par Hope&ChaDia
L’histoire biblique de Samson est connue pour sa fin tragique : trahi, enchaîné, aveuglé, il retrouve une dernière force pour faire s’effondrer les colonnes du temple sur ses ennemis… et sur lui-même. Une mort spectaculaire, vengeresse, dans laquelle l’homme choisit de se sacrifier pour emporter l’oppresseur dans sa chute. C’est cette image qu’a retenue l’idéologie sécuritaire israélienne pour forger ce que les experts appellent depuis des décennies la « Samson Option » : l’idée qu’en cas de menace existentielle, Israël pourrait faire usage de ses armes nucléaires dans un geste apocalyptique.
Mais récemment, une formule ironique et percutante, détournant le sens de l’histoire biblique, est apparue dans une interview de Larry Johnson, ancien analyste de la CIA. En commentant les frappes iraniennes sur Israël, il rapporte une expression inventée par l’un de ses lecteurs : la « Samsonite Option ». Contrairement au récit biblique où l’opprimé se sacrifie pour faire tomber l’oppresseur, ici c’est l’arrogance de l’oppresseur qui vacille sous l’effet d’une riposte méthodique. Loin de toute brutalité aveugle, l’Iran frappe intelligemment, avec stratégie, jusqu’à rendre la vie en Israël insoutenable — au point que les habitants prennent leurs valises et fuient par eux-mêmes. Non plus mourir avec l’adversaire, mais l’obliger à quitter le champ sans l’avoir détruit.
Cette image, frappante de subtilité, résonne immédiatement dans l’histoire algérienne. En 1962, à la veille de l’indépendance, une formule circule avec insistance parmi les Européens d’Algérie : « La valise ou le cercueil ». Ce n’était pas une politique officielle, mais le reflet d’un basculement irréversible. La terre avait changé de sens. L’Algérie indépendante n’était plus une colonie blanche, et ceux qui s’y accrochaient au passé devaient choisir : partir ou s’exposer au chaos d’une rupture sans retour.
L’écho est profond. La stratégie iranienne face à Israël semble s’inscrire dans cette logique silencieuse de dissuasion par l’épuisement. Les frappes menées par Téhéran n’ont pas visé les civils, mais les ports, les raffineries, les aéroports, les bases militaires, les centres de recherche, les sièges des services secrets. Résultat : Israël s’est retrouvé désarmé, censurant la presse pour masquer l’ampleur des dégâts, tandis que la population, inquiète et désorientée, a commencé à quitter le pays.
Ce n’est pas le bruit des bombes qui l’a fait plier, mais l’écho froid d’un avenir devenu invivable.
Et face à cela, l’Iran n’a pas exulté. Il n’a pas fanfaronné. Il n’a pas cherché la vengeance. Il a proposé un arrêt des hostilités, avec une simplicité presque désarmante : « Si vous cessez de nous frapper, nous cesserons aussi ». Cette humilité stratégique, cette dignité sous pression, tranche radicalement avec la brutalité aveugle que l’on a vue à Gaza ou ailleurs. Le monde entier a perçu la différence.
À mes yeux, c’est là que réside la véritable leçon iranienne : montrer qu’on peut être redoutable sans être barbare, puissant sans être dominateur, ferme sans être arrogant. Que l’on peut, même au cœur du fracas, incarner la retenue, la clarté des objectifs, le refus de l’humiliation gratuite.
Cette guerre asymétrique a renversé les récits. L’armée jugée « invincible » a été mise à nu. Le bouclier vanté comme « impénétrable » a été percé. Et le peuple qu’on présentait comme « isolé » a gagné en sympathie mondiale, sans même avoir besoin d’une offensive. Juste par sa résistance calme, sa maîtrise du récit, et sa stratégie de fatigue.
En 1962, ceux qui ne pouvaient plus imaginer vivre dans une Algérie décolonisée sont partis.
En 2025, peut-être verra-t-on ceux qui ne peuvent plus imaginer vivre dans une terre volée prendre leur Samsonite.
Car entre la force de l’explosion et la pression silencieuse de la résilience, ce n’est pas toujours la première qui gagne.
Et parfois, la valise devient plus redoutable que le cercueil.