https:\/\/www.facebook.com\/boufattach <\/strong><\/a><\/p>\nPr Rabeh Sebaa, Essayiste, Chroniqueur et professeur en anthropologie linguistique \u00e0 l’universit\u00e9 Oran 2. Directeur de la revue Socialit\u00e9s et Humanit\u00e9s.<\/p>\n
Le grand absent du paysage litteraire alg\u00e9rien est, paradoxalement, celui qui est socialement le plus pr\u00e9sent. Et le plus pr\u00e9gnant. La langue du plus grand nombre. L\u2019alg\u00e9rien, en l\u2019occurrence. Confin\u00e9 dans l\u2019\u00e9touffante exiguit\u00e9 de la notion de dialecte, de darija ou \u00e2amiya. Des notions qui charrient, pr\u00e9somptueusement, une forte et malodorante p\u00e9joration. La marque de m\u00e9pris pour les langues non souverainis\u00e9es, les langues non officialis\u00e9es, bref les langues minoris\u00e9es. C\u2019est le dessein, pour ne pas dire la mission\u00a0politico-s\u00e9mantique de ces notions patoisantes et affreusement mutilantes. Alors que les langues reconnues politiquement sont, immanquablement, affubl\u00e9es du statut de\u00a0conjoint du pouvoir. L\u2019alg\u00e9rien ne l\u2019est pas. Mais n\u2019est pas un dialecte non plus. Il n\u2019est pas un patois, n\u2019est pas un jargon, encore moins une quelconque sous-langue. Le confiner dans cette \u00e9troitesse c\u2019est reprendre l\u2019argument fallacieux des promoteurs de l\u2019arabisation press\u00e9e, qui avaient reconduit, par paresse de l\u2019esprit, la notion de diglossie,\u00a0forg\u00e9e par Fergusson. Consid\u00e9rant qu\u2019il pouvait exister une partie haute et une partie basse dans une m\u00eame langue. Une partie \u00e9crite et une partie orale. Une partie acad\u00e9mique et une partie end\u00e9mique. Une partie pour la connaissance et le savoir et une partie pour la rue. Cette notion de diglossie est depuis longtemps frapp\u00e9e de caducit\u00e9 en linguistique et en sociolinguistique. Consacrant, depuis, la r\u00e9habilitation acad\u00e9mique de l\u2019alg\u00e9rien comme langue \u00e0 part enti\u00e8re. Avec un pass\u00e9 linguistique av\u00e9r\u00e9 et une luxuriante m\u00e9moire inalt\u00e9r\u00e9e. L\u2019existence du Melhoun, depuis des si\u00e8cles, est une parfaite illustration du g\u00e9nie de la langue alg\u00e9rienne. Des qacidate d\u2019une grande beaut\u00e9 ont \u00e9t\u00e9 \u00e9crites sur l\u2019amour, la guerre, le courage, l\u2019honneur ou la bravoure. Des qacidate qui n\u2019ont pas pris une seule ride. On peut toujours les lire ou les \u00e9couter avec la m\u00eame d\u00e9lectation. C\u2019est le cas \u00e9galement du chaabi, du hawzi, du a\u00e2roubi ou de la musique savante qui est el andaloussi. L\u2019\u00e9criture en alg\u00e9rien int\u00e8gre toutes ces dimensions. La sensibilit\u00e9 des quotidiennet\u00e9s, m\u00eal\u00e9e \u00e0 la force de l\u2019imaginativit\u00e9. Le melhoun qui sort des entrailles du terroir, assure la dimension esth\u00e9tique \u00e0 cette \u00e9criture, tout en restant \u00e0 la fois audible et accessible. Sans pr\u00e9tention rh\u00e9torique \u00e9litiste. Ce qui montre tr\u00e8s bien que l\u2019alg\u00e9rien n\u2019est pas un arabe d\u00e9grad\u00e9. Une langue arabe secondaire. Non l\u2019alg\u00e9rien est une langue \u00e0 part enti\u00e8re.