En ce mercredi 4 d\u00e9cembre 2024, l\u2019entretien avec M. Abdelaziz Medjahed, Directeur g\u00e9n\u00e9ral de l\u2019Institut national d\u2019\u00e9tudes de strat\u00e9gie globales (INESG), sur Alger Cha\u00eene III, a marqu\u00e9 la comm\u00e9moration du massacre de Laghouat en 1852. Cet \u00e9pisode tragique, symbole de la violence coloniale, illustre les m\u00e9thodes brutales et les objectifs de domination totale d\u00e9ploy\u00e9s par l’arm\u00e9e fran\u00e7aise en Alg\u00e9rie. Plus de 20 ans apr\u00e8s la prise d’Alger, la chute de Laghouat est devenue un imp\u00e9ratif pour la France, car cette ville fortifi\u00e9e repr\u00e9sentait une forteresse strat\u00e9gique et un bastion de r\u00e9sistance contre la colonisation.<\/p>\n
M. Medjahed a soulign\u00e9 que cette lutte de r\u00e9sistance n\u2019\u00e9tait pas sans cons\u00e9quence pour les colonisateurs eux-m\u00eames. Avant m\u00eame la chute de Laghouat, deux monarques fran\u00e7ais avaient \u00e9t\u00e9 renvers\u00e9s en partie \u00e0 cause de l’opposition f\u00e9roce des Alg\u00e9riens : Charles X et Louis-Philippe. Ces pertes au sommet de l\u2019\u00c9tat fran\u00e7ais d\u00e9montrent l\u2019impact consid\u00e9rable de la r\u00e9sistance alg\u00e9rienne et l\u2019incapacit\u00e9 des forces coloniales \u00e0 soumettre rapidement le pays malgr\u00e9 leur sup\u00e9riorit\u00e9 militaire apparente.<\/p>\n
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En 1852, l’arm\u00e9e fran\u00e7aise a fait de Laghouat un symbole de son projet colonial de domination. Le massacre, qui a co\u00fbt\u00e9 la vie \u00e0 des milliers d\u2019habitants, s\u2019inscrit dans une strat\u00e9gie plus large connue sous le nom de politique de “terre br\u00fbl\u00e9e”. Cette m\u00e9thode consistait \u00e0 d\u00e9truire syst\u00e9matiquement des villages et \u00e0 exterminer des populations enti\u00e8res pour briser toute forme de r\u00e9sistance. Les armes chimiques et les enfumades, utilis\u00e9es pour \u00e9touffer les habitants dans des grottes, illustrent l’ampleur de la brutalit\u00e9 d\u00e9ploy\u00e9e.<\/p>\n
Les chiffres sont gla\u00e7ants : au cours des premi\u00e8res d\u00e9cennies de la colonisation fran\u00e7aise, la population alg\u00e9rienne a \u00e9t\u00e9 r\u00e9duite de moiti\u00e9, passant de 4 millions en 1830 \u00e0 environ 2 millions \u00e0 la fin du XIXe si\u00e8cle. Laghouat, avec ses pertes humaines massives, repr\u00e9sente un microcosme de cette politique g\u00e9nocidaire.<\/p>\n
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M. Medjahed a qualifi\u00e9 la colonisation de peuplement comme “la pire forme de colonisation”. Il a \u00e9voqu\u00e9 les id\u00e9es des intellectuels fran\u00e7ais de l’\u00e9poque, comme Victor Hugo, qui consid\u00e9raient l\u2019Afrique comme un cadeau de Dieu \u00e0 l\u2019Europe. Hugo d\u00e9clarait : \u00ab Transformez vos prol\u00e9taires en propri\u00e9taires \u00bb, une vision qui a justifi\u00e9 des politiques d’expropriation, de domination et d’extermination.<\/p>\n
Ce mod\u00e8le de colonisation, selon M. Medjahed, est marqu\u00e9 par trois \u00e9tapes : la domination militaire, l\u2019exploitation des ressources et, enfin, l\u2019extermination culturelle et physique des populations autochtones. Ces actions ne se limitent pas au XIXe si\u00e8cle : les s\u00e9quelles de cette domination continuent de se faire sentir, comme en t\u00e9moignent les politiques n\u00e9ocoloniales actuelles en Afrique.<\/p>\n
