Zoubida Berrahou est une professeure des universités en sciences économiques, enseignant à l’université de Mascara depuis 25 ans. Malgré un parcours académique rigoureux, elle a su trouver une passerelle vers le monde littéraire en devenant romancière en 2022. À ce jour, elle compte à son actif deux romans et deux recueils de poésie :
- Sémiramis au pays de Dounia (roman)
- Halte temps (poésie)
- À Montréal (poésie)
- L’invention d’un jeu d’échecs (roman)
Son dernier roman, L’invention d’un jeu d’échecs, offre une immersion captivante dans l’univers de Mascara, une ville atypique d’Algérie. À travers les aventures des frères Racim et Necib, âgés respectivement de 14 et 18 ans, l’auteure explore un imaginaire où l’histoire algérienne et les figures emblématiques prennent vie sur un échiquier improbable.
Dans ce récit, l’interaction entre les deux frères entraîne une série de dialogues emplis de créativité. Racim, l’imaginatif, tente de convaincre son frère du rôle potentiel de Mascara dans l’invention des échecs, un prétexte qui ouvre la voie à une véritable odyssée historique et culturelle. Ils traversent des époques, rencontrent des personnages tels que l’émir Abdelkader, les princesses d’Alger, ou encore Salim d’Alger, créant un pont entre passé et présent.
En plus d’être un voyage dans le temps, ce roman invite à réfléchir sur des thèmes contemporains tels que le féminisme, les valeurs sociales, et le rôle de l’histoire dans la construction des identités modernes. Racim et Necib incarnent une jeunesse algérienne à la fois curieuse, audacieuse et tournée vers l’avenir, rappelant que l’innovation ne se limite pas à la technologie, mais peut aussi naître des récits et de la créativité.
Une plume satirique au service de la critique culturelle
En effet, dans son article intitulé « Daoudix et Sansalix au service de Sa Majesté », Zoubida Berrahou manie l’art de la satire avec brio pour dénoncer les dynamiques culturelles et politiques qui lient, parfois de manière pernicieuse, la France et l’Algérie. Elle revisite avec humour et ironie le monde des célèbres personnages d’Astérix et Obélix, qu’elle rebaptise « Gallimardiens » en référence à la maison d’édition Gallimard, pour analyser le positionnement et l’instrumentalisation d’auteurs algériens comme Boualem Sansal et Kamel Daoud.
Zoubida Berrahou présente Boualem Sansal sous les traits d’un Obélix caricatural, doté d’une queue de cheval et d’un ton comique malgré lui, tout en pointant ses contradictions. L’auteur est dépeint comme un « prophète » de la littérature française, érigé au rang de Voltaire contemporain par les médias français, mais dont les postures humanistes et révolutionnaires semblent, selon Berrahou, teintées d’hypocrisie. Elle n’hésite pas à souligner son passé de haut fonctionnaire dans l’administration algérienne, dénonçant les incohérences entre son discours actuel d’opposition et les privilèges dont il aurait profité par le passé.
Dans le même registre satirique, Kamel Daoud est associé à Astérix, un personnage fier et souvent égaré par son ego. Selon Berrahou, il incarne un écrivain promu stratégiquement pour mener les « guerres culturelles à la française », un rôle qui, bien que flatteur en apparence, sert davantage les intérêts d’une France nostalgique de son passé colonial que ceux de la littérature algérienne ou universelle.
L’utilisation d’images populaires comme Astérix et Obélix permet à Zoubida Berrahou de rendre ses critiques accessibles tout en désacralisant les figures intellectuelles mises en avant par les médias français. Elle y mêle des observations acerbes, comme la comparaison entre Sansal et « Hansel » des contes de Grimm, pour dénoncer la victimisation de ces écrivains par les médias occidentaux, qui les présentent comme des martyrs d’un « régime totalitaire algérien ».
La satire atteint son apogée lorsque Berrahou décrit Boualem Sansal comme un « Voltarène » (parodie de Voltaire) du passé colonial français, une figure promue pour conforter les narratifs algérophobes en France. Elle remet en question la vision binaire imposée par les médias, où l’Algérie serait un État oppressif face à de courageux intellectuels dissidents, en soulignant les nuances souvent ignorées. Par exemple, elle rappelle que Sansal a bénéficié d’avantages significatifs dans son pays natal, et que ses critiques s’accompagnent de silences gênants sur son propre rôle dans les rouages administratifs.
Enfin, Berrahou prolonge sa satire en abordant la « décennie noire » en Algérie. Elle critique Kamel Daoud pour sa simplification de cette période complexe, la réduisant à une guerre civile entre islamistes. Berrahou y voit une tentative de réécriture historique qui minimise le rôle des puissances étrangères, notamment la France, dans les bouleversements de cette époque.
À travers ce texte incisif, Zoubida Berrahou ne se contente pas de critiquer des écrivains spécifiques ; elle remet en cause un système culturel et politique où la littérature devient un instrument de pouvoir, au détriment de la vérité historique et des luttes sociales. Son écriture, à la fois érudite et acerbe, révèle une capacité unique à jongler entre humour, critique et analyse profonde des enjeux géopolitiques.
Hope&ChaDia