discours moralisateurs sur l’écologie. C’est le pouvoir de la friction psychologique : un détail qui force à réfléchir avant d’agir.
Appliquons cette logique au paiement électronique. Un rabais de 5 à 10 % pour tout achat réglé par carte ou application n’appauvrirait pas l’État — il enrichirait la société. D’abord parce qu’il rendrait visible le bénéfice individuel : la satisfaction d’être « malin » économiquement. Ensuite, parce qu’il créerait un cercle vertueux : plus de paiements numériques, c’est plus de traçabilité, moins de fraude, et donc une meilleure redistribution des recettes fiscales.
Mais pour que cela fonctionne, le gouvernement doit s’adresser à deux publics très différents.
Pour les consommateurs, il faut parler le langage du confort et de la reconnaissance :
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récompenses symboliques ou financières (cashback, points de fidélité, loteries mensuelles) ;
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simplification absolue des paiements publics (factures, transport, démarches administratives) ;
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campagnes nationales valorisant les utilisateurs du numérique comme des citoyens modernes et responsables.
Pour les entreprises, le discours doit être plus pragmatique :
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offrir des crédits d’impôt temporaires aux commerçants qui adoptent le paiement électronique ;
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instaurer une période de transition sans pénalités pour permettre une régularisation progressive ;
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subventionner les terminaux de paiement pour les petites structures ;
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garantir la protection des données commerciales afin de dissiper la peur du « contrôle permanent ».
Enfin, au niveau institutionnel, il faut une vision cohérente :
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imposer le paiement électronique dans toutes les transactions entre l’État et les entreprises ;
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interconnecter banques, opérateurs télécoms et fintechs locales pour créer un écosystème fluide ;
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bâtir une législation claire sur la confidentialité des données financières, sans zones d’ombre.
À mes yeux, la clé n’est pas dans la contrainte, mais dans la confiance. L’Algérien adopte vite ce qui lui simplifie la vie — à condition qu’il sente que l’intention est honnête et que le système ne le trahit pas. Le plus court chemin du cash à l’e-payment n’est pas une ligne droite : c’est un itinéraire psychologique, fait de petits signaux, d’incitations visibles et de gestes concrets.
Quand l’État saura transformer le « devoir de transparence » en plaisir d’efficacité, le reste suivra naturellement.
— Hope&ChaDia