\u00a0 L\u2019alg\u00e9rien est une langue avec sa grammaire, sa syntaxe, sa s\u00e9mantique et toute sa personnalit\u00e9 linguistique. Une personnalit\u00e9 historique qui a \u00e9t\u00e9 injustement minor\u00e9e pour des raisons id\u00e9ologico-politiques. Il est, \u00e0 pr\u00e9sent, temps de se d\u00e9barrasser de cette gangue d\u2019opacit\u00e9 mortif\u00e8re ou plus pr\u00e9cis\u00e9ment mortifiante. Une gangue \u00e0 la fois mystificatrice et castratrice, qui veut assexuer la langue alg\u00e9rienne. Comme elle l\u2019a fait pendant des d\u00e9cennies pour les langues de matrice ou de souche amazighe. Au point d\u2019incarc\u00e9rer abusivement et arbitrairement des amazighophones. Juste pour un d\u00e9lit de parole. La langue alg\u00e9rienne ne doit pas subir le m\u00eame sort. La langue alg\u00e9rienne doit donner des ailes color\u00e9es \u00e0 ses mots. La langue alg\u00e9rienne doit briser ses suffocantes museli\u00e8res. La langue alg\u00e9rienne est vivante et enti\u00e8re. L\u2019alg\u00e9rien est une langue d\u2019avenir car elle est d\u2019une souplesse syntaxique et d\u2019une capacit\u00e9 d\u2019absorption lexicale tr\u00e8s rare. Il suffit d\u2019entendre la multiplicit\u00e9 color\u00e9e de ses sonorit\u00e9s. La plupart des autres langues sont prisonni\u00e8res de la rigidit\u00e9 de leurs r\u00e8gles grammaticales et syntaxiques. Ce n\u2019est pas le cas de l\u2019alg\u00e9rien. L\u2019alg\u00e9rien est ouvert \u00e0 toutes les r\u00e9ceptions, \u00e0 toutes les variations et \u00e0 toutes les d\u00e9clinaisons. Les linguistes avertis savent que dans l\u2019alg\u00e9rien il existe des mots de l\u2019\u00e9poque punique, lybique, des mots arabes, turcs, espagnols, italiens, fran\u00e7ais et, bien \u00e9videmment, beaucoup de vocables puis\u00e9s dans les diff\u00e9rents idiomes amazighes. C\u2019est dans cette perspective que s\u2019inscrit le projet de r\u00e9habilitation d\u2019une litt\u00e9rature d\u2019expression alg\u00e9rienne.\u00a0 Plusieurs textes, dans diff\u00e9rents domaines comme la litt\u00e9rature, la po\u00e9sie, le th\u00e9\u00e2tre,\u2026 ont \u00e9t\u00e9 \u00e9crits en alg\u00e9rien, mais demeur\u00e9s confin\u00e9s dans la suffocante obscurit\u00e9 des tiroirs. Interdits de lumi\u00e8re. Leur publication ouvrira la voie \u00e0 l\u2019objectivation d\u2019une litt\u00e9rature d\u2019expression alg\u00e9rienne. Une litt\u00e9rature qui viendra conforter celle qui existe d\u00e9j\u00e0 en arabe, en fran\u00e7ais et en kabyle. Une litt\u00e9rature qui \u00e9largira le champ de tous les possibles et de toutes les audaces litt\u00e9raires. Toutes les audaces de dire. Toutes les audaces d\u2019imaginer. Et toutes les audaces d\u2019\u00e9crire. Autrement et pluriellement.<\/p>\n
Des audaces \u00e9touff\u00e9es par le poids de l\u2019oppression id\u00e9ologique qui a, d\u00e8s les premi\u00e8res heures de l\u2019ind\u00e9pendance politique, impos\u00e9 le choix de l\u2019arabe formel orientalis\u00e9.\u00a0 En recourant \u00e0 une sorte de coop\u00e9ration ethnique avec les pays du Moyen-Orient. Une pr\u00e9sence durant plusieurs ann\u00e9es dans les cycles primaire et secondaire, qui a totalement d\u00e9mantel\u00e9 puis perverti le syst\u00e8me \u00e9ducatif alg\u00e9rien. Et qui continue \u00e0 causer d\u2019incommensurables d\u00e9g\u00e2ts. On a voulu sacrifier la sensibilit\u00e9 de l\u2019alg\u00e9rien, langue locale \u00e0 une suppos\u00e9e souverainet\u00e9 de l\u2019arabe conventionnel. Une volont\u00e9 d\u2019\u00e9touffer les langues de la quotidiennet\u00e9 au profit d\u2019une langue de la formalit\u00e9.<\/p>\n
Jusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent la langue arabe est la langue du formel. Et rien d\u2019autre. La vie de tous les jours, les peines, les joies, les r\u00eaves, les amours, les mouvements citoyens, se vivent en Alg\u00e9rie dans l\u2019\u00e9ventail des langues du quotidien. Dans les ressentis de l\u2019alg\u00e9rien.<\/p>\n
La beaut\u00e9 de vivre, d\u2019aimer, d\u2019\u00e9crire et de r\u00eaver. Et surtout de tourner le dos aux faux d\u00e9bats qui polluent copieusement l\u2019\u00e9criture alg\u00e9rienne au d\u00e9triment de son universalisation. La litt\u00e9rature d\u2019expression alg\u00e9rienne comme red\u00e9couverte de soi, par la voie royale de l\u2019universel.<\/p>\n