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L’entretien a mis l’accent sur la n\u00e9cessit\u00e9 de pr\u00e9server la m\u00e9moire de ces \u00e9v\u00e9nements tragiques. Selon M. Medjahed, \u00ab d\u00e9coloniser l\u2019histoire \u00bb passe d\u2019abord par une d\u00e9colonisation des mentalit\u00e9s. Il appelle \u00e0 une recherche proactive de la v\u00e9rit\u00e9 historique, en exploitant notamment les archives disponibles, y compris celles de l\u2019Assembl\u00e9e nationale fran\u00e7aise. Avec une diaspora alg\u00e9rienne estim\u00e9e \u00e0 5 millions de personnes en France, il invite \u00e0 mobiliser ces forces pour documenter et transmettre cette m\u00e9moire.<\/p>\n
L\u2019exemple de Mohamed Ch\u00e9rif Sahli a \u00e9t\u00e9 \u00e9voqu\u00e9 comme une figure inspirante pour les porteurs de m\u00e9moire. Ce dernier soulignait l\u2019importance de f\u00e9d\u00e9rer les forces intellectuelles et citoyennes pour \u00e9clairer les zones d\u2019ombre de l\u2019histoire et contrer les r\u00e9cits mensongers propag\u00e9s par les colonisateurs.<\/p>\n
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M. Medjahed a \u00e9galement \u00e9tabli des liens entre les \u00e9v\u00e9nements du XIXe si\u00e8cle et les politiques fran\u00e7aises actuelles en Afrique. Il a notamment critiqu\u00e9 le soutien continu de la France \u00e0 des r\u00e9gimes oppressifs, citant des exemples r\u00e9cents comme le Sahara occidental et les relations ambigu\u00ebs avec certains pays africains.<\/p>\n
La d\u00e9claration de M. Medjahed selon laquelle \u00ab ils ont enlev\u00e9 le casque colonial, mais la t\u00eate reste coloniale \u00bb r\u00e9sume sa critique d\u2019un n\u00e9ocolonialisme encore profond\u00e9ment ancr\u00e9 dans les politiques fran\u00e7aises. Il a compar\u00e9 des figures historiques comme Bugeaud \u00e0 des dirigeants actuels tels qu\u2019Emmanuel Macron, affirmant que, bien que le discours ait chang\u00e9, les actions restent fondamentalement les m\u00eames.<\/p>\n
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Le souvenir de Laghouat s\u2019inscrit dans une dynamique plus large d\u2019\u00e9mancipation africaine. M. Medjahed a rappel\u00e9 le r\u00f4le pionnier de l\u2019Alg\u00e9rie dans la lutte pour l\u2019unit\u00e9 africaine, citant le sommet d\u2019Accra en 1958, o\u00f9 des figures comme Frantz Fanon, Kwame Nkrumah et Patrice Lumumba ont trac\u00e9 les bases d\u2019un panafricanisme fort.<\/p>\n
Pour M. Medjahed, l\u2019\u00e9mancipation d\u00e9finitive du continent n\u00e9cessite une prise de conscience collective. Cela implique de surmonter les s\u00e9quelles psychologiques du colonialisme et de s\u2019appuyer sur les forces locales pour construire des soci\u00e9t\u00e9s r\u00e9silientes et autonomes.<\/p>\n
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L\u2019entretien avec M. Abdelaziz Medjahed nous rappelle que pr\u00e9server la m\u00e9moire de Laghouat n\u2019est pas seulement un devoir historique, mais aussi une responsabilit\u00e9 citoyenne. En \u00e9clairant les zones d\u2019ombre de notre pass\u00e9, nous pouvons mieux comprendre les d\u00e9fis actuels et pr\u00e9parer un avenir bas\u00e9 sur la justice et la dignit\u00e9.<\/p>\n