Dans les étendues arides du Sahara algérien, un trésor longtemps discret est en train de conquérir les palais raffinés du Golfe persique : le terfess, cette truffe du désert à l’allure modeste, devenue aujourd’hui un symbole éclatant de la diversification économique de l’Algérie.
Jadis simple produit de cueillette, le terfess s’impose désormais comme une véritable culture industrielle. Ses prix grimpent en flèche : jusqu’à 25 000 dinars le kilogramme pour les spécimens blancs les plus prisés. Au Qatar, dans des halls d’exposition dignes de ventes aux enchères de grands crus, les truffes algériennes sont manipulées avec une extrême précaution tandis que des acheteurs saoudiens n’hésitent pas à débourser 1200 riyals (264 €) pour un kilogramme.
Je trouve fascinant que derrière cette frénésie commerciale se cache une tradition millénaire : dans le Golfe, la saison de la chasse aux truffes bat son plein de janvier à mars. Certains propriétaires terriens organisent même des séjours spécialisés dans le désert pour permettre aux amateurs de participer à cette quête du champignon précieux.
Le secret ? Une plante endémique du désert, le réig, dont les racines tissent une symbiose parfaite avec le réseau souterrain des truffes. Ensemble, elles créent un microcosme propice à la croissance de ces joyaux culinaires.
Science : le savoir ancestral des truffes du désert en Algérie
Une étude ethnomycologique de référence, publiée par Bradai et al. (2014) dans le Journal of Ethnopharmacology, met en lumière la richesse des connaissances traditionnelles autour des truffes du désert parmi les populations sahariennes d’Algérie.
Menée auprès de 60 chasseurs de truffes des régions de Ghardaïa et d’Ouargla, l’enquête révèle que trois espèces sont principalement récoltées :
Terfezia claveryi, la plus prisée, Terfezia arenaria, de préférence modérée et la Tirmania nivea, la moins coûteuse.
Les chasseurs s’appuient sur la présence de plantes symbiotiques (Helianthemum lippii) pour localiser les truffes, dont la fructification dépend étroitement des précipitations automnales et hivernales. Si la majorité des cueilleurs récoltent pour leur propre consommation — notamment en les préparant avec du couscous ou en bouillie — près de 27 % en vendent le surplus. Toutefois, seuls 15 % en tirent un revenu significatif, preuve que jusqu’à récemment, la truffe relevait d’une économie complémentaire et non d’un produit de luxe.
Au-delà de son intérêt culinaire, le terfess est également utilisé en médecine traditionnelle : Pour traiter les infections oculaires (22 % des usages recensés), renforcer la vitalité (19 %), et promouvoir la fertilité masculine (19 %).
Les savoirs liés à la récolte et à l’utilisation de ces truffes sont transmis oralement, de génération en génération, constituant un patrimoine culturel vivant au cœur du Sahara.
Source : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0378874114009350
En Algérie, cette découverte a déclenché une petite révolution agricole. Des investisseurs audacieux comme Jelou Shaïich n’hésitent plus à irriguer le désert avec des pivots pour stimuler la culture du terfess. Le pari était osé — au départ, personne n’y croyait. Aujourd’hui, les récoltes de truffes de la taille d’une orange se vendent entre 15 000 et 25 000 dinars le kilo.
Mais cette success story a aussi son revers. À Ghardaïa, en mars 2024, le kilogramme de truffes s’affichait sept fois plus cher que la viande rouge ! Beaucoup de consommateurs locaux n’ont plus les moyens de s’offrir ce qui était autrefois un mets populaire et accessible.
Ce paradoxe illustre les défis de la diversification économique que l’Algérie tente de mener hors hydrocarbures. D’un côté, le terfess génère des devises et valorise des territoires sahariens longtemps marginalisés. De l’autre, il alimente une inflation qui éloigne peu à peu les habitants de leur propre patrimoine culinaire.
Aujourd’hui, des producteurs comme Abou Bakre Bouchantouff, à Aïn Sefra, exportent plusieurs dizaines de quintaux de truffes vers le Golfe, où le kilogramme se négocie à plus de 200 dollars. Même les techniques de récolte se sont professionnalisées : il ne s’agit plus de tout arracher, mais de préserver l’écosystème pour permettre de futures repousses.
La dimension culturelle du terfess reste pourtant bien vivante. Dans le sud algérien, on le prépare encore en tajine, en omelette ou simplement bouilli avec du beurre local. En 2022, un plat à base de truffes a même remporté le premier MasterChef Algérie, preuve que tradition et modernité peuvent cohabiter.
L’Europe n’est pas en reste. En France, la communauté maghrébine est prête à payer jusqu’à 240 € le kilogramme de truffes sahariennes, qui rivalisent désormais avec les célèbres truffes du Périgord. Et tout comme en Périgord où l’on utilise chiens et sangliers, en Algérie, certains affûtent l’œil… en observant le vol des mouches, qui trahissent la présence de truffes enfouies.
Reste une question essentielle : comment concilier cette nouvelle manne économique avec le maintien de l’accessibilité culturelle et sociale du produit ? Car derrière l’image d’un Sahara devenu mine d’or blanche, se dessine aussi un fossé entre exportateurs enrichis et consommateurs locaux frustrés.
L’avenir du terfess algérien se jouera sans doute dans cet équilibre délicat : faire rayonner les saveurs sahariennes sur les marchés internationaux tout en préservant leur ancrage dans la culture populaire algérienne.
Hope&ChaDia