L’Algérie s’apprête à vivre une véritable révolution agricole — une transformation profonde, fondée sur la science, la technologie et la volonté nationale — qui ambitionne de faire de la terre algérienne un moteur économique durable, capable de nourrir ses 65 millions d’habitants et d’exporter vers le reste du continent.
Le ton a été donné depuis le Palais des Conférences Abdelatif Rahal, lors du Congrès national pour la modernisation de l’agriculture, placé sous la supervision du ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Yacine Wahdi Mahdi Walid. Ce dernier a présenté une feuille de route claire jusqu’en 2060, structurée autour de trois piliers : la science, la numérisation et la gouvernance efficace.
L’objectif prioritaire : atteindre un rendement de 35 à 40 quintaux par hectare dans la production céréalière d’ici cinq ans. Un objectif ambitieux mais réaliste, selon le ministre, grâce à la généralisation des semences améliorées à haut rendement, l’adoption de l’agriculture de précision, l’intégration de l’intelligence artificielle et l’optimisation scientifique de la fertilité des sols.
Ce n’est plus un rêve, mais un plan d’action concret, mesurable et soutenu par un appareil scientifique national mobilisé.
Une révolution hydrique parallèle
Le ministre a rappelé une réalité frappante : l’Algérie reçoit en moyenne 100 milliards de mètres cubes de pluie par an, mais n’en exploite que 7 %. Ce constat a conduit à une stratégie de gestion intégrée de l’eau : développer l’irrigation goutte-à-goutte, créer des barrages et retenues collinaires, et mettre en place des systèmes intelligents de collecte et de réutilisation des eaux pluviales.
Cette révolution de l’eau s’inscrit dans la même logique que la révolution agricole : une mobilisation du savoir scientifique et de la technologie pour transformer les contraintes naturelles en opportunités économiques.
La digitalisation au cœur du modèle
L’un des points centraux du congrès a été le lancement d’un Système d’Information Agricole National Unifié, véritable socle numérique de la nouvelle politique agricole. Ce système permettra d’obtenir en temps réel des données précises sur les superficies cultivées, les rendements, les itinéraires de production, et la destination des aides publiques.
L’objectif est clair : en finir avec les estimations approximatives, rationaliser le soutien public, et s’assurer que chaque dinar investi ait un impact concret sur la productivité et la sécurité alimentaire.
« La numérisation n’est pas un slogan mais une nécessité », a insisté le ministre. Ce système s’accompagnera d’un projet de réévaluation des politiques publiques agricoles — une étude de l’efficacité de l’ensemble des dispositifs de soutien mis en place depuis plus de quarante ans, afin de redéfinir les priorités à la lumière des transformations économiques et démographiques du pays.
Un Conseil scientifique pour l’autonomie alimentaire
Le congrès a également marqué la création du Conseil scientifique national de la sécurité alimentaire, installé officiellement par le ministre. Cette instance consultative rassemblera des experts, chercheurs, universitaires, représentants d’agriculteurs et entrepreneurs du numérique.
Sa mission : accompagner les décisions stratégiques de l’État par une expertise scientifique continue, assurer la cohérence entre innovation et terrain, et garantir que les politiques agricoles répondent réellement aux besoins des citoyens et des marchés.
Son président, Amar Aziouni, a rappelé que ce conseil travaillera main dans la main avec le ministère et les acteurs économiques pour établir une « carte nationale des priorités agricoles » et une « feuille de route technologique » d’ici la fin de l’année. Les premières recommandations devraient être remises dès novembre, à l’issue d’une série d’ateliers spécialisés réunissant experts nationaux et internationaux.
Le Sud, nouveau cœur agricole de l’Algérie
La stratégie 2060 repose aussi sur une extension géographique majeure : plus d’un million d’hectares seront mis en valeur dans le sud algérien, grâce à des études conjointes menées entre le ministère de l’Agriculture et celui des Ressources en eau.
À ce jour, près de 300 000 hectares ont déjà été attribués à de grands projets agricoles, impliquant à la fois des investisseurs algériens et étrangers. Le potentiel hydrique y est exceptionnel : le bassin géologique du Continental Intercalaire (ou système aquifère albien-nubien) contiendrait environ 60 000 milliards de mètres cubes d’eau — le plus grand réservoir souterrain d’eau douce au monde.
Les résultats des premières exploitations sont prometteurs : les rendements atteignent jusqu’à 50 quintaux par hectare dans certaines zones, confirmant la viabilité économique de la culture céréalière saharienne. Ces projets couvrent aussi l’élevage bovin, la production laitière, les cultures oléagineuses et les semences locales, afin de bâtir un écosystème productif intégré.
L’agriculture intelligente : drones, satellites et start-ups nationales
La modernisation du secteur passe par une surveillance en continu des terres agricoles : 8,5 millions d’hectares seront désormais suivis grâce aux satellites et drones, en partenariat avec l’Agence spatiale algérienne. Ces outils permettront une détection rapide des anomalies, une meilleure prévision des récoltes et une optimisation des interventions.
Les start-ups algériennes, souvent issues d’universités, jouent un rôle central dans ce chantier. Elles développent des technologies pour l’irrigation intelligente, la gestion des sols, la modélisation des rendements et la réduction des pertes post-récolte — un défi mondial majeur, rappelé par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
L’agriculture algérienne entre ainsi dans l’ère de la donnée et du calcul scientifique : chaque graine, chaque goutte d’eau, chaque hectare devient une source d’information exploitable pour mieux produire.
Une nouvelle gouvernance pour une nouvelle ambition
Les décisions ne seront plus prises derrière les bureaux, mais au contact des réalités du terrain. Le ministre a insisté sur la nécessité d’un dialogue permanent avec les agriculteurs, les chambres d’agriculture et les syndicats professionnels.
Le partenariat institutionnel entre le ministère, l’Union nationale des paysans algériens et la Chambre nationale d’agriculture est désormais officialisé comme pilier du dialogue social agricole. Cette synergie vise à garantir que les politiques publiques soient à la fois techniquement solides et socialement applicables.
Une révolution pour la nation
L’Algérie engage ainsi une révolution agricole numérique, non pas symbolique mais structurelle. Elle associe le savoir scientifique, l’innovation technologique et la souveraineté décisionnelle pour rétablir un lien organique entre la terre et la nation.
Pour 65 millions d’Algériens, ce projet dépasse la question du pain quotidien : il représente une affirmation de dignité nationale. Produire ce que l’on mange, gérer ses ressources avec intelligence, et bâtir une économie fondée sur la connaissance plutôt que sur la rente — voilà l’horizon tracé par cette nouvelle Algérie agricole.
L’avenir de l’Algérie se cultive désormais dans ses champs,
et la technologie devient son nouvel outil de libération économique.
Hope&ChaDia